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AFRIQUE : quand la mode se met au vert

AFRIQUE : quand la mode se met au vert©B.Forenius/Shutterstock

La mode mondiale fait les yeux doux à l’Afrique. Les mannequins et les créateurs africains sont de tous les podiums, sur toutes les couvertures de magazine. Mais qu’en est-il de l’impact environnemental de ce secteur sur le continent ? Eh bien, c’est un fait : les sociétés de mode privilégient de plus en plus des projets en faveur de la préservation de la biodiversité. Cette politique écoresponsable s’est étendue jusqu’à la chaîne d’approvisionnement de nombreuses entreprises de mode.

L’Afrique est au cœur de ce programme de cette transition vers la durabilité, car la plupart des sociétés de mode y puisent leurs matières premières (coton, peaux d’animaux, etc.). Parmi elles, figure Louis Vuitton Moet Hennessey (LVMH). Le numéro un mondial du luxe, qui détient les marques telles que Louis Vuitton, Fendi, Christian Dior ou encore Marc Jacobs, impose de nouveaux critères aux fermes africaines de crocodiles, qui approvisionnent sa tannerie. Les conditions, annoncées dès le 20 février 2019 par le groupe, précisent qu’il s’agit désormais de garantir la préservation de l’espèce, le respect des communautés locales, le bien-être animal, les conditions de travail des hommes et des femmes au sein des fermes et la protection de l’environnement en général. S’ajoute à cette liste, la traçabilité déjà en place dans les fermes (au Kenya, en Zambie, au Zimbabwe) de 100 % des peaux.

Un crocrodile près de la rivière du Nil©wayak/Shutterstock

La stratégie de LVMH s’inscrit en droite ligne d’un mouvement global qui a commencé par la limitation et l’exclusion des fourrures naturelles, remplacée par des fourrures synthétiques, plus respectueuses de l’environnement. Le groupe va désormais plus loin avec sa démarche qui vise à garantir l’absence de réseaux de braconniers et de torture des animaux, dans son circuit d’approvisionnement en peaux de crocodile.

Les marques comme Chanel, Jean-Paul Gaultier, Donatella Versace, Gucci ou encore Lacoste veulent également réduire leur impact environnemental. Si la plupart de ces entreprises ont banni les peaux d’animaux (crocodiles, lézard, serpent, galuchat…) et les fourrures naturelles de leurs collections, la marque Lacoste intègre plutôt la défense de la biodiversité dans sa stratégie de communication. À l’occasion d’un défilé, la marque peut décider de remplacer le crocodile de son logo iconique par des espèces animales menacées d’extinction en Afrique, notamment le lépilémur septentrional de Madagascar et dans le reste du monde comme cela a été le cas en 2018. L’objectif étant d’alerter les consommateurs sur les risques d’extinction encourus par des milliers d’espèces animales, mais aussi de soutenir financièrement le programme Save Our Species (Sauvez nos espèces) de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

En 2018, Lacoste s’est vu décerner le Grand Prix Stratégies du Luxe pour «Save our species»©Lacoste

L’initiative de Lacoste lui a valu de remporter le grand prix Stratégies du luxe en 2018. Une opération orchestrée par l’agence BETC, en partenariat avec l’UICN.

Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), le pangolin est également très prisé par les marques de mode. L’organisation note qu’environ 1 million  de pangolins ont été capturés en Afrique et en Asie au cours de ces dix dernières années (sans compter la consommation locale). Parmi eux, 195 000 ont fait l’objet d’un trafic pour leurs écailles, utilisées dans l’univers de la cosmétique pour ses vertus thérapeutiques et aphrodisiaques.

Outre la disparition de la faune, l’industrie de la mode contribue à la dégradation de la flore, accélérant le réchauffement climatique. Pour réduire leur empreinte carbone, les griffes de prêt-à-porter grand public comme H&M ou Zara se sont elles aussi mises au vert en s’engageant contre la déforestation au côté de l’ONG Rainforest Action Network.

L’utilisation de matières premières renouvelables

L’Oréal n’aura pas échappé à la vague verte. Pour réduire l’empreinte carbone de ses produits sur la planète d’ici à 2030,  y compris en Afrique, le leader mondial de la cosmétique privilégie les matières premières renouvelables. « Nous voulons utiliser exclusivement du papier, du carton et du bois provenant de forêts qui sont gérées de manière durable et préserver la biodiversité. Nous remplacerons également les matériaux classiques par des plastiques, des verres recyclés, ou encore des matériaux biosourcés », indique L’Oréal.

Le groupe industriel français a d’ailleurs signé, en 2016, le Pacte Business et biodiversité. À travers ce pacte, L’Oréal reconnaît l’importance des services rendus par les écosystèmes et réaffirme son engagement en faveur du respect et de l’usage durable de la biodiversité, notamment à travers sa chaîne d’approvisionnement. La politique du groupe repose sur sept principes à savoir la garantie de traçabilité de l’ensemble des matières premières d’origine renouvelable, l’évaluation des enjeux environnementaux et sociaux de chacune des filières, le respect des bonnes conditions de travail et des droits humains selon les principes édictés par l’Organisation internationale du Travail (OIT) tout au long de la chaîne de production, l’égalité au travail et la promotion des femmes, le respect des cultures et des récoltes des plantes qui doivent contribuer au développement économique des producteurs et se faire dans le respect des savoirs traditionnels issus de la biodiversité, la préservation de la biodiversité et des forêts, et enfin l’application de pratiques agricoles durables et bas carbone.

« En 2019, 59 % des matières premières utilisées étaient d’origine renouvelable, c’est-à-dire majoritairement d’origine végétale. Cela représente 1 600 ingrédients issus de près de 350 espèces de plantes provenant d’une centaine de pays, y compris en Afrique. Et 68 % de ces ingrédients renouvelables sont issus de sources certifiées durables », souligne L’Oréal.

L’agriculture biologique au service de la mode

Parmi les matières premières d’origine végétale qu’affectionnent désormais les marques, figure le coton certifié « bio ». Pour obtenir cette matière première de « qualité supérieure », les agriculteurs privilégient le compost naturel au détriment des engrais chimiques et des pesticides. La culture du coton biologique permet de préserver la ressource puisqu’elle nécessite moins d’eau contrairement à la culture du coton conventionnel.

Coton « bio »©Gargonia/Shutterstock

Plusieurs labels ont été établis pour juger le caractère biologique des matières premières, notamment le label Global Organic Textile Standard (GOTS). Les produits portant ce label doivent contenir un minimum de 95% de fibres biologiques certifiées contre 70% pour les cotons conventionnels. Le label de qualité NATURTEXTIL IVN ZERTIFIZIERT BEST élève le niveau d’exigence certifié par le label GOTS. Développé par l’Association internationale des textiles naturels IVN, ce label interdit également l’utilisation du mercerisage qui confère au coton un brillant permanent et qui est obtenu à l’aide de soude caustique, ainsi que les azurants optiques. De son côté, le label « Max Havelaar » garantit que les produits agricoles sont issus du commerce équitable.

Si l’Afrique reste un petit producteur de coton biologique avec une part réduite à 4,05% de la production mondiale entre 2017 et 2018, le continent n’en dispose pas moins d’un potentiel important. « L’Afrique est à la croisée des chemins», déclarait La Rhea Pepper, la directrice générale de  l’ONG Textile Exchange en 2020. « Il est essentiel que les gouvernements, les agriculteurs et les autres parties prenantes reconnaissent l’importance de protéger le droit des agriculteurs à cultiver des cultures non génétiquement modifiées. L’agriculture biologique est un système éprouvé pour séquestrer le carbone, renforcer la santé des sols et la biodiversité et accroître la sécurité alimentaire. L’introduction de l’agriculture génétiquement modifiée nécessite la mise en œuvre de réglementations strictes en matière de biosécurité ainsi que des investissements dans les semences non génétiquement modifiées et une formation pour assurer la coexistence avec l’agriculture biologique ».

D’après l’Union européenne (UE), la superficie des terres consacrées à l’agriculture biologique augmente d’environ 400 000 hectares par an. L’UE veut d’ailleurs imposer cette certification « bio » à toutes entreprises dans divers secteurs d’activité, dont le secteur de la mode dans tous les pays. « Les agriculteurs biologiques des pays tiers qui exportent leurs produits biologiques vers le marché de l’UE seront eux aussi soumis à ce même ensemble unique de règles qui remplacera les quelque 60 normes différentes, voire davantage, considérées comme équivalentes qui s’appliquent aux produits biologiques importés », précise la Commission de l’UE dans ses directives.

Une mode avec « Zéro » impact sur l’environnement est-elle vraiment possible ?

Le constat environnemental est en effet sans appel. L’industrie de la mode est responsable à elle seule de 8 % à 10 % des émissions de dioxyde de carbone mondiales, soit plus que ce que génèrent les vols internationaux et le transport maritime réunis, selon les données du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Ces émissions sont essentiellement liées à la production des matières premières, à la fabrication des textiles et au transport des produits finis.

L’empreinte sur l’eau est tout aussi catastrophique. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) estime dans un rapport qu’environ 93 milliards de mètres cubes d’eau – assez pour répondre aux besoins de cinq millions de personnes – sont utilisés chaque année par cette industrie. Pour fabriquer un simple jean, il faut 7 500 litres d’eau, c’est-à-dire l’équivalent de l’eau bue par un humain pendant sept ans. Le plus gros impact environnemental de la mode est lié au lavage des vêtements, du fait de l’eau et de l’électricité utilisées, mais aussi de la pollution des eaux et des sols qu’il provoque. D’après la CNUCED, 500 000 tonnes de microfibres de plastique, soit l’équivalent de 3 millions de barils de pétrole, ont ainsi été déversées chaque année dans les océans.

Si l’on met côte à côte les restrictions imposées par les grandes marques et les chiffres des Nations Unies, on comprend que beaucoup reste encore à faire pour atténuer les dégâts causés par l’industrie de la mode sur la biodiversité. En Afrique aussi, les jeunes entrepreneurs ont compris la nécessité d’apporter leur pierre à l’édifice de leurs réserves naturelles.

Pour dépolluer les rues de Lagos, la plus grande ville du Nigeria avec plus de 14,8 millions d’habitants et la deuxième plus grande ville du continent africain après Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC), la marque Nkow, créée par Nkwo Onwuka recycle les vêtements d’occasion importés de l’étranger.  La marque s’inspire de techniques de tissage artisanales africaines, ainsi que d’un refus d’utiliser les moyens de production moderne de l’industrie de la mode.

Des Chaussures fabriquées à base de déchets d’ananas©Pine Kazi

Comme Nkow, Pine Kazi recycle les déchets pour produire les accessoires de mode. La jeune entreprise kenyane fabrique des chaussures écologiques à base de déchets d’ananas. Elle a d’ailleurs été lauréate en mars 2021 du concours Fashionomics Africa, organisé par la Banque africaine de développement (BAD). À travers son concours Fashionomics Africa, l’institution financière panafricaine souhaite accroître la participation de l’Afrique aux chaînes de valeur de l’industrie mondiale du textile et de la mode, avec un accent mis sur l’entrepreneuriat féminin.

De nombreux projets sont développés en Afrique pour une mode plus durable, notamment par les marques telles que Akibe, spécialisée dans la fabrication de cosmétiques solides, zéro déchet à Port-Gentil au Gabon ; CiiE Luxuries qui fournit aux Nigérians des accessoires fabriqués à partir de déchets textiles et de cuir upcyclé ou encore la jeune entreprise Labake Lagos, qui conjugue également mode et développement durable .

Inès Magoum

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