Employée pour la première fois en 1955 par le psychologue et sexologue John Money dans son article intitulé le « rôle de genre », la notion de genre a évolué au fil des années et s’invite en 2023 au cœur de nombreux débats. Toute la question réside dans l’accès des femmes à l’éducation et à la santé, dans leur représentativité politique et leur participation économique. Dans cet article rédigé en prélude à la Journée internationale de la femme africaine qui se célèbre le 31 juillet prochain, AFRIK 21 s’intéresse surtout à l’évolution du plaidoyer en faveur de l’égalité de genre dans le financement des entreprises et des start-up. Une inégalité qui demeure importante, malgré les actions entreprises.
Dans la société actuelle, l’homme et la femme sont inégaux. Au-delà de la physiologie qui est dans l’ordre naturel des choses, l’écart entre les sexes s’observe dans la représentative politique, l’accès à l’éducation, à la santé et au financement, indique un rapport du Forum économique mondiale (FEM) où cet écart est estimé à 0,69 sur le continent, en deçà de la moyenne mondiale qui est de 0,71.
Si les progrès, bien que « lents et fragiles » sont faits depuis plusieurs années pour réduire l’inégalité dans le traitement, que l’on soit un homme ou une femme, ces progrès ont été sapés par des chocs tels que le Covid-19 et d’autres conflits. Par exemple, les financements destinés aux entreprises ont alors été réduits en faveur de l’aide humanitaire. Pour ce qui est du financement restant, ce sont des entreprises dirigées par les hommes qui se taillent la part du lion.
Selon le rapport Diversity Dividend : Exploring Gender Equality in the African Tech Ecosystem publié en 2023 par Disrupt Africa, une plateforme d’information spécialisée dans les écosystèmes technologiques en Afrique, les start-up africaines dirigées par des hommes capteraient plus de 97 % des financements contre moins de 3 % pour celles dirigées par les femmes. Et ce n’est pas l’apanage des jeunes entreprises.
D’abord il y’aurait peu d’entreprises dirigées par des femmes
Dans le secteur agricole notamment, ce déficit de financement destiné aux femmes en Afrique est estimé à 15,6 milliards de dollars selon le rapport intitulé : Innovations politiques pour mettre les femmes au centre de la transformation des systèmes alimentaires en Afrique, publiés récemment par le Panel Malabo Montpellier, un groupe d’experts internationaux en agriculture qui déterminent des choix politiques permettant d’accélérer les progrès vers la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique.
S’il a été démontré que l’autonomisation des femmes stimule la productivité et la croissance économique d’un pays, encore faudrait il qu’elles aient bénéficié d’une formation technique qui leur permet de créer des activités génératrices de revenus. Seulement, en Afrique subsaharienne à peine 42 % de femmes terminent l’enseignement secondaire selon Erick Yong, le cofondateur et PDG de Greentec Capital Partners, une société allemande d’investissement spécialisée dans les start-up et les petites et moyennes entreprises (PME) africaines. « Je ne parle même pas de celles qui suivent une formation technique. Cela s’explique par un contexte culturel. Je pense que pour que la situation change, il faut un réajustement fondamental à partir de la base », indique le responsable.
Ensuite, les start-up existantes choisiraient des secteurs peu attrayants et qui demanderaient moins de financements
Pour certaines institutions financières opérant en Afrique, les femmes créeraient majoritairement des entreprises ou des start-up axées sur l’éducation et la santé. Des domaines qui demanderaient moins de financements contrairement aux domaines comme l’ingénierie ou encore la fintech choisis par les hommes et qui demandent davantage de fonds.
Ce choix s’expliquerait selon certains partenaires au développement par le manque de confiance des femmes pour se lancer dans ce type de domaines, à tort catalogués comme des domaines où l’homme excellerait le mieux.
Les normes sociales traditionnelles seraient également un obstacle majeur à l’égalité de genre dans le financement
Les normes et les stéréotypes sociaux constituent aussi un frein majeur à l’accès des femmes au financement. Une incapacité à accéder au financement qui selon l’Affirmative Finance Action for Women in Africa (Afawa), devrait réduire le produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique de 316 milliards de dollars d’ici à 2025.
En 2023 encore, certaines communautés décrivent le rôle de la femme comme un rôle de second plan. Ces communautés entretiennent toujours un idéal de « femme au foyer » qui s’occupe de l’éducation des enfants et qui doit faire montre d’un caractère discret et soumis à son mari. Aussi, pourquoi aura-t-elle besoin d’aller à l’école pour travailler plus tard dans le but d’obtenir une indépendance financière ? Une question que se posent les chefs de famille dans ces communautés là, avant de balayer d’un revers de la main l’avenir des jeunes filles.
Dans les pays comme le Nigeria et l’Éthiopie par exemple, les femmes ont le niveau d’éducation le plus bas d’Afrique et du monde. En moyenne 40 % des filles abandonnent les études après l’école primaire. Environ 50 % quittent l’école avant l’âge de 18 ans (contre 30 % et 20 % en Afrique du Nord et du Sud-Est), et seulement 5 % atteignent l’université, selon l’analyse « Voix des femmes africaines : Recadrer le récit sur le rôle des femmes dans les sociétés africaines » publiée en mai 2023 par Boston Consulting Group (BCG). À l’éducation auxquelles les jeunes filles sont privées, il y a également le droit à la propriété pour entreprendre.
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À cela s’ajoutent plusieurs autres défis notamment un risque de prêt élevé, des taux d’intérêt prohibitifs, le manque de garanties, les obstacles à la participation posés par les cadres juridiques et réglementaires en place, ainsi que le faible penchant des institutions financières à répondre de manière appropriée aux besoins des entrepreneurs africains. Pourtant, investir dans les entreprises féminines crée une réaction en chaîne pour le mieux. « Les gouvernements ont une meilleure perception des impôts, les institutions financières ont plus de clients et génèrent plus de revenus, les entreprises et le secteur de la vente au détail ont également un plus grand nombre de clients, ce qui augmente les revenus, les ménages et les communautés qui entourent ces femmes bénéficient de plus de revenus et d’une meilleure qualité de vie », affirme Jules Ngankam, le PDG d’African Guarantee Fund (AGF).
L’initiative AFAWA Guarantee for Growth d’AGF pour renforcer le financement des entrepreneures femmes en Afrique
Et c’est ce que s’attèle à faire l’AGF qui veut inclure un minimum de 30 % de femmes comme cadres supérieurs, plus de 40 % de femmes dans son personnel et soutenir les entreprises détenues et dirigées par des femmes par le biais de l’une de ses initiatives de garantie AFAWA Guarantee for Growth (G4G), qui offre une approche à plusieurs volets pour répondre aux contraintes auxquelles les femmes entrepreneures sont confrontées en Afrique. Ces volets sont des prêts, une assistance technique par le biais de service de conseil, ainsi que des soutiens aux gouvernements africains et les principales parties prenantes pour offrir un soutien et aider à éliminer les obstacles qui entravent le succès des entreprises détenues et dirigées par des femmes.
C’est cette initiative qui a valu à l’AGF d’obtenir l’accréditation « 2X Challenge Investment » en juillet 2022. Pour mémoire, le « Défi 2X » (en français) a été lancé lors du Sommet du G7 de 2018 sous la forme d’un engagement des institutions financières de développement (IFD) à mobiliser collectivement 3 milliards de dollars d’investissements du secteur privé sur les marchés des pays en développement sur une période de 3 ans. S’agissant de l’AGF, créée en 2011 par le gouvernement danois, le gouvernement espagnol et la Banque africaine de développement (BAD) avec pour mandat de faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises (PME), son ambition est de faire progresser l’entrepreneuriat féminin au Kenya et en Afrique dans son ensemble.
« Bien que le Kenya ait le troisième taux le plus élevé d’inclusion financière des femmes en Afrique, avec plus de 78 % de la population féminine détenant un compte bancaire, plus de 90 % des PME féminines ont recours à leur propre épargne plutôt qu’à l’emprunt pour lancer, exploiter ou développer leur entreprise. Ce qui est improbable », souligne Jules Ngankam, le PDG d’AGF.
Faire la part belle à la formation et la sensibilisation
Outre l’octroi du financement, Melvyn Lubega, associé chez Breega, un fonds de capital-risque européen destiné à financer les start-up de l’économie numérique, estime que l’avancée du plaidoyer en faveur de l’égalité de genres dans le financement en Afrique passe aussi par des formations techniques des femmes, l’accompagnement des start-up avec un apport en capital, mais aussi du point de vue de l’opérationnalisation. Et dans ce cadre, Breega a mis sur pied toute une équipe composée d’experts en ressources humaines, en communication, en Growing Business qui accompagne de façon très concrète les start-up.
Par ailleurs, Breega mise sur la sensibilisation des investisseurs « pour leur dire qu’on peut aussi avoir un important retour sur investissement même sur des sujets sociétaux », précise Melvyn Lubega. Une stratégie qui est encore très peu ancrée dans les habitudes des institutions financières aujourd’hui.
Inès Magoum
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