Au moment où le marché des véhicules d’occasion explose en Afrique, l’électrification du transport et l’adoption des pratiques durables dans le secteur suscitent un intérêt particulier. D’abord, au regard du faible pouvoir d’achat sur le continent, de l’augmentation des décès liés à la pollution atmosphérique et aussi le déficit d’infrastructures malgré l’implication du secteur privé. Des enjeux majeurs qui en l’absence d’une politique harmonisée rendront l’Afrique presque absente du business des véhicules électriques.
Selon l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA), l’Afrique ne représente que 2 % du parc automobile mondial avec notamment 43 voitures pour 1 000 habitants contre 565 en Europe. Moins de 1,1 million de véhicules neufs y ont été vendus en 2017. C’est trois fois moins que sur le vieux continent. Cela se comprend facilement quand on sait que le sud du Sahara en particulier est la première destination des véhicules d’occasion avec en tête de classement le Nigeria, la Libye, la Tanzanie, la Guinée et le Ghana. D’après un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publié en 2018, ces pays ont enregistré à eux seuls 47 % des 14 millions d’unités exportées parfois depuis l’Asie. Et justement, parmi les marques de voitures usagées les plus en vue sur les routes africaines figurent Toyota (Japon) et Hyundai (Corée du Sud).
S’il est vrai que ce marché secondaire fait face à plusieurs difficultés notamment l’absence de réseau de distribution, le manque d’usines locales, des garages de petite taille, de fausses pièces détachées, ainsi que les barrières douanières, il faut reconnaitre que l’Afrique affiche une vétusté sans pareil de son parc automobile au fil des années. À cela s’ajoute désormais l’approvisionnement en carburant rendu difficile dans certains pays par l’augmentation des prix, elle-même exacerbée par les conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine. Dans ce contexte où se greffe la croissance démographique d’une sous-région à l’autre, la pollution du secteur de l’automobile défraie la chronique, aujourd’hui plus qu’hier.
Mobilité urbaine et Transition énergétique
Des études démontrent que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) générées par les véhicules à combustion interne (carburant et diesel) contribuent fortement à la dégradation de la qualité de l’air notamment en zone urbaine, ainsi qu’à des risques de santé importants tant pour les conducteurs que pour les passagers. De ce fait, une grande partie de la planète commence à s’accorder sur la nécessité de la décarbonation des transports. Cette transition énergétique escomptée fait réfléchir sur le concept du « tout-électrique », quoique controversé.
En effet, si l’on prend en compte l’ensemble du cycle de vie, de la fabrication au recyclage de ces véhicules dits non polluants, le bilan carbone est lourd. « Pour fabriquer la batterie qui l’alimente en électricité, il faut aller chercher les métaux parfois à l’autre bout du globe (cobalt, graphite, manganèse, lithium, nickel…) et leur extraction demande une quantité phénoménale d’énergie. Sans compter l’eau et des adjuvants chimiques, extrêmement nocifs pour l’environnement », explique l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) à nos confrères du Parisien.
Cela n’empêche pas certains pays africains de suivre le mouvement du « tout-électrique », confiant que c’est la solution idoine pour freiner l’impact environnemental des transports. En la matière, l’Afrique de l’Est apparait comme le meilleur élève pour le moment. Et pour preuve, entre 2017 et 2023 des start-up multiplient leur entrée dans l’univers de l’assemblage des motos, tricycles, taxis et surtout des autobus, entièrement électriques. Parmi ces jeunes pousses figure BasiGo. Dirigée par Jit Bhattacharya, la start-up basée au Kenya et lauréate 2022 du prix « Keeling Curve » sur l’innovation climatique rafle la mise du transport électrifié dans la capitale Nairobi et propose même aux opérateurs de service public (PSV) une formation à la conduite écoresponsable avec le centre Advanced Mobility Africa.
À 1 300 kilomètres de là, Ampersand se distingue par une application de type Pay-as-you-drive qui rationalise les opérations commerciales de sa clientèle des deux-roues électriques à Kigali. À en croire l’entreprise qui revendique 1 000 motos commercialisées au Rwanda, une telle solution de paiement mobile vise à développer une alternative à l’utilisation des véhicules thermiques en permettant aux chauffeurs d’économiser jusqu’à 40 % dans l’acquisition de leurs e-motos. Ce qui devrait favoriser la réduction de 4,6 millions de tonnes d’émissions de CO2 d’ici à 2030 au Rwanda, selon ses dirigeants.
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À côté de ces solutions proposées par les entrepreneurs, les gouvernements commencent à réaliser des projets d’envergure pour répondre à la fois à l’insuffisance des infrastructures de transport et à la réduction de l’empreinte carbone du secteur. C’est le cas du Sénégal où les populations de la capitale Dakar attendent impatiemment la mise en service du tout premier Bus Bapid Transit (BRT). C’est un projet réalisé par la firme française Meridiam, spécialisée dans le développement, le financement et la gestion de projets d’infrastructures publiques. À en croire les autorités du pays de la Teranga, l’initiative permettra de réduire de moitié le temps de parcours des habitants, ainsi que les émissions de 59 000 tonnes équivalent CO2 par an au moment où le gouvernement de ce pays d’Afrique de l’Ouest estime à 100 milliards de francs CFA (150 millions d’euros), les pertes économiques que les embouteillages engendrent annuellement à Dakar.
La Côte d’Ivoire voisine table sur la première ligne de métro d’Abidjan avec traction électrique qui devrait être opérationnelle d’ici à 2024, pour la desserte de 540 000 personnes. Les travaux de construction sont réalisés par la Société de transports abidjanais sur rail (Star) en partenariat avec la multinationale française Alstom, et Colas Rail, une filiale du groupe français Bouygues, toutes deux spécialisées dans l’ingénierie ferroviaire. La réhabilitation ou la construction de tels modes de déplacement sont envisagées dans plusieurs métropoles africaines. Seulement, cette transition qui vise la décarbonation des systèmes de transports se heurte à plusieurs défis liés en partie à l’absence de capitaux.
Les acteurs du financement en Afrique
Le financement du secteur demeure précaire en Afrique selon un rapport publié en 2022 par le constructeur automobile américain General Motors (GM) et le groupe de réflexion britannique Oxford Business Group (OBG). Pour l’heure, les quelques financiers et créanciers actifs sur le continent sont essentiellement des sociétés de capital-risque et des partenaires au développement. L’une des plus grosses enveloppes allouées depuis le début de 2023 est celle du Japon. En Égypte, l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica) a octroyé 319 millions de dollars pour le financement des travaux de la quatrième ligne de métro du Caire. Pour 2 millions de passagers ciblés, les travaux visent à relier Le Grand Caire au sud-ouest de la capitale égyptienne à travers la construction de 16 stations de trains. Le maitre d’ouvrage retenu par ce projet est la société égyptienne de bâtiment et travaux publics (BTP) Orascom Construction et Colas Rail. Elles installeront des systèmes de voies ferrées en partenariat avec d’autres entreprises locales de génie civil à l’instar d’Hassan Allam Construction et d’Arab Contractors Company (Arabco).
Pour mémoire, une enveloppe de 136 millions de dollars a été promise conjointement par l’Allemagne (114 millions de dollars), le Danemark (14 millions de dollars) et le Royaume-Uni (5 millions de dollars) lors de la 26e Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) qui s’est tenue en novembre 2021 à Glasgow en Écosse pour soutenir la mobilité verte en Afrique. La France en ce qui la concerne représente déjà l’Europe dans cette course au financement du transport durable en Afrique. C’est à juste titre que le Trésor français et les banques françaises BNP Paribas et Société Générale financent le métro d’Abidjan, pour un coût total qui n’a pas encore été dévoilé. L’hexagone est d’ailleurs très attentif sur le marché carbone qui peut booster le financement de la mobilité écologique.
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Et en la matière, Aera, un négociateur français de crédits carbone pour l’Afrique a conclu un partenariat avec la fondation suisse myClimate en vue de la vente de crédits carbone d’une valeur de 5 millions de dollars en faveur de Mauto Electric Mobility (M Auto). Devenu Spiro entre temps, le constructeur automobile indien a par ailleurs annoncé qu’il allait mettre en circulation jusqu’à 140 000 motos électriques et construire 3 000 stations d’échanges de batteries le long des artères de Kampala en Ouganda. Il s’agit d’un contrat d’investissement de 200 millions de dollars (754,6 milliards de shillings ougandais) signé avec les autorités locales qui y voient surtout un intérêt pour la création de 9 000 emplois.
Dans le même temps, la Banque africaine de développement (BAD) à travers le Fonds pour l’énergie durable en Afrique (Sefa) a accordé 1 million de dollars pour soutenir la mobilité électrique dans sept pays, dont le Nigeria, le Rwanda, l’Afrique du Sud et la Sierra Leone. En Afrique de l’Ouest, la Société financière internationale (SFI) finance directement les initiatives privées sur la mobilité inclusive et durable. Il y a quelques mois, la filiale du groupe de la Banque mondiale en charge du financement du secteur privé a promis 10 millions de dollars aux jeunes ingénieurs de Gozem pour le déploiement d’une flotte de 6 000 motos électriques au Bénin et au Togo avant 2024. C’est bien plus que les 6,6 millions de dollars qui ont été injectés dans le capital de BasiGo au second semestre 2022 par les sociétés d’investissements Keiki Capital, Trucks Venture Capital, Novastar Ventures et mobility54. Cette dernière opère en Afrique sous l’égide de Toyota Tsusho Corporation et du groupe CFAO (Corporation For Africa & Overseas).
Une opération similaire a été effectuée au premier semestre de l’année en cours par EVTech. La start-up de mobilité basée dans la ville ivoirienne de Grand-Bassam a effectué un tour de table de série A auquel ont participé des investisseurs nationaux et internationaux. Les fonds d’une valeur d’une valeur de 4,2 milliards de francs CFA (environ 6,4 millions d’euros) serviront au financement et au déploiement des bornes de recharges pour véhicules électriques, selon son fondateur Florent Thomas, interviewé par AFRIK21.
Batteries et solutions de recharges électriques, l’impasse
Et justement, l’insuffisance des installations de recharges reste l’autre défi majeur de l’expansion de la mobilité électrique en Afrique. Les industries pétrolières notamment ont vite fait de profiter de cette situation pour asseoir leurs stratégies de responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans certains pays. C’est le cas en Algérie où l’entreprise publique énergétique Sonelgaz et Naftal, la filiale de la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation, et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach), collaborent actuellement pour l’installation de 1 000 bornes de recharges pour véhicules électriques dans 58 wilayas, dont celles de Sidi Kaci, Zerizer, Ain Assel, El Tarf et Khanguet.
Outre ce pays d’Afrique du Nord où le secteur du transport génère 20 millions de tonnes de CO2 par an selon les chiffres officiels, de tels dispositifs sont de plus en plus répandus au Kenya, la capitale africaine de la mobilité électrique. Là-bas, le groupe pétrolier français TotalEnergies a déjà mis en service trois bornes de recharge dans ses stations de Hurlingham, Dagoretti et Mountain View pour alimenter les batteries des conducteurs des motos électriques à Nairobi. Il y a aussi des constructeurs automobiles qui misent sur les installations de recharge pour optimiser leur conversion au « tout-électrique ». On a par exemple vu l’américain Tesla étendre son réseau de super chargeurs de véhicules électriques (puissance maximale de 150 kW) entre 2021 et 2022 notamment à Agadir, Marrakech, Tanger, Casablanca et Rabat au Maroc. Mais la question à un million de dollars est celle de savoir si la marque automobile d’Elon Musk est en passe de s’installer durablement sur le continent, après une conquête réussie en Amérique du Nord, en Europe et en Australie.
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En attendant, l’autre aspect technique qui freine la décarbonation des mobilités en Afrique est le retard dans la fabrication locale des batteries électriques. Une perspective qui de l’avis de certains acteurs devrait confirmer progressivement la souveraineté du continent dans le jeu industriel mondial. À propos, l’État du Mozambique et le Japon sont en pourparlers sur le lancement éventuel d’une usine dans le Cabo Delgado. Il s’agit d’une province mozambicaine riche en graphite qui est une matière première essentielle pour les batteries au lithium-ion permettant le fonctionnement des véhicules électriques. Ce n’est pas la première coopération du genre puisqu’un accord de 39 millions de dollars existe déjà entre la Zambie et la République démocratique du Congo (RDC) dans le cadre du Projet de création d’une chaîne de valeur commune pour les secteurs de la mobilité électrique et de l’énergie propre. Les deux États frontaliers ont en ligne de mire la mise en valeur de leurs réserves de cobalt, un métal incontournable dans la transition énergétique en raison de sa forte capacité de stockage d’énergie.
En attendant, c’est le Maroc qui devrait inaugurer la première installation du type sur le continent, plus précisément dans la commune de Bouknadel à Rabat. Pour un coût total de 65 milliards de dirhams (5,9 milliards d’euros), la future usine exploitée par la société chinoise Gotion High Tech affichera une capacité de production pouvant atteindre 100 GWh/an et permettre également la création de 25 000 emplois, selon l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (Amdie). Toutefois, la lenteur dans la mise en œuvre de tels projets donne à voir au fil des jours, le scepticisme de certains analystes convaincus que la transition énergétique de l’Afrique y compris dans le secteur des transports dépend exclusivement de l’Asie et de l’Europe. Ainsi, la mise en place de cadres réglementaires devient urgente pour les pouvoirs publics africains en matière de mobilité électrique.
Quid des mesures institutionnelles ?
Entre l’instauration des incitations fiscales pour favoriser l’importation des véhicules électriques et la création de comités nationaux dédiée à la mobilité verte, les États africains passent à l’action. Le Maroc qui revendique aujourd’hui l’un des mix électriques des plus diversifiés sur le continent avec notamment une grande part d’énergies renouvelables vient de se doter de l’Association professionnelle intersectorielle pour la mobilité électrique (Apime). La nouvelle instance soutenue par la Fédération nationale de l’électricité, de l’électronique et des énergies renouvelables (Fenelec) est également l’une des lignes maitresses du Plan national pour la mobilité électrique élaboré par l’Office national de l’eau et l’électricité (Onee) du royaume chérifien. Ce plan soutenu par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) basée à Paris en France a pour but la réduction des 40 % des émissions de CO₂ que le secteur du transport génère au Maroc.
Le Togo et plus récemment le Rwanda ont décidé d’exonérer des droits de douane les importations de véhicules électriques. Pour sa part, la Tunisie a baissé de 17 % les impositions fiscales relatives à l’importation « des équipements de recharge » de ces engins peu polluants. La mesure y est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Quant au Kenya, les parlementaires devraient se prononcer d’ici à 2024 sur la validation de mesures identiques en complément du Plan national pour la mobilité électrique que les autorités kenyanes préparent. Il vise la mise en place d’un « système de transport propre et vert » dans les 47 comtés de ce pays situé dans la Corne de l’Afrique.
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Même si ces décisions restent politiques pour le moment, c’est déjà un grand pas, car la France considérée comme l’un des modèles contemporains, a elle-même pour repère la loi d’orientation des mobilités (LOM) qui contribue à son objectif d’être neutre en carbone en 2050. Normal, quand on sait que l’usage de la voiture par les Français représente à lui seul 16 % de leurs émissions totales, selon le Bilan annuel des transports en 2020 de ce pays européen.
Benoit-Ivan Wansi