En matière de désertification et de sécheresse, l’Afrique est rapidement passée d’une « situation inquiétante » à une « situation alarmante » avec un impact important sur le développement durable. Selon un rapport (2021) de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le nombre et la durée des épisodes de sécheresse ont augmenté de 29 % depuis 2000, par rapport aux deux décennies précédentes plongeant plus de 2,3 milliards de personnes dans une situation de stress hydrique. D’après la même source, les épisodes de sécheresse pourraient toucher plus des trois quarts de la population mondiale d’ici à 2050.
La désertification également est un problème majeur qui affecte la sécurité écologique de la planète, l’élimination de la pauvreté, la stabilité socioéconomique et le développement durable. Le phénomène est causé par l’agriculture non durable qui épuise les nutriments dans le sol, l’exploitation minière, le surpâturage et la coupe à blanc des terres. « Aujourd’hui, le rythme de dégradation des terres arables est estimé à 30 à 35 fois le taux historique, alors qu’environ deux milliards de personnes dépendent des écosystèmes des zones arides, dont 90 % vivent dans les pays en développement », indique l’ONU.
La restauration des terres et la résistance à la sécheresse comme solutions de riposte
À défaut de stopper la désertification et la sécheresse qui nécessite la prise en compte d’une panoplie de paramètres (la récurrence des précipitations, la réduction des feux de brousse, la suppression de l’agriculture non durable, la réduction de l’exploitation minière et du surpâturage, etc.), les gouvernements et les organisations misent de plus en plus sur la restauration des terres dégradées et la résistance face aux effets de la sécheresse à travers des actions comme le reboisement et la régénération des arbres, le contreforts au sol grâce à l’utilisation de clôtures de sable, de ceintures d’abri, de boisés et de brise-vent, l’enrichissement et hyper-fertilisation du sol par plantation et la régénération naturelle gérée par les agriculteurs (FMNR) qui permet la croissance des arbres à pouvoir germinatif par l’élagage sélectif des pousses d’arbustes. « L’accélération de la restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030 » était d’ailleurs le seul objectif chiffré de la déclaration finale publiée à l’issue de la quinzième Conférence des parties (COP15) contre la désertification organisée du 9 au 20 mai 2022 à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
Cette décision fait suite à un rapport publié par l’ONU quelques jours avant le début du sommet, qui indique que la désertification concerne 40 % des terres émergées et affecte d’ores et déjà environ la moitié de l’humanité. Une gestion durable de l’eau permet aussi de restaurer les terres et faire face à la sécheresse, ainsi que la valorisation des ressources non conventionnelles à l’instar des eaux usées, de l’eau de mer ou des eaux pluviales. Deux questions majeures demeurent tout de même, l’efficacité de ces actions et la place des femmes dans leur implémentation.
Femme et santé des terres, quand les législations tendent à minimiser leur rôle et à les rendre invisibles
La Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse qui sera célébrée le 17 juin prochain reviendra d’ailleurs sur ces problématiques, en particulier sur le rôle vital des femmes et des filles sur la santé des terres, étant entendu qu’elles n’en ont souvent pas le contrôle. D’où le thème retenu cette année « Terre des femmes. Droits des femmes ».
Dans de nombreuses régions, les femmes et les filles restent soumises à des lois et des pratiques discriminatoires qui entravent leur droit foncier, leur droit à l’héritage ainsi que leur accès aux services et aux ressources. Et lorsque la terre se dégrade et que l’eau se raréfie, les femmes sont souvent les plus touchées. L’étude sur « Les impacts différenciés de la désertification, de la dégradation des terres et de la sécheresse sur les femmes et les hommes », publier en 2022 par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) montre clairement que l’exhérédation (déshériter) du conjoint survivant persiste dans 96 pays, où les régimes juridiques applicables aux droits de succession restent contradictoires et/ou ne sont pas clairement uniformes. Les droits des femmes à hériter des biens de leur mari sont niés dans 102 pays en vertu de lois et de pratiques coutumières, religieuses ou traditionnelles. De surcroît, 103 pays ne criminalisent pas la dépossession des biens ou l’accaparement de l’héritage.
L’étude menée par Lorena Aguilar, consultante internationale, sous la supervision générale de Rockaya Aidara et Miriam Medel montre aussi comment cette situation entrave l’accès des femmes aux prêts et au crédit, tout en restreignant leur accès aux services de vulgarisation et à la formation pour répondre aux effets du changement climatique relativement aux variétés de cultures résistantes à la sécheresse, aux technologies d’irrigation et à toute une gamme de techniques agricoles. Le manque de reconnaissance des femmes en tant qu’agricultrices et d’acceptation sociale de leur implication dans certaines activités agricoles conduisent également à leur exclusion des sphères décisionnelles, à l’information et aux services.
Aussi, lorsque les sécheresses prennent des proportions de véritables catastrophes, la technologie revêt une importance cruciale pour gérer les risques. Toutefois, dans bien des cas, les alertes précoces ne parviennent pas aux femmes. Des recherches montrent que les femmes ont moins accès que les hommes aux prévisions météorologiques, et ce principalement parce que les voies et moyens de transmission des informations ne sont souvent pas adaptés aux femmes (barrières linguistiques, documents écrits, ateliers organisés à l’extérieur de la communauté, moments des réunions). Le manque de participation et d’implication des femmes influe sur le rôle qui leur est imparti pour se préparer efficacement à la lutte contre la sécheresse.
La sécheresse et la dégradation des terres tendent également à accroître le fardeau des travaux domestiques et de soin non rémunérés pris en charge par les femmes et les jeunes filles. La pénurie alimentaire qui en résulte affecte également la distribution des aliments au sein de la famille. Les femmes ont tendance à manger de plus petites portions ou à sauter des repas, ce qui entraîne douleurs d’estomac, vomissements, faiblesse, diarrhées et malnutrition. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), au niveau mondial, les femmes passent 200 millions d’heures par an à aller chercher de l’eau. En Afrique subsaharienne par exemple, un trajet aller-retour pour la rechercher de l’eau prend en moyenne 33 minutes dans les zones rurales et 25 minutes dans les zones urbaines. Les migrations liées aux sécheresses accroissent quant à elles la charge de travail des femmes et sont susceptibles d’entraîner une réduction des ressources et de la main-d’œuvre disponibles.
Les femmes qui doivent s’occuper de leur famille ne peuvent pas toujours prendre des décisions opportunes en matière d’agriculture ou réagir aux incidences de la sécheresse, de la dégradation des terres et de la désertification, ou encore des phénomènes climatiques extrêmes. « Elles sont pourtant d’importants acteurs dans la lutte globale pour réduire et stopper la dégradation des terres », affirme Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif à la CNULCD.
Propulser les femmes à l’avant-garde des efforts mondiaux de restauration des terres et de résistance à la sécheresse, une nécessité…
Une gouvernance foncière équitable et la sécurité de l’occupation des terres sont indispensables pour permettre les efforts de restauration des terres conduits par les femmes, notamment la création de pépinières communautaires, le développement des systèmes d’irrigation, la mise en place de programmes d’apprentissage aux métiers de la terre et de l’eau. L’Association ougandaise pour l’eau de pluie (URWA) a par exemple formé des femmes atteintes du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et de la tuberculose à la construction de jarres destinées à la récupération de l’eau de pluie face à la sécheresse.
Au Soudan, Zenab pour les femmes dans le développement (ZWL) a développé un programme agricole pour les agricultrices soudanaises, considérant qu’elles peuvent « changer la donne » pour créer des moyens de subsistance résilients, améliorant ainsi la sécurité alimentaire et les revenus des ménages. Les femmes sont formées aux pratiques agricoles durables et reçoivent des intrants agricoles de qualité ainsi qu’un accès au crédit.
L’étude sur « Les impacts différenciés de la désertification, de la dégradation des terres et de la sécheresse sur les femmes et les hommes » préconise également de promouvoir la participation égalitaire des femmes et des hommes aux processus et aux structures de la CNULCD, de renforcer les capacités des organisations féminines, de partager régulièrement des informations sur la parité, d’accroître l’engagement des pays en faveur d’une participation égale des femmes et des hommes et d’améliorer l’inclusion des femmes, dans toute leur diversité, et leurs contributions à l’analyse et à la prise de décision sur les engagements politiques essentiels.
Il faudra également renforcer et appliquer les protections juridiques concernant les droits fonciers des groupes vulnérables et des femmes, garantir une égalité d’accès, d’utilisation et de contrôle des terres, des forêts et des ressources naturelles par le biais de meilleures technologies, de mécanismes de facilitation d’acquisition, d’une utilisation et d’une gestion des terres et des ressources naturelles soucieuse de l’égalité des sexes. Il est également nécessaire d’exiger des mécanismes financiers qu’ils intègrent des mesures visant à améliorer l’accès des femmes aux financements disponibles.
Inès Magoum