Le premier constat fait par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est la hausse du niveau de température, qui devrait atteindre ou franchir le seuil de 1,5 °C au cours des 20 prochaines années. L’Afrique n’est pas épargnée par ce péril qui implique d’importantes vagues de chaleur avec des saisons sèches plus longues et des saisons froides plus courtes. Les impacts négatifs sont ici d’ores et déjà palpables, avec un pays comme le Cameroun (souvent désigné comme l’Afrique en miniature) qui conjugue sur son territoire les deux fléaux majeurs et paradoxaux qui s’étendent sur le continent : la sécheresse et les inondations.
La sécheresse occupe le haut du pavé. De nombreux pays africains en souffrent, notamment le grand sud de Madagascar qui traverse une période de sécheresse record. La dernière saison sèche de 2020 dans ce pays d’Afrique australe a été particulièrement cruelle dans les régions de l’Androy et de l’Anosy. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le ministère malgache de l’Agriculture, 500 000 personnes ont été affectées par cet épisode de sécheresse. Les pays situés dans la corne de l’Afrique sont aussi fortement touchés par le phénomène, à savoir l’Éthiopie, la Somalie et le Kenya. Sont également concernés les dix pays de la région du Sahel : le Burkina Faso, le Cameroun, la Gambie, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal et le Tchad.
S’il s’agit bien sûr de régions au climat aride et semi-aride, le phénomène de sécheresse évoqué ici est davantage accentué par le dérèglement climatique qui devrait encore s’aggraver au fil des années selon le Giec. Une situation qui cause d’ores et déjà de nombreux dégâts.
Le stress hydrique gagne du terrain
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) considère qu’il y a stress hydrique lorsqu’un habitant dispose de moins de 1 700 m3 d’eau par an. Cette situation se vérifie dans la plupart des pays africains touchés par la sécheresse, avec pour conséquences directes l’insécurité alimentaire, le déplacement des populations et l’émergence de nouveaux conflits. Le stress hydrique est aggravé par les êtres humains, qui surexploitent les ressources d’eaux souterraines et de surface afin de combler leurs besoins.
S’agissant de l’insécurité alimentaire, les rapports 2017 et 2018 de la FAO indiquent que 256 millions de personnes souffrent de faim en Afrique, soit un cinquième de la population en raison de la baisse de la production agricole. Cela s’explique par le fait que l’agriculture dépend très fortement de l’eau. Or les pays n’en recèlent plus suffisamment et les ressources disponibles sont parfois inégalement réparties comme c’est le cas du Soudan. Dans ce pays, situé en Afrique du Nord, seules les populations de la région Est sont approvisionnées à partir de l’eau du fleuve Nil, soit un prélèvement de 20 milliards de m3 selon un rapport de la Direction générale du trésor français. Les habitants des autres régions du Soudan doivent compter sur les oueds et des puits saisonniers qui s’assèchent de plus en plus à cause de la sécheresse. Naissent alors des conflits liés à l’eau entre éleveurs et agriculteurs. Le pays est également l’un des protagonistes de la « guerre des eaux du Nil » qui dure depuis plus de 10 ans, entre l’Égypte et l’Éthiopie.
Au cœur de ces tensions, le droit à l’eau. Car les trois pays ont les eaux du Nil en partage. Le Nil Bleu prend sa source en Éthiopie, avant de rejoindre le Nil Blanc à Khartoum au Soudan, pour former le Nil qui traverse ensuite le Soudan et l’Égypte pour se jeter dans la Méditerranée. Or l’Égypte s’oppose à la construction du barrage de la renaissance, commencée en 2012 par l’Éthiopie. Elle craint une réduction du débit du fleuve, dont est issu plus de 90 % de son approvisionnement en eau. L’Égypte demande l’accès à un minimum annuel garanti de 40 milliards de m3, ce que l’Éthiopie refuse d’accorder jusqu’ici. L’enjeu se focalise surtout sur la durée de remplissage du barrage. Car la demande égyptienne suppose de réaliser l’opération sur plus de 7 ans afin que le débit aval ne se soit pas trop restreint pendant ce temps. Alors que l’Éthiopie prévoit 3 à 5 ans pour pouvoir profiter au plus vite de son barrage et des impacts positifs qu’il aura sur la croissance de son économie. Les pourparlers se poursuivent entre les gouvernements de l’Égypte et de l’Éthiopie. Une absence d’accord pourrait susciter un conflit important et avoir de graves conséquences humanitaires.
Situé dans le centre nord de l’Afrique, le lac Tchad est également une source de conflit. Depuis les années 60, l’étendue d’eau a perdu 90 % de son volume en raison de sa surexploitation et du dérèglement climatique, intensifiant les tensions entre éleveurs et fermiers. Le lac borde quatre pays, à savoir le Tchad, le Nigeria, le Niger, le Cameroun. Et couvre près de 8 % du continent en s’étendant sur sept pays : l’Algérie, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, la Libye, le Niger et le Nigeria. Certaines familles qui vivaient dans ces pays ont migré pour trouver de l’eau. La résolution de ces crises passera par l’accès à l’eau, c’est inéluctable. La question est désormais de savoir comment se réapproprier la ressource.
Le reboisement pour capter le CO2
Au Nigeria, le gouvernement fédéral s’est engagé dans un vaste plan national de reboisement de 25 millions d’arbres pour capter le dioxyde de carbone, stoppant l’avancée du désert. Ce pays d’Afrique de l’Ouest connait une dégradation des terres de l’ordre d’environ 400 000 hectares à cause de la déforestation. L’État de Kano a lancé sa campagne en septembre 2021. L’opération vise la plantation d’un million d’arbres à travers les 44 conseils locaux de Kano, par les volontaires de l’organisation non gouvernementale (ONG) GivFree Africa. Non loin du Nigeria, la République du Niger s’apprête à créer un puits de carbone, soit une forêt d’une dizaine de millions d’arbres.
Cet autre projet a été présenté en juin 2021 par l’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou. Le Niger dont les 2/3 de la superficie sont occupés par le désert, compte parmi les pays africains les plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique. Les profils de vulnérabilité à ce phénomène, réalisés en 2016 au Niger par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), relèvent que près de 5 millions de personnes sont exposées au risque d’une sécheresse légère, 6,35 millions à une sécheresse moyenne et environ 7,9 millions à une sécheresse sévère.
Au Kenya, les autorités portent l’ambition de restaurer 500 000 hectares de pâturages dans 11 comtés arides. Le but est d’améliorer la vie de 620 000 personnes vivant essentiellement de l’élevage et de l’agriculture. De son côté, Madagascar préconise l’irrigation. Dans ce cadre, le pays bénéficie de l’Initiative africaine de financement des risques de catastrophe (ADRiFi) de la Banque africaine de développement (BAD). En 2020, le gouvernement malgache a reçu la somme de 2,13 millions de dollars pour la couverture des risques liés à la sécheresse dans le sud du pays, qui subit le climat le plus sec de l’île. Les fonds alloués par paiement de la Société d’assurance de la Mutuelle panafricaine de gestion des risques (ARC) représentent la prime d’une assurance contre la sécheresse souscrite par Madagascar pour 2019-2020 pour l’approvisionnement en eau de 84 000 ménages, la protection de 15 000 ménages vulnérables et l’appui nutritionnel pour 2 000 enfants de moins de 5 ans. Aux efforts du gouvernement malgache et des partenaires privés, s’ajoutent ceux des populations qui multiplient des stratégies d’adaptation face au stress hydrique.
Dans le village d’Ampotaka au sud de Madagascar, les paysans creusent les troncs de baobabs pour en faire des réservoirs d’eau pendant la saison de pluie. L’eau est ensuite utilisée pendant les périodes de forte sécheresse. Cette mesure est effective dans cette partie du pays depuis 2006. Dans la corne de l’Afrique, le Kenya envisage aussi de récupérer les eaux pluviales pour irriguer ses terres arables, augmentant les rendements agricoles. Le ministère kenyan de l’Eau, de l’Assainissement et de l’Irrigation a lancé le projet de valorisation des eaux de pluie en septembre 2021 dans le comté de Homa Bay, à l’ouest du pays. L’eau sera stockée dans quatre bassins et approvisionnera environ 1 000 ménages. Le gouvernement central kenyan prévoit d’engager 8 milliards de dollars pour la lutte et l’adaptation au dérèglement climatique au cours des 10 prochaines années.
Ce plan inclut également des projets de résilience des Kenyans face aux inondations. Le phénomène qui se manifeste par la montée des eaux est une autre conséquence du dérèglement climatique. Il est accentué par l’érosion côtière (déplacement de sols ou de roches sous l’action combinée de la gravité et des éléments naturels tel que le vent, la pluie, le ruissellement de l’eau ou les vagues, Ndlr). En début 2021 par exemple, l’île de Longicharo au Kenya a été complètement inondée suite à la montée des eaux du lac Baringo. La situation était telle que les animaux sauvages vivant sur l’île, notamment les girafes de Rothschild, ont été évacués en catastrophe.
Les inondations déplaceront 2,7 millions de personnes d’ici à 2050
Selon le récent rapport du Giec, l’aggravation du dérèglement climatique implique également des pluies torrentielles. Cet autre désastre déplacera près de 2,7 millions d’Africains à l’horizon 2050. « Dans les zones tropicales, la pêche sera touchée, avec des captures potentielles en baisse de 40 à 70 %. Pour ce qui est de la nature, l’extinction des espèces animales et végétales serait 1000 fois plus rapide qu’au milieu du XIXe siècle », expliquent les experts du Giec dans le premier des quatre volets de son 6e rapport sur les changements climatiques.
Dans la capitale sénégalaise Dakar, la construction de nouveaux canaux de drainage et de stations de pompage n » a pas réussi à arrêter les pluies, qui submergent les rues chaque année. Cette situation a poussé le gouvernement sénégalais à déclencher en août 2021, le plan d’Organisation des secours en cas de catastrophes (Orsec). Il s’agit d’un mécanisme de coordination des opérations de secours mis en place, aux niveaux départemental, régional et national, en vue de la gestion des catastrophes susceptibles de survenir dans le pays. Pour cette opération coup de poing, le gouvernement du Sénégal a débloqué la somme de 27,8 milliards de francs CFA (42,3 millions d’euros). Un investissement qui vient s’ajouter aux 780 millions d’euros engagés dans la lutte contre les inondations depuis 2012 au Sénégal.
Outre le Sénégal, les pays comme le Cameroun, la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda, le Kenya, le Congo, le Ghana, le Libéria qui a alerté en 2019 contre les inondations massives, la Tanzanie ou encore le Soudan sont confrontés aux inondations. Si les différents projets (collecte des eaux pluviales, drainage, etc.) mis en place jusqu’à lors n’ont pas réussi à endiguer le phénomène, les dirigeants fondent à présent leurs espoirs sur la COP26 qui commence à Glasgow. Mais, il ne s’agira pas seulement de trouver des solutions aux problèmes de stress hydrique et d’inondations. Le dérèglement climatique amplifie également le dégel du pergélisol et la perte de manteau neigeux saisonnier, la fonte des glaciers et des calottes glaciaires et la diminution des glaces de mer arctiques en été, l’acidification et la baisse de la teneur en oxygène. Ce sont tous ces combats qu’il faudra mener pour espérer sauver l’Afrique, voire la planète tout entière d’une catastrophe majeure pour toutes les formes de vie sur terre.
Inès Magoum