L’un des projets de compensation du carbone forestier les plus controversés en Afrique est celui de la compagnie pétrolière TotalEnergies au Congo. Dans ce pays situé au cœur du bassin du Congo, le géant français a entamé la plantation d’une forêt de 40 000 hectares sur les plateaux Batéké. Seulement, en décembre 2022, le site d’information français Mediapart a dévoilé des documents internes au gouvernement congolais et des témoignages prouvant que TotalEnergies s’est approprié des terres d’agriculteurs sans leur libre consentement. Une affaire qui relance le débat sur le « greenwashing », et plus globalement sur la compensation du carbone forestier.
La compensation du carbone forestier a été pensée à l’origine comme un moyen de compenser les émissions de particuliers et d’entreprises cherchant à réduire leur empreinte carbone tout en atténuant les effets du changement climatique. Mais les détracteurs de ce mécanisme soutiennent qu’il s’agit d’une « forme d’écoblanchiment (ou greenwashing, Ndlr) qui sert à retarder l’adoption de mesures climatiques urgentes dans le Nord, qui réduit les forêts à la seule valeur de leur carbone et qui, en raison des incertitudes considérables sur la manière de mesurer le carbone, peut conduire à la production de crédits “fantaisistes”, voire à la fraude », souligne le Fonds de la fondation Rainforest.
Les travers d’une « solution »
Selon le Centre de recherche forestière internationale et l’agroforesterie mondiale (Cifor), la compensation du carbone forestier, notamment le programme REDD+ peut contribuer à la réduction de la déforestation et la dégradation des forêts. Mis en œuvre ces dernières années dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, notamment dans le bassin du Congo et à Madagascar, le programme de Réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) est soutenu par les institutions de financement du développement à l’instar de la Banque mondiale.
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À en croire le Cifor, la compensation du carbone est remise en question à cause notamment du déplacement des populations induit par la mise en œuvre de projets dans les pays en développement où les terres sont souvent rares. En outre, ces projets sont souvent mis en œuvre dans des zones reculées ou à accès difficiles, compliquant le suivi et la vérification du piégeage réel du dioxyde de carbone (CO2).
La compensation, à quelle condition ?
Plus important encore, « il s’agit souvent d’une solution à court terme à un problème à long terme. Les arbres et les forêts mettent du temps à arriver à maturité et à atteindre leur plein potentiel de séquestration du carbone, et même alors, ils peuvent ne pas être en mesure de compenser entièrement les émissions produites », souligne le Cifor qui propose de repenser les mécanismes de compensation, notamment à travers la protection des forêts intactes, et en grande partie intactes, pour préserver la biodiversité et les services écosystémiques. Et les terres contrôlées par les autochtones jouent un rôle majeur à cet égard.
Tout en incitant à la mise en place des systèmes de compensation carbone scientifiquement fondés, équitables et transparents, le Cifor propose une meilleure gestion des forêts de production et les plantations, afin de fournir les matériaux nécessaires au passage d’une économie fondée sur les combustibles fossiles à une économie fondée sur les produits biologiques, et de remplacer les matériaux à fort impact sur le carbone, comme le ciment et l’acier. Des solutions sont développées dans des pays comme le Ghana pour remplacer le clinker, le principal composant du ciment, par de l’argile calcinée…
Au-delà de la compensation, la réduction des émissions…
« Cela ne veut pas dire que les projets de compensation du carbone doivent s’arrêter, bien au contraire. Nous devons continuer à restaurer les forêts et les tourbières tout en développant les projets d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique via des programmes de compensation », affirme le Dr Robert Nasi, le directeur général par intérim du Cifor.
Il faudrait aussi restaurer, « d’une manière adaptée et acceptée localement, les vastes étendues de terres dégradées de notre planète, afin de produire un ensemble de biens et de services écosystémiques essentiels », propose le Cifor. Mais face au dérèglement climatique, la solution passe surtout par la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à travers l’élimination progressive des combustibles fossiles.
Jean Marie Takouleu