Devant les épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents sur le continent africain, de nombreuses alternatives ont été mises sur pied aussi bien par les entreprises que les gouvernements. Il s’agit de la rationalisation de la ressource, le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées traitées. À cela s’ajoutent la récupération des eaux de pluie et la recharge des aquifères, des méthodes plus anciennes certes, mais intelligentes pour la sauvegarde de la planète.
La récupération des eaux de pluie en l’occurrence est une technique de collecte et de stockage des eaux de pluie dans des réservoirs naturels ou des citernes. Ce procédé est appliqué sur le continent africain depuis des millénaires, notamment au Maroc où la stratégie nationale de l’eau a placé la collecte des eaux pluviales comme l’une des priorités de mobilisation des ressources en eau non conventionnelles au niveau national dans les bassins déficitaires du pays, notamment à Oum Er Rbiaâ, Bou Regreg, Tensift, Souss, etc..
Il existe de nombreux systèmes de collecte des eaux de pluie. D’abord, les systèmes mis en place au niveau individuel pour un usage domestique ou agricole. À plus grande échelle, la rétention des eaux de ruissellement se fait grâce à des micro-barrages ou retenues villageoises et de grands barrages, plus adaptés pour desservir une population plus importante.
Des pays exploitent les atouts de la pluie
Constituées de matières organiques, de micro-organismes, de pesticides, de nutriments, de l’acidité ou encore de polluants chimiques (cuivre, le plomb, le zinc, le chrome, le fer, le manganèse et des hydrocarbures aromatiques polycycliques), les eaux pluviales sont à l’état impropres à la consommation humaine. Aussi, la plupart des pays misent davantage sur cette ressource pour atténuer les effets du stress hydrique dans divers secteurs d’activités, notamment l’agriculture.
Au Maroc par exemple, l’Office régional de mise en valeur agricole (ORMVA) aménage actuellement un nouveau bassin de régulation hydraulique. La retenue servira à irriguer 20 000 hectares de terres agricoles à Tadla au centre du royaume. Ce sera le deuxième bassin de régulation hydraulique de la région considérée comme l’une des plus importantes zones agricoles du Maroc. Tadla reçoit environ 300 mm de pluie par an, dont une grande partie en hiver (de novembre à mars).
À Dodoma et de Singida, en Tanzanie, le stress hydrique impacte l’agriculture. Pour booster la production des agriculteurs et réduire l’insécurité alimentaire, le gouvernement a lancé en août 2022 la construction de dix barrages qui collecteront les eaux pluviales pour satisfaire les besoins en eau d’irrigation. La ressource servira également à l’approvisionnement des éleveurs de bétail, ainsi que des ménages pour usage domestique (arrosage jardin, lavage voiture, etc.).
Le Kenya, l’un des pays les plus arides du continent africain compte aussi tirer parti des eaux pluviales pour renforcer la résilience des agriculteurs et des éleveurs face à la sécheresse qui engendre le stress hydrique. D’ailleurs, un projet lancé en septembre 2021 devrait permettre l’aménagement de quatre bassins d’eau de pluie dans le comté de Homa Bay, à l’ouest du Kenya.
La prévention de l’érosion hydrique et des inondations
Si la collecte des eaux pluviales est une solution pour garantir l’approvisionnement en eau en Afrique face à la sécheresse, elle l’est d’autant plus dans la lutte contre les inondations et l’érosion hydrique. Ces phénomènes sont principalement causés par le ruissellement intense de l’eau de pluie à la surface de la terre, entrainant la dégradation des sols et la baisse des rendements agricoles.
En réponse aux inondations, le gouvernement tunisien a également renoué avec la valorisation des eaux pluviales, notamment dans le bassin de la Medjerda, une rivière qui prend sa source en Algérie et dont le lit est principalement sur le territoire tunisien. Et depuis décembre 2020, le ministère tunisien de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche (MARHP) y met en œuvre le Programme de stockage et de protection contre les inondations (SPCI). Les eaux de pluie serviront à l’irrigation et à l’approvisionnement des ménages.
Au Sénégal, le gouvernement mise aussi sur la rétention des eaux de pluie en réponse aux inondations. Il projette de réhabiliter le bassin de rétention des eaux pluviales de la zone de captage de Dakar, inauguré en 2005. Avec ses 7,70 hectares, sa profondeur moyenne proche de 2 m et son volume de stockage de 120 à 160 000 m3, ce bassin recueille les eaux pluviales venant des quartiers de Dakar tels que Bourguiba, la Patte d’Oie et Grand-Yoff, par le biais d’un système de pompage pour les drainer vers la baie de Hann.
En mi-août 2021, les habitants de plusieurs quartiers de Dakar se sont retrouvé les pieds dans l’eau. Au grand dam de dizaines de milliers d’habitants, ce scénario se répète chaque année pendant la saison des pluies qui s’étend de juillet à septembre au Sénégal.
L’autre avantage de la collecte des eaux pluviales est la préservation des réserves d’eau, notamment souterraines vers lesquelles se tournent également les Africains dans ce contexte marqué par le stress hydrique.
Les eaux souterraines, un potentiel certain
Les eaux souterraines, qui constituent près de 99 % de toutes les réserves d’eau douce de la planète jouent un rôle central dans l’adaptation face au stress hydrique. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), à date, elles fournissent la moitié de la quantité d’eau prélevée pour un usage domestique par la population mondiale, y compris l’eau potable fournie à une grande majorité de la population rurale, et environ 25 % de toute l’eau prélevée à des fins d’irrigation.
L’Afrique subsaharienne serait la région qui exploiterait le moins ces ressources avec seulement 5 % de terres irriguées à partir des eaux souterraines. Pourtant, leur exploitation pourrait favoriser la croissance économique en permettant d’augmenter la superficie des terres irriguées et, de ce fait, d’améliorer les rendements agricoles et la diversité des cultures. L’exploitation des eaux souterraines permettrait également d’améliorer l’approvisionnement en eau potable en Afrique subsaharienne où en moyenne 418 millions de personnes n’ont pas toujours pas accès à l’eau selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).
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Outre l’absence de financement qui ralentit l’exploitation des réserves souterraines aujourd’hui, cette ressource naturelle reste mal comprise en Afrique subsaharienne et par conséquent, est sous-évaluée, mal gérée, voire gaspillée occasionnant dans certaines zones sa dégradation pure et simple.
Contrairement à l’Afrique subsaharienne où les eaux souterraines sont encore abondantes, en Afrique du Nord, les aquifères sont surexploités pour pallier aux effets du stress hydrique. L’épuisement des eaux souterraines peut également entraîner l’augmentation des coûts, de la complexité technique et de la demande énergétique liés aux extractions d’eaux souterraines, l’augmentation des pénuries d’eau causées par l’assèchement de puits, de zones aquifères ou d’aquifères entiers, la dégradation des écosystèmes dépendant des eaux souterraines et des services fournis par les eaux souterraines autres que l’approvisionnement, la concurrence entre secteurs d’utilisation des eaux souterraines ou entre utilisateurs de puits individuels et un accès de plus en plus inégal aux eaux souterraines, y compris la perte d’équité entre générations.
La recharge artificielle des aquifères s’impose
Parmi les États qui surexploitent les réserves d’eaux souterraines en Afrique du Nord figure le Maroc. Dans le royaume chérifien, chaque habitant dispose actuellement de seulement 500 mètres cubes d’eau douce par an, contre 2 500 mètres cubes en 1960 selon l’Organisation des Nations unies (ONU). Outre la rationalisation de l’eau à travers des techniques modernes et la valorisation des eaux non conventionnelles, le Maroc veut désormais miser sur la recharge artificielle des aquifères pour éviter son épuisement total.
La réalimentation des aquifères est une pratique qui vise à augmenter les volumes d’eau souterraine disponibles, en favorisant, par des moyens artificiels l’infiltration jusqu’à aquifère des eaux de surface, des eaux usées traitées, des eaux dessalées ou encore des eaux pluviales.
Au Maroc, des études sont en cours pour évaluer les possibilités d’accroître les ressources souterraines des nappes du bassin du Draa Oued Noun, dans la province de Zagora. L’Agence du bassin hydraulique du Draa Oued Noun a désigné, en septembre 2022, l’Agence du bassin hydraulique de Guir pour mener à bien ces études sur 11 mois, afin d’élaborer un projet d’exécution.
Toujours au Maroc, le projet de recharge artificielle de la nappe de Haouz à partir de l’oued Ghmat a permis de renforcer la desserte en eau de plus 1,6 million de personnes. La direction de l’Agence du bassin hydraulique du Tensift (ABHT) a mis en œuvre ce projet qui a bénéficié du financement de la facilité africaine de l’eau (FAE), un fonds multilatéral de l’eau administré et géré par la Banque africaine de développement (BAD), qui soutient et facilite la mobilisation des ressources. La stratégie nationale de l’eau du Maroc prévoit le renforcement de la recharge artificielle des nappes, avec un volume moyen de 270 millions de m³ par an d’ici à 2030.
Inès Magoum