Parmi les grandes têtes de l’économie mondiale présentes au « Voice of Africa» organisé par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) en marge des Assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), figure Alpha Barry. Dans cet entretien réalisé au Maroc, le directeur Afrique de la firme technologique française Atos met en avant la blockchain, l’innovation durable et la décarbonation qui lui semblent urgentes pour la mise à jour des objectifs de développement durable (ODD) sur le continent africain.
Benoit-Ivan Wansi : Quelle est l’histoire d’Atos depuis sa création en 1 997, et ses principaux domaines d’intervention ?
Alpha Barry : Atos c’est 107 000 personnes à travers le monde. Le groupe est présent en Afrique depuis plusieurs années déjà et a racheté la société d’informatique française Bull en 2014. Cette acquisition a favorisé des synergies et un renforcement des activités en Afrique notamment francophone y compris au Maroc. Nous proposons plusieurs solutions à nos clients en termes d’infrastructures (équipements d’ordinateurs et de stockage), mais également des services d’intégration de systèmes notamment la mise en place d’Applications de modernisation de la gestion des organisations publiques et privées. Nous accompagnons les entreprises aussi bien dans la digitalisation de leurs process de gestion internes que dans les activités de relation client. Le chiffre d’affaires général d’Atos s’élève à 11 milliards d’euros avec une part africaine de l’ordre de 1 % du groupe, et en croissance.
Qu’est-ce qui fait selon vous la particularité du numérique aujourd’hui et avec qui collaborez-vous sur le continent africain ?
Il y en a plusieurs — parmi elles je citerais la blockchain. Beaucoup d’applications sont possibles aujourd’hui grâce à la blockchain qui facilite le suivi et la traçabilité des opérations entre par exemple des exploitants agricoles et leurs clients. Elle permet à titre d’exemple d’accroitre et de sécuriser les revenus des petits exploitants agricoles. Nous avons l’ambition de travailler en partenariat avec des start-up locales sur des sujets spécifiques en lien avec les enjeux du développement durable (sécurité alimentaire, changement climatique, transports).
Quelle est votre vision de la ville intelligente , ces territoires où le numérique permet d’améliorer le cadre de vie des populations ?
Nous avons toute une équipe dédiée aux smart cities. Nous avons développé des solutions qui permettent de collecter et d’enregistrer les informations relatives aux transports et à la qualité de l’air sur une mégabase de données afin que, grâce à des outils d’intelligence artificielle (IA), on puisse être capable de remédier par exemple à une surconsommation de l’énergie. Pour illustration, Atos est présent en Égypte, notamment dans la capitale Le Caire qui enregistre un niveau de pollution de l’air élevé. Actuellement, nos équipes sont en train de mener des études qui visent à affuter l’offre du groupe dans les solutions de décarbonation. Cela devrait permettre de contribuer considérablement au « net zéro » dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
L’impact environnemental du digital est-il assez considérable et comment réussir à décarboner les activités sur le continent ?
Il y a un réel impact environnemental du numérique avec notamment les centres de données qui sont des consommateurs significatifs d’énergie. Atos a fixé un objectif de neutralité carbone de ses activités numériques à 2035. À ce titre Atos introduit dès le cycle de conception de ses serveurs et supercalculateurs, des mesures d’économie d’énergie des différents composants des équipements fabriqués par le groupe. Atos dispose également d’une offre spécifique pour accompagner les entreprises et organisations dans la migration de leurs applications et données vers le cloud, ce qui a l’avantage de réduire le nombre de centres de calculs par une centralisation plus économique et potentiellement moins consommatrice d’énergie, ceci dans le respect de la souveraineté des États.
De tous les pays que vous avez visités, lequel investit et innove le plus en matière de transition écologique ?
Je lis beaucoup que le Rwanda est un modèle en Afrique sur l’innovation et la transition écologique. Mais à titre personnel, je n’ai pas vraiment vu de pays engagés sur les préoccupations environnementales ou qui avaient mis un accent particulier dans la réduction de l’empreinte carbone. La plupart des pays cherchent à développer des industries basées sur les énergies fossiles, à poursuivre l’extraction de pétrole et de gaz par exemple.
Rappelons tout de même le paradoxe qui est que l’Afrique est le continent qui émet le moins de carbone sur la planète, mais est celui qui en subit le plus les conséquences négatives. C’est à ce titre que nos états comprennent bien désormais l’urgence climatique en raison des effets désastreux qui se traduisent notamment par des inondations et des sècheresses prolongées. Il y a par exemple l’Éthiopie où l’insécurité alimentaire plane et le lac Tchad qui affiche aujourd’hui 2 000 km2, soit une perte de 90 % de sa surface par rapport aux années 1970 (où il était classé sixième masse d’eau douce au monde avec 2 500 km2, Ndlr).
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Est-ce que Atos se considère comme concurrent ou complémentaire par rapport à des géants technologiques comme le chinois Huawei ?
Je dirais que nous sommes complémentaires dans la mesure où Atos est spécialisé dans les solutions et non pas dans la construction d’infrastructures de réseaux, comme le fait Huawei avec du « hardware » (partie matérielle en informatique, Ndlr). C’est par exemple comme dans la construction des maisons où des entreprises s’occupent de la partie fondation et construction des murs et toits et d’autres qui offrent les solutions pour rendre utile la maison construite, par exemple les solutions pour la cuisine, le sommeil et autres besoins indispensables pour rendre la maison habitable et confortable.
Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi, envoyé spécial au Maroc