L’Afrique de l’Est est la principale zone d’exploitation de la chaleur géothermique sur le continent africain. Grâce à cette chaleur naturelle du sous-sol de la vallée du Rift, le Kenya est ainsi devenu le premier producteur d’énergie géothermique du continent. D’autres pays de la sous-région tentent de rattraper leur retard sans réalisations concrètes pour le moment. Mais alors, qu’est-ce que la géothermique ? Quelles sont les autres utilisations de la ressource géothermique ?
Si la vallée du Rift regorge d’un tel potentiel géothermique, c’est que cette région est traversée par une faille tectonique continue qui s’étire sur 3 000 km du Nord au Sud. La zone s’étend sur 40 à 60 km de largeur, de l’Érythrée jusqu’au Mozambique, en passant par la région des Grands Lacs. Cette spécificité géologique fait que la région connaît une forte activité volcanique, et le magma, qui peut facilement atteindre les 1 000 °C, se retrouve relativement proche du sous-sol.
Or, la chaleur naturelle du sous-sol peut être exploitée pour produire de l’électricité. La Banque africaine de développement (BAD) estime à 20 000 MWe, le potentiel géothermique dans la vallée du Rift, où cette énergie propre est déjà partiellement exploitée. Moins intermittente que d’autres énergies renouvelables, la géothermie permet de diversifier le mix électrique d’un pays comme le Kenya.
Produire de l’électricité en exploitant la chaleur naturelle du sous-sol
Le principe de fonctionnement d’une centrale géothermique est simple. Dans cette région volcanique, qui bénéficie de la présence simultanée de la chaleur et d’eau, la profondeur d’un puits géothermique peut varier entre 2 000 et 3 000 m. Ces puits concentrent de l’eau chaude pouvant atteindre les 300 °C. L’eau chaude pompée perd de sa pression et se transforme progressivement en vapeur.
Séparée de ses impuretés, la vapeur sous pression fait tourner une turbine. Cette énergie mécanique est transformée en électricité via un alternateur. La production de cette électricité n’émet pas de dioxyde de carbone (CO2), contrairement aux centrales thermiques fonctionnant au fioul lourd ou au charbon. La plupart des centrales géothermiques opérationnelles en Afrique sont situées au Kenya, où la géothermie profonde à très haute température profite de conditions qui rendent son exploitation particulièrement rentable.
Le Kenya montre l’exemple
La géothermie est d’ailleurs au centre de la politique énergétique au Kenya. La première centrale géothermique du pays, Olkaria I, est entrée en service en 1981. La filière s’est davantage structurée avec la mise en place par le gouvernement kenyan 2008 de la Geothermal Development Company (GDC). Cette société détenue à 100 % par l’État kenyan a pour mission d’assurer le développement de la géothermie de surface, y compris la prospection, le forage, l’exploitation et la vente de vapeur aux sociétés pour la production d’électricité destinée au réseau électrique national.
À ce jour, le Kenya affiche une capacité installée de 2 819 MW, selon Power Africa. Dans son mix électrique, 828 MWe proviennent de centrales géothermiques situées à l’ouest du pays. La géothermie prend ainsi le pas sur les énergies fossiles qui ne fournissent plus que 749 MW au réseau électrique de Kenya Power. Devant l’hydroélectricité (826 MW) et d’autres sources d’énergie propre exploitée dans le pays, la géothermie permet au Kenya d’accélérer son électrification.
Djibouti et l’Éthiopie se lancent
L’énergie géothermique est principalement produite par Kenya Electricity Generating Company (KenGen), le premier producteur d’électricité du Kenya avec une capacité installée de 1 817 MW. L’entreprise, détenue à 74 % par l’État kenyan, exploite un parc de cinq centrales géothermiques (Olkaria I, Olkaria II, Olkaria IV, Olkaria I unités 4 et 5 et Olkaria V) affichant une capacité de 713 MWe, soit plus de deux fois la capacité installée d’un pays comme le Burkina Faso (344 MW). La puissance géothermique du Kenya devrait encore augmenter avec l’octroi de concessions à d’autres producteurs indépendants d’électricité (IPP) pour l’exploitation de la vapeur sur les sites géothermiques d’Akiira, Menengai, Baringo-Silali et Korosi. Le potentiel géothermique du Kenya est évalué entre 7 000 et 10 000 MWe.
Le Kenya est donc devenu un leader régional incontesté, avec ses entreprises expérimentées qui interviennent dans d’autres pays d’Afrique de l’Est pour soutenir les efforts en vue de l’exploitation de leur potentiel géothermique. À l’instar du Kenya, l’Éthiopie mise sur le secteur privé pour exploiter l’énergie géothermique sur ses sites de Tulu Moye et Corbetti. Ces projets intéressent de nombreux investisseurs, notamment le français Meridiam qui s’est associé à l’islandais Reykjavík Geothermal pour exploiter le site de Tulu Moye qui permettra de produire 150 MWe d’électricité en deux phases.
À côté de l’Éthiopie, Djibouti veut également exploiter son potentiel géothermique. Le développement de cette énergie propre incombe à l’Office djiboutien de développement de l’énergie géothermique (Oddeg) qui a démarré ses opérations sur le site de Galla Le Koma près du lac Assal. L’organisme public a confié la réalisation des premiers puits géothermiques au fleuron kenyan KenGen qui a démarré ses opérations en juillet 2021. Il s’agit d’un projet pilote devant aboutir à la construction d’une centrale géothermique de 15 MWe. L’objectif est de tester le potentiel du lac Assal.
À travers ce projet, Djibouti entame l’exploitation de ses ressources géothermiques. Le gouvernement djiboutien prévoit ainsi de confier le développement ultérieur du programme d’exploitation géothermique dans la région du lac Assal aux producteurs indépendants d’électricité (IPP).
Pays de la Corne de l’Afrique, Djibouti est situé au point de rencontre de trois rifts, à savoir ceux de la mer Rouge, du golfe d’Aden et le rift est africain. Cela fait de Djibouti une terre volcanique, où les roches en fusion sont proches du sol, regorgeant de cheminées, fumerolles, geysers et autres sources d’eau chaude. Outre la zone d’Assal, la région du lac Abbe est également prometteuse. Selon l’Oddeg, les deux sites géothermiques affichent un potentiel de 5 000 MWe.
Des efforts en Zambie et en Tanzanie
La vallée du Rift couvre aussi une partie de l’Ouganda, de la Tanzanie et de la Zambie même si l’exploitation du potentiel géothermique de ces pays d’Afrique de l’Est tarde encore à se concrétiser. Néanmoins, en mars 2021, la Tanzania Geothermal Development Company (TGDC), filiale de l’entreprise publique Tanzania Electric Supply Company (Tanesco), a annoncé son intention d’accélérer l’exploitation du potentiel géothermique de la Tanzanie estimé par les autorités à 5 000 MWe.
La TGDC compte ainsi produire 200 MWe d’énergie géothermique au cours des quatre prochaines années. Côté zambien, le premier projet géothermique est envisagé sur le site de Bweengwa où la Renewable Energy Performance Platform (REPP), une plateforme dédiée au financement des énergies renouvelables sponsorisées par le gouvernement britannique, a déjà injecté 3,2 millions de dollars.
L’utilisation directe de la vapeur géothermique
Premier producteur d’électricité de source géothermique en Afrique, le Kenya veut aussi miser sur l’utilisation directe de la vapeur. Parmi les débouchés de cette ressource figure le secteur agricole. Et la GDC n’y va pas de main morte. Avec le soutien de l’Islande, l’un des plus grands producteurs mondiaux de chaleur géothermique (9,3 millions de MWh par an), l’organisme public a mis en service à Menengai une installation capable de sécher 20 tonnes de céréales par jour. Elle devrait permettre la diminution des pertes de production agricole très souvent liée au mauvais temps pendant la saison pluvieuse.
Dans le cadre de sa politique de diversification des usages de l’énergie géothermique, la GDC a signé un accord de partenariat avec le gouvernement du comté de Nakuru afin de créer une coentreprise qui développera un parc industriel près du site géothermique de Menengai. La GDC souhaite ainsi vendre de la vapeur pour usage industriel. La chaleur géothermique sert aussi à chauffer les plantes sous serre et à chauffer l’eau dans des fermes piscicoles. Dans l’agro-industrie, la vapeur produite grâce aux puits géothermiques peut servir à la pasteurisation du lait.
Dans le cadre des activités touristiques, la chaleur géothermique peut aussi être utilisée pour l’aménagement de stations thermales. Dans les ménages, cette ressource peut servir à la fourniture de l’eau chaude ou la cuisson des aliments. De même, toutes les industries nécessitant de la chaleur peuvent évidemment verdir leurs procédés grâce à la géothermie.
Jean Marie Takouleu
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