Restauration des forêts de mangrove, développement de l’agroforesterie, de l’apiculture et l’exploitation de la soie sauvage… Dans cet entretien, Amandine Hersant, la directrice de l’organisation de protection de l’environnement Planète Urgence explique la nécessité de son nouveau projet de reboisement des forêts de mangrove dans la région du Littoral au Cameroun. Cette initiative soutenue par les autorités locales fait partir de nombreux projets mis en œuvre par Planète Urgence aussi bien au Cameroun qu’à Madagascar.
Jean Marie Takouleu : Vous êtes au Cameroun pour préparer la réalisation d’un projet de restauration de la mangrove dans le littoral. Quel est l’intérêt pour un pays comme le Cameroun de préserver ou de restaurer ses forêts de mangroves ?
Amandine Hersant : Les forêts en général sont des écosystèmes au cœur des enjeux environnementaux, et notamment des enjeux climatiques puisqu’il s’agit du deuxième puits de carbone mondial après les océans. Les forêts hébergent aussi 80 % de la biodiversité mondiale. Il existe enfin une interdépendance très forte avec les populations qui vont y trouver des médicaments, du bois de cuisson, des produits non ligneux, etc. Il y a donc une vraie urgence de protéger les forêts qui disparaissent rapidement. On perd à peu près la surface des Pays-Bas (41 543 km², Ndlr) tous les ans en surface forestière dans le monde.
Il y a trois zones de forêts tropicales qui connaissent un rythme de déforestation très alarmant : la forêt amazonienne dont on entend beaucoup parler, l’Asie du Sud-est notamment l’Indonésie, et puis le bassin du Congo. Le Cameroun représente le 2e massif forestier de ce bassin du Congo. Au-delà de la forêt tropicale camerounaise, le pays héberge une zone de mangrove très importante. Or, la mangrove héberge tout d’abord une biodiversité exceptionnelle. C’est aussi une zone tampon qui protège les populations contre les conditions climatiques extrêmes comme la montée des eaux provoquée par le changement climatique. Et les palétuviers qui constituent ces écosystèmes ont une capacité de stockage de CO2 bien plus importante que dans les forêts tempérées par exemple.
Et si vous intervenez, ça veut dire qu’il y a eu une dégradation. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation sur le littoral camerounais ?
Il y a plusieurs explications. Le littoral camerounais connaît une extension urbaine forte. J’en ai parlé avec le maire de Douala (Roger Victor Mbassa Ndine) il y a quelques jours. La ville grandit de façon horizontale, avec une gestion du foncier qui est extrêmement complexe. Du coup, les terrains sont grappillés par la ville progressivement. Il y a aussi un enjeu de coupe pour faire du bois de cuisson. Les bois de mangrove sont beaucoup utilisés dans le fumage du poisson par exemple, car ils lui donnent une saveur particulière. Il y a enfin des grands projets industriels qui impactent la mangrove.
Chaque fois, il faut absolument approcher les terrains d’intervention de façon spécifique pour savoir d’où vient le problème et comment y remédier.
Vous comptez lancer un projet de restauration de cet écosystème de mangrove au Cameroun. En quoi consiste votre projet ?
Nous avons déjà travaillé sur un projet pilote avec le Cameroon Wildlife Conservation Society (CWCS) du Dr. Gordon Ajonina qui est un chercheur reconnu dans le monde entier sur le sujet des mangroves. Nous avons travaillé ensemble sur la reforestation de 66 000 pieds de palétuviers, sur 4 hectares. Cela a fonctionné, et donc nous allons passer à une centaine d’hectares. Nous travaillons avec les communautés locales, ainsi que trois partenaires : le WTG (Watershed Task Group), Cameroon Ecology (Cam-Eco) et le CWCS. Nous allons planter 2 500 000 pieds de palétuviers au total.
Comment s’effectuera le suivi de la croissance des jeunes plants ?
C’est le plus grand enjeu du projet, puisqu’il ne sert à rien de planter des arbres si on n’est pas capable de s’assurer qu’ils seront là dans 30 ans. Sur cette période, les contextes peuvent fortement évoluer, avec des pressions humaines et climatiques qui seront probablement croissantes. Il y a un vrai enjeu de sécurisation des parcelles. C’est la raison pour laquelle nous associons le maximum d’acteurs notamment institutionnels, des chefs locaux et d’autres ONG. Notre objectif est notamment de créer des forêts communautaires autour des zones de restauration pour que les locaux s’approprient la gestion durable des forêts et y voir leurs intérêts économiques et de préservation.
La véritable critique formulée à l’endroit d’ONG intervenant en Afrique est l’exclusion des communautés locales dans les zones de conservation de la biodiversité. Votre projet est mis en œuvre dans le littoral camerounais, comment comptez-vous assurez que les communautés de pêcheurs puissent continuer à bénéficier de la ressource pour transformer leurs produits de pêche ?
C’est crucial. Et je pense que ce qui fait l’ADN de l’association Planète Urgence c’est justement d’agir sur le renforcement des humains pour une planète solidaire et durable. Nous partons du principe que l’acteur principal à impliquer est d’abord la communauté locale, pour qu’elle trouve avec notre soutien, sa propre solution de préservation. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec des ONG déjà actives sur le terrain et qui connaissent très bien les communautés.
Le fumage du poisson est vital pour les communautés. Il faut cependant leur permettre de le faire différemment, par exemple en utilisant des foyers améliorés qui permettent de fumer la même quantité de poissons, mais avec moins de bois.
Donc, vous garantissez que les communautés locales pourront continuer à prélever du bois dans la mangrove ?
De toutes les façons, les communautés ont besoin de bois au quotidien, il n’est donc pas question de l’interdire, mais de proposer des solutions pour une gestion forestière durable. Nous travaillons sur l’idée de développer des forêts communautaires. Ce sont des surfaces de plusieurs hectares subdivisées en parcelles avec un système de rotation des usages en fonction des besoins : conservation, maraîchage, agroforesterie, habitations, pêche, écotourisme, bois-énergie…
Où en êtes-vous avec votre projet sur le terrain ?
Nous sommes aux toutes premières prémices du projet. Nous avons démarré avec l’identification des zones. La semaine dernière nous avons rencontré les chefs locaux pour savoir s’il y avait un intérêt de leur part. Il s’avère qu’il y a un vrai engouement local autour de ce projet parce qu’il y a un vrai besoin économique et environnemental. Et nous allons essayer d’y répondre dans les prochains mois.
À quel moment allez commencer la plantation d’arbres ?
Il faut suivre le rythme des saisons. La collecte des palétuviers démarre en mars avec l’arrivée des pluies. L’idée ce serait d’avoir tout planté avant les pluies diluviennes, donc d’ici juillet.
L’ONG Planète Urgence intervient également au nord du Cameroun pour encourager la culture de l’anacarde. Quel est le lien entre la préservation de l’environnement et la production des noix de cajou ?
Au nord du Cameroun, la problématique est complètement différente par rapport au littoral. Nous intervenons autour du parc national de la Bénoué où il y a une forte pression humaine avec l’arrivée massive de populations sur la région, qui ont mis à mal les forêts autour des parcs nationaux. Nous savons que les animaux ont besoin d’emprunter des corridors écologiques pour aller d’un parc à un autre avec suffisamment de végétation présente. Nous savons aussi qu’il faut être en capacité d’accompagner les communautés qui sont installées et leur proposer des opportunités d’activités génératrices de revenus.
Du coup, nous avons démarré en 2019 un projet avec le Centre des ressources agroforestières forestières et de formation continue (Ceraf), une organisation locale pour initier une production locale de noix de cajou, en faisant de l’agroforesterie, en mixant l’anacarde qui produira au bout de 4 ou 5 ans avec la culture du haricot, des tomates ou du maïs par exemple, pour pouvoir générer des revenus à court terme. Nous avons déjà planté 300 000 anacardiers qui renforceront des corridors de biodiversité pour que les animaux, par exemple les singes, puissent passer d’un parc à un autre. Cette année, les premières noix ont été produites. La prochaine étape sera la structuration d’une filière juste et équitable pour les producteurs et le passage à l’échelle du projet.
À Madagascar, vous soutenez la production du bois énergie et l’apiculture. Pourquoi le soutien à ces secteurs en lien avec la reforestation ?
Sur Madagascar, la déforestation est liée à la coupe de bois, en majorité pour la cuisson, notamment dans la région d’Itasy. Il ne reste plus que 7 % des forêts sur cette région. Il faut donc préserver les forêts existantes, et restaurer les forêts de tapia, un arbre endémique de Madagascar. En même temps, il faut trouver des solutions pour le bois-énergie. Nous allons donc créer des forêts à vocation bois-énergie, avec une gestion durable des forêts. Pour protéger les forêts de tapia, nous allons créer des activités génératrices de revenus comme la soie sauvage ou l’apiculture. Les communautés ont compris l’intérêt de protéger les forêts puisque ce sont elles qui vont rapporter du miel et vont héberger le vers à soie sauvage qui s’appelle le « Landibé ».
Nous travaillons également avec des groupements communautaires pour renforcer leurs capacités opérationnelles de préservation des forêts. Ces groupements créent ensuite des plans de gestion des forêts par rapport aux besoins des populations.
Parmi les régions les plus arides du continent figurent l’Afrique australe, le Sahel et la Corne de l’Afrique. Les besoins de reboisement y sont très grands. Pourquoi vous n’y travaillez pas ?
On aimerait couvrir plus de zones, mais il faudrait en avoir les capacités financières. À long terme, peut-être y arrivera-t-on. Nous allons y aller progressivement. Notre objectif est avant tout de bien travailler dans les pays où nous intervenons déjà pour y avoir un impact de qualité sur les forêts et sur les femmes et les hommes qui y vivent.
Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu
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