En marge du Comité des villes africaines qui s'est refermé le 20 septembre 2023 en France, le directeur général de Setec Afrique la filiale de la Société d’études techniques et économiques (Setec) a accordé une interview à AFRIK 21. Alain Bloch revient sur les défis auxquels les territoires du continent sont confrontés au quotidien. De la gestion des déchets à la mobilité en passant par la pollution atmosphérique, l’industriel français explore l’intervention de ses équipes en matière d’infrastructures urbaines adaptées à la croissance démographique et au changement climatique.
En marge du Comité des villes africaines qui s’est refermé le 20 septembre 2023 en France, le directeur général de Setec Afrique la filiale de la Société d’études techniques et économiques (Setec) a accordé une interview à AFRIK 21. Alain Bloch revient sur les défis auxquels les territoires du continent sont confrontés au quotidien. De la gestion des déchets à la mobilité en passant par la pollution atmosphérique, l’industriel français explore l’intervention de ses équipes en matière d’infrastructures urbaines adaptées à la croissance démographique et au changement climatique.
Benoit-Ivan Wansi : Pourquoi avoir créé Setec Afrique en 2020 ? Et combien de filiales avez-vous sur le continent ?
Alain Bloch : Setec travaille depuis 50 ans en Afrique, mais la création de Setec Afrique résulte de plusieurs constats : — Les besoins de l’Afrique subsaharienne sont énormes dans des domaines que Setec maîtrise particulièrement bien comme les transports et l’eau. — Nous souhaitons créer une ingénierie africaine de haut niveau avec du personnel local formé à nos méthodes. — Cette ambition nécessite une organisation adaptée pour générer du travail localement, qui sera réalisée totalement sur place ou en collaboration avec les sociétés françaises du groupe.
Nous avons aujourd’hui sept filiales notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun, au Gabon, au Congo, au Bénin et à Madagascar ainsi qu’une succursale en Guinée.
Quel est le chiffre d’affaires de Setec Afrique ? Travaillez-vous avec des partenaires, notamment des sociétés d’investissements et des groupes comme Meridiam ?
Le chiffre d’affaires de Setec Afrique en 2022 est de 8,5 millions d’euros et il devrait dépasser les 14 millions d’euros en 2023. Ces chiffres représentent environ 50 % de l’activité totale du groupe en Afrique subsaharienne, avec de fortes synergies entre Setec Afrique et les autres sociétés du groupe. Nous travaillons avec le secteur public (États, sociétés publiques) et avec le secteur privé. L’un de nos clients importants c’est le fonds Meridiam avec lequel nous travaillons sur plusieurs projets, notamment au Sénégal, au Gabon, et avant le coup d’État, au Burkina Faso où nous travaillions sur le nouvel aéroport international de Donsin (nord-est de la capitale Ouagadougou, Ndlr). Nous sommes également intervenus pour Meridiam et Vinci au Kenya dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP). Nous collaborons aussi avec d’autres fonds d’investissement comme Africa50 et avec des constructeurs comme Eiffage, NGE (BTP), Colas (la filiale du groupe français Bouygues), Razel et Sogea Satom. Au total, notre activité pour le privé représente environ la moitié de notre chiffre d’affaires.
Vous avez signé un accord en 2022 avec le gouvernement du Cameroun pour une étude de faisabilité dans le cadre de la mise en œuvre du projet de renforcement des dispositifs de gestion des déchets dans 27 villes secondaires. En quoi consiste ce projet et où en est-il à ce jour ?
Le projet vise la réalisation des études de planification territoriale de gestion des déchets ménagers solides dans les villes secondaires du Cameroun — villes de plus de 50 000 habitants qui ne sont pas des capitales régionales — ainsi qu’à la réalisation des études de faisabilité technico-économique des infrastructures de tri requises dans ces villes et à la préparation d’un plan pluriannuel de déploiement de ces infrastructures par les communes et le ministère de l’Habitat et du Développement urbain (Mindhu). Généralement les grands projets sont mis en œuvre dans les capitales. Or, les villes secondaires ont également leurs réalités et leurs besoins à satisfaire. C’est donc un projet pilote qui, nous l’espérons, pourra être répliqué dans d’autres pays.
Vous intervenez également au Sénégal, notamment pour le déploiement des infrastructures d’assainissement (la construction du réseau, l’installation de stations d’épuration et de stations de traitement des boues de vidange) dans sept villes secondaires de Kaolack, une région frontalière avec la Gambie également confrontée au problème de vétusté des réseaux d’assainissement. Quel est le coût des travaux et quelles seront les retombées directes sur le quotidien des habitants ?
Nous supervisons effectivement ces marchés de travaux destinés à recueillir et à traiter les eaux usées de sept petites villes de cette région. Ce type d’équipement a un impact direct sur la vie quotidienne et la santé des habitants comme sur l’environnement puisque les eaux usées sont recyclées en éliminant les polluants avant leur rejet dans la nature. Le coût des travaux est de l’ordre de 14 milliards de francs CFA (21 millions d’euros).
Le Bénin est l’un des pays au sud du Sahara les plus affectés par les effets du changement climatique avec la recrudescence des inondations dans les principales villes comme Cotonou. Qu’est-ce qui explique cela et quelles solutions proposez-vous en termes d’infrastructures et de préparation aux risques ?
Cotonou est en effet exposée à des risques d’inondations périodiques, dus en partie à une urbanisation « sauvage » (le long du lac Nokoué notamment) et en partie au changement climatique qui accroît la fréquence des pluies exceptionnelles. Les autorités béninoises, avec l’appui des bailleurs de fonds, ont lancé un vaste programme d’assainissement pluvial de Cotonou (environ 500 millions d’euros), comprenant notamment des collecteurs et des bassins de rétention. Cela devrait significativement améliorer la situation, mais une plus grande maîtrise de l’urbanisme est indispensable pour que cette amélioration soit pérenne.
Le Sommet africain sur le climat vient de se refermer à Nairobi au Kenya. L’une des questions épineuses a été celle de la transition énergétique. Pensez-vous que l’Afrique est prête pour abandonner les énergies de transition pour se tourner vers les centrales solaires et les barrages hydroélectriques ? Avez-vous des projets allant dans le sens de la décarbonation des territoires ?
Au moins 600 millions d’Africains (plus de 40 % de la population) n’ont pas accès à l’électricité. Les ressources en énergies renouvelables (hydroélectricité, solaire, éolien, géothermie…) dont dispose l’Afrique sont importantes et doivent majoritairement combler ce déficit, en n’oubliant pas cependant que certaines ne se stockent pas. Évidemment, les solutions doivent être bien adaptées aux caractéristiques de chaque pays. Il y a des régions qui sont plus adaptées pour les barrages, d’autres pour l’énergie solaire. Plusieurs centrales solaires ont été réalisées au nord du Sénégal et un barrage hydroélectrique est en construction dans le Sud par exemple. L’Éthiopie a pour sa part investi dans l’éolien. Lors du récent Sommet africain sur le climat à Nairobi, les participants se sont fixé comme objectif d’augmenter la capacité de production d’énergies renouvelables de l’Afrique de 56 gigawatts en 2022 à 300 gigawatts d’ici à 2030.
Pour ce qui est de la décarbonation des territoires, Setec travaille surtout sur les sujets de mobilité urbaine, avec des projets qui doivent permettre de moins utiliser la voiture au profit de transports collectifs, souvent électrifiés (TER de Dakar, métro d’Abidjan, BRT électrique de Dakar).
Quid de la mobilité en milieu urbain justement ?
Au Sénégal nous avons plusieurs projets concrets dans la modernisation du transport urbain. Ainsi, nous sommes maîtres d’œuvre du TER (génie civil et ferroviaire) et nous intervenons sur différents aspects du réseau de bus de Dakar (BRT — Bus Rapid Tansit — électrique, restructuration du réseau de rabattement). Nous travaillons aussi sur les BRT de Douala et d’Abidjan et nous assistons depuis de nombreuses années l’État ivoirien pour la réalisation du métro d’Abidjan… ce sont des projets d’infrastructures importants qui vont contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Nous regardons aussi l’intérêt économique des véhicules électriques par rapport aux engins thermiques qui sont plus polluants. Ces différents investissements participeront à la décarbonation des villes.
Quel rapport entretenez-vous avec les municipalités et la société civile dans la mise en œuvre de vos différents projets sur le terrain ? Organisez-vous souvent des initiatives de reboisement ou de collecte « citoyenne » des déchets comme le font la plupart des groupes internationaux présents sur le continent ?
Une société d’ingénierie comme Setec intervient plutôt au niveau des études d’impact environnemental et social (EIES) qui permettent de recueillir l’avis des populations et de formuler des recommandations favorables à l’environnement et aux habitants, ou permettant a minima de limiter les éventuels effets négatifs d’un projet. Et nous intégrons les contraintes environnementales dès les premières étapes de la conception.
Vous n’intervenez pas directement en Afrique australe. Est-ce à dire que les villes de la sous-région sont plus avancées en matière de développement durable ?
Pour le moment, nous intervenons essentiellement en Afrique centrale et de l’Ouest ainsi qu’à Madagascar, car ce sont les zones que nous connaissons le mieux. Mais nous n’excluons rien pour l’avenir.
Selon vous, quelles sont les villes africaines qui affichent fière allure en matière de résilience climatique et celles qui sont encore très loin de la « durabilité » escomptée ?
Je ne connais pas toutes les villes africaines, mais Dakar et Abidjan ont bien pris la mesure des défis qui les attendent et ont une politique de mobilité volontariste pilotée par des autorités compétentes. Cotonou est également en train de changer radicalement dans le bon sens. D’une manière générale, il faudrait d’abord doter tous les territoires d’outils de bonne gouvernance dans les domaines clés de la ville durable que sont la mobilité, l’assainissement et l’énergie.
Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi