L’Afrique est aujourd’hui à la croisée des chemins en termes de mobilisation des ressources financières nécessaire à l’atteinte de ses ambitions de développement durable, ainsi qu’à la lutte et à l’adaptation au changement climatique. Le continent doit choisir entre les approches de financement basées sur la nature, et des modèles traditionnels de financement, devenus obsolètes.
Selon des estimations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’aide publique au développement a beaucoup stagné depuis 2010 voire chuté à son niveau le plus bas en Afrique, pour atteindre 34 milliards de dollars en 2022. L’accès aux marchés internationaux des capitaux est quant à lui resté assez restrictif et très coûteux en raison d’une perception élevée du risque par les investisseurs. Cependant, l’Afrique qui a besoin de 33 milliards de dollars par an pour l’adaptation au changement climatique, ne reçoit actuellement qu’environ 6 milliards de dollars, selon les données de la Banque africaine de développement (BAD).
L’Afrique n’est pourtant pas à court d’options. Elle pourrait en même temps que la mobilisation du secteur privé, tirer profit de son énorme potentiel en termes de capital naturel. Cet actif représente entre 30 % et 50 % de la richesse totale des pays d’Afrique, bien que n’étant pas souvent pris en compte dans les mesures économiques comme le calcul du produit intérieur brut (PIB). Ce capital présente pourtant des atouts essentiels pour favoriser une croissance inclusive et verte face au changement climatique.
Un potentiel riche et varié
Le capital naturel se compose de tout ce qu’il y a dans les écosystèmes, à l’exception des personnes et de leurs biens. Il comprend l’ensemble des ressources naturelles utiles directement aux hommes ou qu’il peut mettre en valeur techniquement et économiquement telles que l’eau, l’énergie, les forêts, les gisements minéraux, les terres agricoles et la pêche. Il comprend également des services écosystémiques cachés, notamment la qualité de l’air et de l’eau, la protection contre les catastrophes naturelles, le contrôle de la pollution, l’élimination de la pollution et l’habitat faunique.
Des données compilées par la BAD, démontrent la richesse du capital naturel africain. Environ 30 % de toutes les réserves minérales mondiales se trouvent sur le continent, dont 60 % des réserves de cobalt et 90 % des réserves de métaux du groupe du platine. Le continent contribue, de manière substantielle, à la production annuelle mondiale de six minéraux clés : 80 % de platine, 77 % de cobalt, 51 % de manganèse, 46 % de diamant, 39 % de chrome et 22 % d’or.
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Le continent détient également 7 % des réserves mondiales de gaz naturel et de pétrole. En outre, l’Afrique possède plus de 60 % des terres arables non exploitées dans le monde et abrite 13 % de la population mondiale, dont 60 % à moins de 25 ans, ce qui en fait la population la plus jeune du monde. Environ 75 % des pays africains ont accès à la mer, ce qui offre de larges opportunités dans le domaine de l’économie bleue dont le potentiel mondial, géré de manière durable, est évalué à environ 1500 milliards de dollars.
La composante climatique
En Afrique centrale par exemple, le capital naturel présente bien plus d’opportunités. Celles-ci passent par une valorisation durable du potentiel du bassin du Congo qui représente 530 millions d’hectares de superficie globale, 70% de la couverture forestière d’Afrique, 6% de la surface forestière mondiale et 91% des forêts denses humides d’Afrique. Au niveau énergétique, le bassin du Congo représente 17 millions de mégawatts de potentiel d’énergies renouvelables et presque 125 000 mégawatts d’hydroélectricité.
Deuxième poumon forestier du monde (après l’Amazonie) le bassin du Congo absorbe 750 millions de tonnes de CO2 par an, selon la commission des forêts d’Afrique centrale (Comifac). Ce rôle déterminant pour la régulation de climat à l’échelle mondiale peut être mis en avant par les pays de la sous-région pour négocier des contrats dette-nature. Cette technique, inventée par le biologiste américain Thomas Lovejoy, considéré comme le parrain de la biodiversité, consiste finalement à échanger une partie de la dette extérieure contre des investissements locaux visant la protection de l’environnement. L’échange dette-nature est souvent présenté comme une technique d’allègement de la dette des pays en développement. Elle passe par l’allongement des délais de paiement, la diminution des taux d’intérêt, l’octroi de nouveaux crédits à des taux plus bas que conventionnellement jusqu’à l’annulation de créances.
Le mécanisme dette-nature est en expansion depuis quelque temps en Afrique. Le Portugal a annoncé en juin 2023 qu’il échangerait 153 millions de dollars de la dette du Cap-Vert contre des investissements dans la nature. Alors qu’en début août 2023, le Gabon a conclu son propre accord, d’une valeur de 450 millions de dollars avec la Bank of America (BofA), pour la protection d’une partie de son écosystème marin. C’est la deuxième opération du genre sur le continent après les Seychelles.
L’Initiative de la BAD
Pour améliorer la prise en compte du capital naturel sur le continent, la BAD a lancé le 9 septembre 2021, une nouvelle initiative sur l’intégration du capital naturel dans le financement du développement en Afrique (Natural Capital for African Development Finance, NC4-ADF).
Ce programme de 2 ans promeut les meilleures pratiques pour intégrer le capital naturel dans l’architecture du financement du développement. Un autre axe d’intervention porte sur les moyens d’amener les agences de notation à intégrer les considérations de croissance verte et de capital naturel dans les notations de risque souverain et de crédit des pays africains.
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NC4-ADF est soutenue par le Fonds mondial pour la nature (WWF), le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) à travers son agence dédiée (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, GIZ), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), la Fondation MAVA, l’Institut international pour le développement durable (IISD) ainsi que le partenariat Economics for Nature (E4N) qui vise à mettre le capital naturel au cœur des économies.
Boris Ngounou