Selon l’International Energy Agency (IEA), 320 millions de personnes ont été raccordées à une source d’électricité entre 2010 et 2018. Toutefois, la croissance de la population implique que de plus en plus d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Ils étaient 590 millions fin 2018.
Trois solutions majeures existent pour alimenter durablement les populations en électricité : l’extension du réseau, les systèmes individuels et les mini-réseaux. Le choix économique entre ces différentes options est essentiellement lié à la distance au réseau, à la densité de population et au niveau de service requis.
L’extension du réseau reste le moyen le plus classique, mais il présente plusieurs inconvénients. Il peut se révéler très cher pour les populations rurales et n’offre pas toujours une bonne qualité de service (cas dits de « bad-grid »). Dans sa publication « Africa Energy Outlook », l’IEA considère que cette option n’est la plus économique que pour 45 % de la population continentale.
Les systèmes individuels de production d’électricité comme les lampes solaires ou les systèmes solaires domestiques (Solar Home Systems, SHS en anglais) sont un moyen très efficace de fournir un service de qualité sommaire aux régions à faible densité de population. Les fabricants et distributeurs de SHS (BBOXX, Mobisol, Fenix International, Total, Schneider Electric…) ont connu une croissance notable ces dernières années. Cependant, ces systèmes restent des solutions de transition utilisées pour alimenter surtout de petits appareils.
Les mini-réseaux, ou « mini-grids », isolés du réseau national, ont commencé à prendre de l’ampleur au cours des 5 à 10 dernières années. Si la population est suffisamment dense, ils présentent une qualité de service similaire à une extension du réseau alors même qu’ils s’avèrent moins chers que les systèmes individuels. Les mini-réseaux pourraient être la solution la plus économique pour électrifier 30 % de la population africaine n’ayant pas encore accès au réseau.
Chez Infinergia, nous avons analysé le contexte industriel mondial, mais aussi les projets et le cadre réglementaire en nous concentrant sur 21 pays africains (et 11 asiatiques) où les mini-réseaux sont déjà présents ou pourraient l’être prochainement.
Qu’est-ce qu’un mini-réseau ?
Les mini-réseaux peuvent être définis comme la connexion d’une ou plusieurs sources de production d’énergie décentralisée, d’une puissance maximale comprise entre 10 kW et 10 MW, à destination de plusieurs clients par le biais d’un réseau local. Ces systèmes sont complètement isolés du réseau national. S’ils ne le sont pas, on parle plutôt de micro-réseaux (« micro-grids »), plus communs en Amérique du Nord ou en Europe. Si la puissance du système n’atteint pas 10 kW, on parle alors de nano-réseaux (« nano-grids »).
La plupart de ces installations produisent et distribuent de l’électricité à des communautés (le plus souvent des villages), mais peuvent également être utilisées à des fins commerciales, industrielles, militaires ou agricoles.
Les mini-réseaux ne sont pas nécessairement une source d’énergie propre. En Afrique, les premiers utilisaient d’ailleurs souvent des générateurs diesel comme unique source d’énergie. La chute des prix des panneaux solaires au cours des dix dernières années a favorisé le développement de mini-réseaux solaires. Désormais, la majorité des installations sont hybrides. Elles emploient des panneaux photovoltaïques, couplés à des batteries pour disposer de l’électricité la nuit, mais sont aussi souvent reliées à des générateurs diesel de secours pour assurer une alimentation suffisante.
Principaux composants d’un mini-réseau
Un potentiel de 5 500 à 17 000 nouveaux mini-réseaux solaires d’ici à 2026
En Afrique, plus de 1 000 mini-réseaux solaires déjà installés ont été identifiés. La majeure partie se trouve au Sénégal, au Cameroun et au Nigeria. Parmi ceux-ci, environ 190 (près de 20 %) ont été mis en service en 2019.
Concernant les projets futurs, nous estimons que d’ici 2026, entre 5 500 et 17 000 nouveaux mini-réseaux solaires pourraient être construits. Pour établir ces chiffres, nous avons recensé, au cours des 5 dernières années, de nombreux appels d’offres, annonces médiatiques et autres objectifs gouvernementaux ou privés, que nous avons confrontés à des enquêtes de terrain. Dans ce contexte, il serait très optimiste de considérer que tous ces projets déboucheront à court terme sur des projets fonctionnels. Afin de caractériser leur niveau de certitude, nous les avons ainsi distingués en trois catégories :
- Les projets installés ont été identifiés comme tels et devraient rester en service les prochaines années. Il convient de noter qu’une partie (non quantifiable) de ces projets pourrait rencontrer des défaillances techniques.
- Les projets planifiés ou en construction ont été financés, ont fait l’objet d’un appel d’offres qui a été attribué à une entreprise. Ils ont une très forte probabilité d’être finalisés, même si des retards peuvent survenir quant à la date de mise en service annoncée.
- Les objectifs nationaux ou privés sont des engagements (généralement pas ou peu financés) pris par des entreprises ou des gouvernements pour construire un certain nombre de mini-réseaux, généralement sans qu’un emplacement précis ne soit pour l’instant identifié. Ils témoignent d’une certaine ambition, mais doivent être considérés avec prudence.
Les cadres réglementaires des mini-réseaux se renforcent dans la plupart des pays africains, mais restent très inégaux
Chez Infinergia, nous avons également élaboré un indicateur permettant de comparer le développement du marché des mini-réseaux dans plus de 30 pays dans le monde. En analysant leurs conjonctures économiques, leurs cadres réglementaires, les projets annoncés et existants et la présence locale des acteurs de mini-réseaux, nous comparons, année après année, l’évolution de ces pays.
Depuis trois ans, les cadres réglementaires des mini-réseaux ont globalement évolué positivement en Afrique. Huit pays (l’Éthiopie, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, la Zambie, le Ghana, le Mozambique et le Nigeria) ont atteint un stade de maturité élevé. Plus de 75 appels d’offres publics pour des projets de mini-réseaux ont été publiés au cours des deux dernières années, de nouvelles réglementations encadrant le développement des mini-réseaux ont été établies (encadrement des tarifs, subventions, licences pour les opérateurs privés, possibilité de connecter le mini-réseau au réseau principal…). L’Éthiopie et le Kenya affichent des objectifsrécents d’électrification rurale incluant le développement de mini-réseaux. En outre, le financement international visant à promouvoir le développement de l’électricité hors réseau a augmenté (FEI OGEF, Alliance solaire internationale, Banque mondiale…).
Néanmoins, les marchés historiques des mini-réseaux comme le Sénégal ou Madagascar sont confrontés à des incertitudes quant à la volonté des gouvernements de les développer. Bien que toujours ces pays soient toujours actifs en termes de projets, certaines réponses réglementaires et les financements clés assortis sont encore nécessaires pour atteindre les différents objectifs annoncés officiellement.
L’innovation technologique est une réponse aux difficultés d’installation des mini-réseaux, mais ce n’est pas la seule
Les défaillances techniques sont courantes dans les environnements d’Africains. Ainsi, seuls 25 à 35 % des mini-réseaux installés au Sénégal entre 1996 et 2011 sont aujourd’hui encore fonctionnels. Les batteries, par exemple, sont un élément clé des mini-réseaux solaires. Elles sont à la fois le composant le plus coûteux et le plus vulnérable aux conditions extérieures. La chaleur peut ainsi avoir un impact déterminant sur l’espérance de vie de la batterie. En particulier pour les batteries au plomb qui équipent à ce jour la majorité des installations. En outre, l’utilisation de diverses sources d’énergie ajoute une complexité qui doit être gérée par un système de gestion de l’énergie ou Energy Management System (EMS) qui doit être à la fois efficace et résistant pour permettre au smart grid de devenir… durable.
Au niveau du système lui-même, il existe aujourd’hui un manque de normalisation dans le processus de construction des mini-réseaux. Aujourd’hui, la plupart de ceux-ci sont conçus sur mesure. Une fois le projet financé et les besoins de la communauté établis, un installateur (ou Engineering, Procurement, and Construction firm, EPC) est choisi pour concevoir le système le plus adapté. Une pièce spécifique (climatisée ou non) est alors fabriquée pour accueillir les différents composants (onduleur, batteries…). L’installation (souvent via de la main-d’œuvre locale) assemble chaque composant sur place. Ces systèmes sont difficiles à dupliquer et ne permettent pas ou peu aux développeurs de projet de capitaliser sur leur expérience.
Pour faire face à ces difficultés, de plus en plus de développeurs de projets utilisent des solutions standardisées containerisées. Ces produits peuvent être assemblés dans la même usine et il suffit ensuite de les distribuer et de déplier leurs panneaux solaires sur place.
Ces systèmes présentent plusieurs avantages :
- Ils sécurisent la plupart des coûts cachés qui apparaissent souvent dans les projets sur mesure (pièces manquantes, vol, fourniture de composants divers, faible qualité de l’..).
- Lorsqu’ils atteignent une échelle assez grande, l’amélioration continue des projets permet de tirer les coûts vers le bas.
- Ils permettent également l’intégration de technologies plus innovantes (ex. de nouvelles chimies de batteries, des EMS plus intelligents) que l’intégrateur peut mieux maitriser.
- En cas d’instabilité politique, climatique ou de menace quelconque sur l’équipement, celui-ci peut être déplacé, ce qui rassure les investisseurs et facilité de développement du service.
En analysant les principaux projets des intégrateurs de solution containerisées (ex. Redavia, Schneider Electric, Winch Energy, Africa Greentec…), nous avons identifié 30 projets (pas seulement l’électrification rurale) affréteurs de 119 conteneurs installés dans le monde fin 2019.
Ces réponses techniques sont un pas important en faveur du développement des mini-réseaux. Néanmoins, les longsdélais d’installation et les défaillances de certains mini-réseaux peuvent être causés par des délais réglementaires ou des choix politiques (ex. choix du système le moins cher au détriment de sa longévité, retard aux douanes pendant lesquels les batteries s’usent…). L’innovation technologique ne doit pas occulter le fait que le principal frein au développement de ce marché est politique et financier.
Un avenir solide avec des incertitudes à court terme
Cependant, même en considérant notre scénario le plus pessimiste, nous estimons que le marché des mini-réseaux devrait connaître une croissance nominale minimum de 20 % au cours des six prochaines années, à l’échelle mondiale. La croissance de ce marché n’est pas limitée par son potentiel ou par la volonté des entreprises et des pays de développer ces systèmes, mais par des questions techniques et financières. En effet, le business model des mini-réseaux exploités par des organisations privées n’a pas encore fait ses preuves et la plupart des projets reposent encore sur des subventions nationales ou internationales. Ils sont donc fortement précarisés par les situations d’instabilité politique et le bon-vouloir des organisations internationales en matière de programmes de financement.
En outre, l’environnement difficile de la plupart des mini-réseaux crée un besoin de solutions plus fiables afin de réduire le coût de maintenance des projets sans en augmenter l’investissement initial. Les innovations technologiques (batteries, systèmes de gestion de l’environnement…) et les nouveaux formats d’intégration tels que les mini-réseaux standardisés conteneurisés sont les principaux moteurs pour résoudre ces problèmes.
Baptiste Possémé, Senior Consultant
Benjamin Lasne-Laverne, Consultant Junior
Infinergia