Le Sommet pour un « Nouveau pacte financier mondial » se tient les 22 et 23 juin 2023 à Paris la capitale de la France. Parmi les près de 100 chefs d’États et de gouvernements attendus à ce sommet, les dirigeants d’Afrique centrale devraient insister entre autres, sur le financement nécessaire à la protection des forêts du bassin du Congo. Le deuxième poumon vert de la planète est lésé dans les flux financiers internationaux destinés à la protection et à la gestion durable des forêts dans les zones tropicales.
S’étendant sur six pays (le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Congo, la Guinée équatoriale et le Gabon), le bassin du Congo fournit des services vitaux, tant pour l’Homme que pour la planète. D’après le World Wild Fund (WWF), il nourrit et fournit un abri à 75 millions de personnes depuis plus de cinquante mille ans. Ces forêts, qui abritent différentes espèces animales, dont les éléphants de forêt, les gorilles des plaines, les chimpanzés et les bonobos, jouent également un rôle essentiel dans la régulation du climat de la planète.
Selon les estimations du Center for Global Development (CGD), la forêt du bassin du Congo qui s’étend sur une surface totale de 298 millions d’hectares, absorbe environ 600 mégatonnes de CO2 chaque année (1 mégatonne = 1 million de tonnes). En termes de crédit carbone, cela correspond à 30 milliards de dollars américain par an, suivant la valeur sociale du carbone, évaluée à 50 dollars par tonne en 2020 par le Groupe de travail interagences américain sur le coût social des gaz à effet de serre (GES).
Un financement discriminatoire et insignifiant
Dans son rapport 2021 sur l’état des Forêts du bassin du Congo, l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale (OFAC) indique que « … les forêts non perturbées en Afrique absorbent donc désormais plus de carbone que celles d’Amazonie. ».
Pourtant, les forêts tropicales d’Afrique centrale mobilisent beaucoup moins de financements que celles d’Amazonie et d’Asie du Sud-Est. Ainsi, des études menées par le Collectif de ministres de l’Environnement et de chercheurs pour la défense du bassin du Congo, révèlent qu’entre 2008 et 2017, le bassin du Congo n’a reçu que 11 % des flux financiers internationaux destinés à la protection et à la gestion durable des forêts dans les zones tropicales, contre 55 % pour l’Asie du Sud-Est et 34 % pour l’Amazonie.
Même au niveau du continent, le financement de la biodiversité demeure discriminatoire à l’égard du bassin du Congo. En 2015, le Future Climate for Africa (FCFA) a investi 27 millions de dollars américains dans la modélisation panafricaine et dans quatre projets axés sur l’Afrique orientale, occidentale et australe. Rien dans le bassin du Congo ou en Afrique centrale.
En dehors de leur caractère marginal, les financements de la biodiversité en Afrique centrale sont de loin inférieurs aux montants nécessaires. L’OFAC estime à environ 200 millions de dollars l’enveloppe nécessaire pour mettre en œuvre les actions prioritaires du Plan de Convergence de la Commission des forêts d’Afrique centrale (Comifac), entre 2021 et 2025.
Lors de la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), tenue en décembre 2022 en Égypte, les pays d’Afrique, le Brésil, l’Inde et l’Indonésie ont exprimé leurs besoins financiers pour inverser la perte mondiale de biodiversité : protéger 30% des terres et des mers, réduire de moitié les pesticides, restaurer 20 ou 30% des terres dégradées, etc. Ils réclament au pays riches, des subventions financières d’au moins 100 milliards de dollars par an, ou 1% du produit intérieur brut (PIB) mondial jusqu’en 2030, soit environ dix fois les montants d’aides actuelles, et autant que ceux promis pour la lutte contre le réchauffement climatique. Ces subventions, les pays en développement souhaitent les recevoir via un nouveau fonds mondial pour la biodiversité.
L’insuffisance des données d’aide à la prise de décision
Le faible financement de la biodiversité en Afrique centrale s’explique entre autre par la non maîtrise du terrain. Si de récentes données de la Comifac suggèrent que les forêts tropicales du bassin du Congo sont plus denses en carbone, plus efficaces pour ralentir le changement climatique et résister à ses effets que les forêts tropicales amazoniennes, celles-ci n’expliquent toujours pas comment les sécheresses croissantes, les températures plus élevées, l’exploitation forestière sélective et la déforestation pourraient interagir dans la région.
Il en est de même des quantités de carbone stockées dans la végétation et les sols. À l’heure actuelle, la plupart des pays d’Afrique centrale s’appuient sur des valeurs par défaut, qui pourraient se révéler très fausses. Et pourtant ces quantités de carbone stocké et d’autres doivent être déclarées, conformément aux engagements pris par les pays dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat de 2015.
Pour combler cette insuffisance de données scientifiques sur les forêts du bassin du Congo, le Collectif de ministres de l’Environnement et de chercheurs pour la défense du bassin du Congo appelle à la mise sur pieds d’un programme de recherche de 100 millions de dollars. « Cela créerait une nouvelle génération de scientifiques, y compris de futurs dirigeants, en Afrique centrale. Le programme de formation assurerait le changement radical nécessaire à la capacité scientifique et offrirait des opportunités aux jeunes chercheurs africains qui ont actuellement du mal à concourir pour des bourses internationales, lesquelles sont souvent remportées par des étudiants d’Asie ou d’Amérique du Sud. », explique le collectif, dans une tribune publiée sur Jeune Afrique.
Les principaux financiers de la biodiversité en Afrique centrale
Bien que les fonds alloués à la biodiversité de l’Afrique centrale restent largement insuffisants, les flux disponibles relèvent essentiellement des financements mixtes, des partenariats public-privé (PPP) et des initiatives privées telles que la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, l’Agence française de développement (AFD), le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), le Fond Eco.business, le Fonds pour le commerce et les investissements dans l’agriculture en Afrique (initié par l’Allemagne), le Fonds pour les moyens de subsistance, le Partenariat avec le Moringa et Le Fond pour le climat Althelia.
Des initiatives internationales telles que l’AFR100 (the African Forest Landscape Restoration Initiative, pour la restauration de 100 millions d’hectares de paysages déboisés et dégradés en Afrique d’ici à 2030) et surtout la REDD+ (réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts, associées à la gestion durable des forêts, la conservation et l’amélioration des stocks de carbone forestier), compte aussi dans la mobilisation des fonds vers les forêts d’Afrique centrale.
D’après l’OFAC, près de 200 millions de dollars ont été mobilisés entre 2016 et 2020 pour financer les activités REDD+ en République démocratique du Congo (RDC). Dans la déclaration commune de la 26e Conférence des Nations unies sur le climat (COP26) tenue en novembre 2021 à Glasgow, en Écosse, douze des pays les plus riches du monde et les Fonds le Bezos pour la Terre ont fixé à 1,5 milliards de dollar, le montant minimum à mobiliser pour la protection et la gestion durable des forêts du bassin du Congo.
Les modèles de financement
Le Gabon fait partie des pays d’Afrique centrale qui captent le plus de financement de la biodiversité, comparativement au reste des pays de la sous-région. Avec près de 88% de couverture forestière, le Gabon met en avant une diplomatie verte dont l’efficacité se traduit par les financements obtenus sur le marché du carbone. En 2019, la Norvège s’est engagée à verser 150 millions de dollars au Gabon pour qu’il protège ses forêts dans le cadre de l’initiative pour les forêts d’Afrique Centrale (Central African Forest Initiative, ou CAFI).
Bien avant ce financement, le pays a fait l’objet d’un audit indépendant de ses taux de déforestation en 2016 et en 2017. Les résultats concluants de cette étude, soit un taux de déforestation d’environ 0,1 % par an, ont permis au Gabon d’obtenir un premier versement de 17 millions de dollars, dans le cadre l’initiative REDD+, devenant ainsi le premier pays africain à être payé pour protéger ses forêts.
Pour capitaliser au mieux les services climatiques et écosystémiques fournis par ses forêts, le Gabon a proposé un nouveau modèle de financement de la Biodiversité. Des « crédits biodiversité », une unité certifiée, détenue par un pays ou par un projet pour son apport en matière de préservation des ressources naturelles. « On va commencer à travailler sur un système de crédit de biodiversité comme les crédits carbone. Le bassin du Congo est le cœur et le poumon de l’Afrique qui agit pour le maintien de la stabilité de notre continent. On peut sûrement calculer un prix pour ce service et donner une valeur à cette forêt équatoriale » explique Lee White, le ministre gabonais des Eaux et Forêts.
En attendant que les « crédits biodiversités soient examinés et si possible, validés par la Convention sur la diversité biologique (CDB, ou convention de Rio), plusieurs autres modèles de financement de la biodiversité sont disponibles, bien qu’il est souvent difficile de développer des modèles financièrement viables et susceptibles de convaincre les banques autour des enjeux de la biodiversité.
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Dans la litanie des solutions appliquées, les obligations vertes ont constitué ces dernières années l’un des principaux mécanismes de financement innovants en matière de biodiversité. Le fonds African Wildlife Capital (AWC) a joué un rôle pionnier dans le domaine, en appliquant sur les intérêts obligataires une remise proportionnelle à l’atteinte d’objectifs de conservation quantifiables. Ce marché est cependant confronté à plusieurs limites, notamment la difficulté de traduire la valeur des services écosystémiques en termes financiers, ou la rareté des projets de conservation susceptibles d’être financés par de tels investissements, qui conduit à une inadéquation entre la taille limitée des projets et le montant minimum d’une émission obligataire. Selon Tine Fisker Henriksen, responsable des financements innovants à Bertha Centre for Social Innovation (université de Cape Town en Afrique du sud) et Wassa Cissé, analyste en investissements chez Bestseller Found, seuls 5 à 10 % du produit des « green bonds » a été affecté à la biodiversité, à ce jour.
Les pays du bassin du Congo peuvent aussi recourir au swap « dette contre nature », qui consiste à annuler la dette d’un pays en développement contre l’engagement de ce dernier d’investir la même somme dans la conservation. Peu, ou presque pas utilisé en Afrique à l’exception des Seychelles, ce mécanisme est en cours d’implémentation en Équateur. Conseillé par la Banque Lazare, Quito a obtenu le 9 mai 2023 une réduction de sa dette en échange de son engagement à financer la conservation des Galapagos, un archipel inscrit au Patrimoine mondial du fait de sa biodiversité. La réduction de dette équivaut à un montant total de 450 millions de dollars sur 18 ans.
Des investisseurs ont en effet accepté de céder des obligations pour 656 millions de dollars, par crainte que la situation financière et politique du pays ne se détériore davantage. D’autres ont accepté de les acquérir en dépit des risques, à condition que l’opération serve à protéger les Galapagos, et grâce aux garanties financières de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de l’agence de développement américaine Development Finance Corporation (DFC).
Boris Ngounou
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