L’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous est une question qui demeure encore non résolue en Afrique. Les raisons vont de la mauvaise gestion de la ressource en eau disponible, à la prolifération des boues de vidange évacuées sans traitement dans l’environnement. À l’occasion de la journée mondiale de l’eau 2022, AFRIK 21 propose un gros plan sur les méthodes de gestion de l’eau à travers le continent, leurs impacts sur la préservation de la ressource et le lien avec l’assainissement, sans oublier les solutions alternatives mises en place par les États à l’heure où pointe de nouveaux défis tels que la sécheresse qui accompagne le réchauffement climatique.
Même si la situation n’est évidemment pas uniforme sur l’ensemble du continent, l’Afrique rencontre d’énormes difficultés quant à la sécurisation de l’accès à l’eau et à l’assainissement. S’agissant de l’eau, le fossé entre l’offre et la demande demeure très important malgré l’adoption en 2015 de l’objectif de développement durable (ODD) N°6, fixé par l’Organisation des Nations unies (ONU) qui prévoit notamment l’accès universel à l’eau d’ici à 2030. Cette ressource est nécessaire pour l’approvisionnement des populations (eau potable) et le développement de diverses activités, notamment l’agriculture, l’élevage, etc.
Deux cas de figures. Dans les pays qui regorgent naturellement de ressources en eau (de surface, souterraine, issue des mers et des océans) à l’instar de la Côte d’Ivoire dans la sous-région Afrique de l’Ouest, la difficulté de la sécurisation de l’accès à l’eau se justifie davantage par le manque de moyens pour construire les infrastructures, ou encore la pollution et le gaspillage de la ressource. Le scénario est tout autre dans les pays au climat aride. Il s’agit notamment de l’Égypte, du Maroc, de l’Algérie, du Kenya, de la Mauritanie, de la Namibie, etc.
L’accès universel à l’assainissement par les Africains, à l’horizon 2030 est l’autre élément central de l’ODD n°6 de l’Agenda des Nations unies. Concernant ce secteur également, les progrès sont plus lents en Afrique subsaharienne avec à peine 30 % de la population qui bénéficie actuellement de services sanitaires sécurisés selon l’ONU. Les différentes problématiques ainsi présentées impactent lourdement le développement social et économique des pays africains, alors même certains sont déjà en « état d’alerte ».
Des politiques de riposte pour l’accès à l’eau
Depuis quelques années, une course contre la montre est engagée par les gouvernements africains pour se rapprocher, voire atteindre l’ODD n°6 de l’Agenda des Nations unies. Dans les pays où la ressource en eau est abondante, les systèmes d’adduction d’eau potable (AEP) se multiplient. Il s’agit d’installations qui permettent le transport de l’eau de sa source (la nappe phréatique) à son lieu de consommation. C’est à travers le Programme « Eau pour tous » que la Côte d’Ivoire structure son engagement en 2017. Au terme de l’année 2021, le bilan émanant du président de la République de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, faisait état de plus de 80 % d’Ivoiriens vivant en zone urbaine et plus de 70 % en zones rurales desservis en eau potable. S’agissant des branchements sociaux, plus de 100 000 ménages à Abidjan et ses périphériques ont été connectés à date au réseau de la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (Sodeci). Le programme « Eau pour tous » vise la couverture universelle à l’eau potable de tous les Ivoiriens d’ici à 2030. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, le gouvernement traite également les eaux de surface dans des usines pour assurer l’approvisionnement continue des populations.
Outre les initiatives nationales, la Côte d’Ivoire bénéficie de quelques projets sous-régionaux pour améliorer son approvisionnement en eau potable, notamment le Programme BID-UEMOA d’hydraulique et d’assainissement. Ce dernier est mis en œuvre en Afrique de l’Ouest grâce à un investissement global d’environ 54 milliards de francs CFA (plus de 82 millions d’euros) Plus de cinq ans après son lancement à Dakar, au Sénégal, l’initiative a permis l’installation de 940 forages équipés de pompes à motricité humaine, de 209 mini adductions d’eau fonctionnant à l’énergie solaire hybride, de 21 adductions d’eau multi-villages et de 6 postes d’eau autonomes dans les États membres de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
L’Afrique de l’Ouest n’est évidemment pas la seule à se soucier de la desserte en eau potable de ses populations. Dans les sous-régions Afrique de l’Est, du Nord, australe et centrale, on observe également une diversité de projets. Au Cameroun par exemple, le gouvernement prévoit de construire 20 stations de potabilisation, à travers la Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater), l’office public de l’eau. La capacité totale envisagée pour les futures installations est de 300 000 m3 par jour au cours de prochaines années. Le projet initié en 2018 et lancé en février 2022 fera passer la capacité d’approvisionnement en eau potable des populations à 85 % en 2032 seulement, alors que 75 % étaient espérés dès la fin 2022 par le Cameroun.
L’implication des partenaires au développement et autres institutions
Outre les gouvernements africains, les partenaires au développement contribuent fortement à améliorer les services d’approvisionnement en eau sur le continent, principalement en Afrique subsaharienne où plus de 400 millions de personnes ne reçoivent pas d’eau potable.
En plus du financement, émergent aussi des politiques publiques sur l’eau. En décembre 2021, le Conseil d’administration de la Banque africaine de développement (BAD) a approuvé une nouvelle stratégie de l’eau pour la période 2021-2025. Le document intitulé, « Vers une Afrique sûre sur le plan de l’eau » comporte quatre axes d’intervention. Il s’agit notamment d’assurer la gestion intégrée et durable des ressources en eau, d’augmenter la disponibilité des ressources en eau pour la production alimentaire et la nutrition améliorée et de soutenir la fourniture des services d’eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH). En effet, l’eau et l’assainissement ont un impact direct sur l’amélioration de l’hygiène et de la santé car ils permettent de rompre le cycle de transmission de nombreuses maladies d’origine hydrique.
L’assainissement est également un chantier important en Afrique. Entre la réduction de la défécation en plein air et de la pollution causée par les déchets solides et les eaux usées, il y’a de quoi faire pour les gouvernements et les partenaires au développement. En février 2021, la BAD, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) et Grid-Arendal publient « L’Atlas de l’assainissement et des eaux usées ». Le document évalue les progrès de l’Afrique pour atteindre la réalisation des ODD et d’autres aspirations, notamment l’Agenda 2063 de l’Afrique et la Vision africaine de l’eau 2025, à travers des cartes, des graphiques et des profils de tous les pays africains, y compris des analyses de leurs ressources en eau et de la fourniture de services essentiels.
L’Atlas explore également les approches d’économie circulaire qui peuvent conduire à la mise en place de meilleures infrastructures d’assainissement. Quelques mois plus tard, en juillet 2021, c’était au tour du Conseil des ministres africains chargés de l’eau (Amcow) de présenter les Directives africaines pour l’élaboration de politiques d’assainissement (ASPG) en Afrique. À en croire le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 2,3 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à un assainissement sécurisé sur le continent et 892 millions de personnes pratiquent encore la défécation en plein air.
La BAD mise également sur la gestion améliorée de l’eau pour l’agriculture et des investissements qui soutiennent diverses activités dans les zones arides. Mais là encore, il faudra braver la sécheresse qui impacte les ressources en eau.
Quelles solutions pour préserver la ressource ?
Pour sécuriser l’approvisionnement en eau des ménages, des agriculteurs ou encore des pêcheurs dans les zones arides en Afrique, il est urgent de préserver la ressource restante.
Une panoplie d’initiatives est déployée dans les pays concernés. Entre la construction des retenues d’eau, la rétention des eaux pluviales et la valorisation de la pratique de l’irrigation au goutte-à-goutte, moins consommatrice en eau et en électricité par rapport à l’irrigation par inondation. Le Maroc, accablé par une sécheresse exceptionnelle expérimente ces différentes pratiques. Son voisin, l’Égypte va plus loin : une loi sur l’imposition des taxes sur l’eau d’irrigation est à l’étude depuis 2021. La législation qui sera votée contribuera aussi à la lutte contre la pollution par les eaux usées. Ces effluents, une fois traité, pourront être valorisés pour les activités consommatrices d’eau comme l’agriculture ou pour la réalimentation des nappes, limitant ainsi les déficits en eau engendrés par le changement climatique.
Selon les Nations unies, environ 3 milliards de personnes devraient être confrontées au stress hydrique d’ici à 2025. Pour faire face à ce phénomène, les spécialistes de l’eau comme Suez préconisent la valorisation des eaux usées traitées, pas encore assez exploitée en Afrique. Autres utilisations possibles : l’arrosage des espaces verts ou comme ressource pour l’industrie.
En Afrique, l’Égypte fait partie des pionniers de la réutilisation des eaux usées traitées (Reuse), avec de nombreuses usines en service ou en construction. Le pays des pharaons est soutenu par plusieurs entreprises dont le géant de l’environnement Suez, qui a construit la station de Gabal El Asfar, sur la rive Est du Nil. Dans le pays, l’entreprise émirienne Metito, Hassan Allam Construction, une société d’ingénierie basée en Égypte ou encore Orascom Construction basé au Caire développent également des projets Reuse. Pour l’Égypte, cette source alternative à l’approvisionnement en eau des agriculteurs par le Nil permettrait d’économiser près de 2 milliards de m3 d’eau douce par an.
Au Maroc, Suez met en œuvre la Reuse à partir de la station d’épuration de Médiouna, située dans la région de Casablanca-Settat et mise en service en 2017. Outre des projets développés en partenariats public-privé (PPP), des programmes plus globaux existent dans plusieurs pays.
Comment les solutions non conventionnelles changent la donne
Ces dernières années, l’Afrique a fait des progrès significatifs en termes d’accès à l’eau face à la sécheresse. En Namibie où des milliers de personnes n’ont pas accès à l’eau en raison de la pénurie, le gouvernement mise sur le recyclage des eaux usées. Dans le pays d’Afrique australe, cette solution est appliquée depuis plus de 50 ans. Une usine exploitée par Wingoc (Windhoek Goreangab Operating Company), le consortium formé par Veolia et VA Tech Wabag, fournit ainsi plus d’un tiers de l’eau potable à la ville de Windhoek.
Pour éliminer tout risque sanitaire, l’usine emploie des technologies de pointe « à barrières multiples ». Elles assurent une qualité de l’eau potable qui répond bien aux normes les plus élevées et garantissent que la santé des consommateurs ne sera pas affectée. Des projets similaires sont en cours dans d’autres villes de la Namibie, notamment Walvis Bay.
Pour le moment, la Namibie est le seul pays à réutiliser directement les eaux usées traitées en eau potable. Au Maroc, le Programme national d’assainissement liquide mutualisé (PNAM) vise la réutilisation des eaux usées traitées en réponse au stress hydrique. Il s’agit de la version révisée (en 2019) du Programme national d’assainissement liquide et d’épuration des eaux usées (PNA), lancé en 2005 pour améliorer l’assainissement et préserver les bassins hydrauliques de la pollution dans plusieurs communes.
Avec le PNAM, le gouvernement marocain veut réaliser 87 projets, dont 22 concernent l’arrosage des terrains de golf avec un financement de 2,34 milliards de dirhams marocains (près de 220 millions d’euros), promis par le gouvernement du Maroc d’ici à 2027. Le royaume vise la fourniture de 100 millions de m3 d’eaux usées traitées aux Marocains par an à cette échéance. En 2050, ce chiffre devrait passer à près de 340 millions de m3 par an, soit un taux d’épuration de 80 % à l’échelle du pays. Un autre programme marocain devrait améliorer l’approvisionnement en eau dans le secteur de l’agriculture à l’horizon 2027. Il s’agit du Programme prioritaire d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027. L’initiative permettra aussi la construction d’usines de dessalement de l’eau de mer, une autre démarche d’économie circulaire appliquée au cycle de l’eau, nettement plus chère et plus énergivore que la Reuse.
En Égypte, le gouvernement prévoit la construction de 67 usines de dessalement de l’eau de mer d’ici à 2050. Un programme ambitieux qui nécessitera un investissement global de 435 milliards de livres égyptiennes, 27,4 milliards de dollars. Les autorités égyptiennes mettront en œuvre ce vaste plan avec le soutien des acteurs privés à travers notamment des partenariats publics-privés (PPP). Des projets comme ceux évoqués ici existent également en Algérie, en Tunisie ou encore en Afrique du Sud où les besoins en eau potable sont également importants.
S’agissant du dessalement, des systèmes conteneurisés, alimentés à l’énergie solaire, investissent également les marchés africains depuis quelques années. Les petites stations mobiles sont le plus souvent déployées dans les zones rurales. De nombreuses start-up fournissent ces solutions en Afrique, notamment Mascara Renewable Water, Boreal Light, Water Access Rwanda, WaterKiosk Africa, et Grino Water Solutions.
Inès Magoum
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