Sur toute la planète notamment en Afrique, l’eau se fait de plus en plus rare. Si la croissance démographique augmente les besoins en eau, c’est davantage la sécheresse qui cause ce stress hydrique, devenu persistant dans plusieurs sous-régions du continent. Cette situation est d’ailleurs à l’origine de nombreux conflits entre des États qui se partagent les ressources en eau. Afin de s’en sortir, certains gouvernements ont fait le choix de coopérer. Lesquels? Leurs stratégies portent-elles des fruits ? Les réponses dans cet article, adossé à la journée mondiale de l’eau qui se célèbre ce 22 mars 2024.
L’exemple le plus concret et connu de conflit lié à l’eau en Afrique est sans doute celui qui oppose l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan depuis plus de 10 ans sur le partage des eaux du Nil. Les hostilités ont véritablement été lancées en 2012, à la suite du démarrage de la construction du Grand barrage de la renaissance éthiopienne (Gerd) sur le Nil bleu, le principal affluent du Nil dans l’État régional de Benishangul-Gumuz. Si le pays des pharaons est contre ce projet, c’est parce qu’il craint une réduction du débit du fleuve, dont est issu 85 % de son approvisionnement en eau. Tout comme le Soudan, traversé par le Nil.
Et alors que le remplissage du Gerd (capacité de stockage de 79 milliards de m3 d’eau) s’est achevé au 2e semestre de 2023, les tensions perdurent. Les autorités du Caire demandent un minimum annuel garanti de 40 milliards de m3, ce que le gouvernement d’Addis-Abeba refuse d’accorder jusqu’ici, puisqu’en acceptant l’opération s’étalerait sur plus de 7 ans afin que le débit aval ne se soit pas trop restreint pendant ce temps. Alors que l’Éthiopie prévoit 3 à 5 ans pour pouvoir profiter au plus vite de son barrage et des impacts positifs (électrification des populations, irrigation, entre autres) qu’il aura sur la croissance de son économie, et aussi faire face à la sécheresse. À quand la fin de ce conflit ? Les dirigeants éthiopiens et égyptiens ont publié en juillet 2023 une déclaration conjointe sur « les négociations accélérées », qui auraient déjà dues être achevées.
D’autres exemples de conflits liés à l’eau en Afrique, moins importants certes, peuvent également être cités. Il s’agit notamment du conflit opposant les communautés de Pokot et de Turkana au Kenya, et la communauté de Karamojong en Ouganda. En raison de la sécheresse, les pastoralistes se battent aux abords des points des points d’eau réservés aux bétails depuis 2018. Au moins 3 000 personnes auraient trouvé la mort en cinq ans du fait de ces tensions.
Ces deux cas de figure, donnent un aperçu de la difficulté de la gestion des eaux, notamment transfrontalières en Afrique. Mais, tandis qu’entre certains pays les tensions perdurent, d’autres ont su trouver des compromis sur l’utilisation de cette ressource, soutenus par des organisations régionales et internationales. C’est notamment le cas de l’Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) qui joue un rôle exemplaire en faveur de la concrétisation de la sécurité hydrique, alimentaire et énergétique du grand bassin frontalier du fleuve Sénégal, mais surtout promeut la paix, la prospérité et le développement territorial de ses pays membres que sont la Mauritanie, le Sénégal, le Mali et la Guinée.
Des ouvrages hydrauliques comme vecteur de paix : l’exemple ouest-africain
Ceci, à travers la construction d’infrastructures hydrauliques, notamment le barrage de Diama, qui marque la frontière avec la Mauritanie, dans la région sénégalaise de Saint-Louis (au nord de Dakar). En service depuis 1986, ce barrage « anti-sel » a notamment permis de développer l’agriculture dans la Vallée du fleuve Sénégal. Et 38 ans après, il est un exemple réussi de gestion transfrontalière de l’eau.
Le parc d’ouvrages hydrauliques de l’OMVS comprend également le barrage hydroélectrique de Manantali, situé à 90 km au sud-est de la ville de Bafoulabé, en territoire malien. La capacité de rétention de l’ouvrage est de 11 milliards de m3 d’eau, dont 7 milliards sont utilisés pour l’irrigation de 255 000 hectares de terres. Les deux autres retenues d’eau construites par l’OMVS sont les barrages de Félou et de Gouina, qui contribuent aussi à la sécurité alimentaire via le développement de l’agriculture irriguée et le renforcement de l’accès à l’eau potable pour les populations.
Le partage des retombées économiques de l’eau en Afrique de l’Est Une autre organisation qui œuvre à la gestion de l’eau en faveur de la paix en Afrique est la Commission du bassin du lac Victoria (LVBC). L’organisation s’assure notamment de la gestion intégrée de ce lac d’eau douce d’environ 68 800 km2, qui joue un rôle vital pour les communautés locales au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie et au Rwanda.
On citera aussi l’Initiative du bassin du Nil (IBN), un partenariat entre les 10 États riverains du Nil avec pour mission de « développer le fleuve de manière coopérative, de partager des avantages socioéconomiques substantiels et de promouvoir la paix et la sécurité régionales ». L’IBN appuie notamment la construction du barrage d’Akanyarun, un projet commun entre le Rwanda et le Burundi, destiné à l’approvisionnement en eau potable de 614 200 personnes dans les deux pays, et à la fourniture de l’eau pour l’irrigation de 12 474 hectares de terres agricoles.
L’adhésion à des conventions internationales
Plusieurs pays africains ont, en plus des engagements interétatiques, décidé de faire confiance aux organisations internationales pour les soutenir dans l’amélioration de la gestion de leurs ressources en eau. Au moins dix pays africains ont ratifié entre 2018 et 2024 la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux, de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU). Il s’agit du Tchad et du Sénégal en 2018, du Ghana (en 2020), la Guinée Bissau et du Togo en 2021, l’Ouganda et le Nigéria en 2022, la Namibie en 2023 et le Burkina Faso en 2024. Au Niger, les démarches devraient aboutir prochainement.
Encore appelée Convention d’Helsinki sur l’eau, l’instrument adopté en 1992 à Helsinki en Finlande est fondé sur un corpus juridique de droits et définit les obligations des pays situés en amont et en aval des cours d’eau. En adhérant à cette convention, chaque État s’engage ainsi à prévenir, à maîtriser et à réduire tout impact transfrontière sur l’environnement, la santé et la sécurité humaine, ainsi que la situation socioéconomique. L’Organisation des Nations unies (ONU) demande aussi aux parties prenantes de conclure des accords transfrontaliers et de créer des organes communs aux fins de coopération en matière de gestion et de protection de leurs eaux transfrontalières.
Renforcer les accords de coopération dans le domaine de l’eau en Afrique
Lors du lancement de l’Initiative Eau-Paix-Sécurité en 2015 à New-York, aux États-Unis d’Amérique, le président de la République du Sénégal Macky Sall affirmait également que : « l’eau est source de vie et de bien-être lorsque son usage fait appel à un esprit de coopération et de partage ».
Et récemment, nous voyons le renforcement de l’engagement de certains pays à soutenir la politique d’approvisionnement en eau potable de leurs voisins, frappés par la sécheresse pour sauver des vies. Il y a notamment l’Éthiopie, qui fournit plus de 20 000 m3 d’eau potable par jour à la capitale djiboutienne depuis 2017, dans le cadre d’un Projet transfrontalier d’adduction d’eau potable (AEP) entre les deux pays. Cette capacité sera portée à 100 000 m3 grâce à des travaux d’extension. Cette ressource sera donnée gratuitement pendant 30 ans, selon les termes de l’accord entre les deux pays limitrophes servant de modèle d’intégration régionale en Afrique de l’Est.
Nous pouvons aussi citer le Zimbabwe qui s’est engagé au cours de ce mois de mars 2024 à soutenir son voisin l’Afrique du Sud dans sa politique de sécurisation de l’accès à l’eau potable. Désormais, une partie de l’eau traitée (15 millions de m3 d’eau potable par an) dans sa station de potabilisation de Beitbridge sera transférée dans la ville sud-africaine de Musina, asséchée.
Outre la sécheresse, la croissance démographique, la pollution ou l’inégale répartition de la ressource sont aussi évoquées comme causes des pénuries d’eau et donc de conflits en Afrique et dans le monde. Et à l’occasion de cette journée mondiale de l’eau 2024, l’ONU rappelle que « la coopération dans le domaine de l’eau peut créer un effet d’entraînement positif qui favorise l’harmonie, génère de la prospérité et renforce la résilience face aux défis communs ». L’organisation regrette cependant que « sur plus de 37 milliards de personnes dans le monde qui dépendent de ressources en eau transfrontières, seulement 24 pays seulement ont conclu des accords de coopération pour l’ensemble de leurs ressources en eau partagées ». L’appel à la collaboration devrait donc être renforcée ce 22 mars 2024.
Inès Magoum
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