Gestion de l’eau, préservation de la ressource, traitement des déchets... Pour sa première prise de parole, Cyril Courjaret a choisi AFRIK 21. Dans cet entretien, le nouveau Directeur général Afrique, Moyen et Proche-Orient et Asie centrale de SUEZ revient sur son parcours au sein du Groupe et ses priorités.
AFRIK 21 : Vous êtes le nouveau Directeur général Afrique, Moyen-Orient, Proche-Orient et Asie centrale chez SUEZ. Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?
Cyril Courjaret : Je suis un « bébé SUEZ », si je puis dire. J’ai passé pratiquement toute ma carrière dans le Groupe, essentiellement à l’international. J’ai débuté dans l’entreprise qui s’appelait alors Degrémont (maintenant SUEZ Infrastructures de Traitement). J’ai été pendant longtemps en Amérique latine, basé au Mexique et au Brésil, principalement dans des fonctions commerciales, puis de management. J’ai ensuite passé un moment en France où j’ai été directeur général de Degrémont pour l’Afrique pendant deux ans. Puis, j’ai basculé dans l’activité de la Lyonnaise des eaux (devenue SUEZ Eau France) où j’ai travaillé pendant sept ans. Depuis deux ans, je suis responsable de la Business Area Moyen-Orient et Asie centrale, avant d’ajouter l’Afrique et le Proche Orient à mon territoire d’action, depuis quelques semaines à peine.
Donc, je suis vraiment attaché à ce groupe et à ses valeurs. Nous avons la chance de faire un métier formidable, dans les services essentiels. Contribuer à la préservation de la planète, c’est un défi pour tout le monde. Mais nous, c’est notre métier et SUEZ y participe activement !
Quel lien personnel entretenez-vous avec l’Afrique ? Comment décririez-vous votre relation au continent ?
J’ai un lien tout particulier avec l’Afrique. D’abord, j’ai passé les 12 premières années de ma vie au Maroc. Je n’y suis pas né, mais j’y suis arrivé 10 jours après ma naissance. Avant de m’envoler pour l’Amérique latine, j’ai passé toute cette période-là en Afrique. Ensuite, j’ai été directeur général de Degrémont Afrique pendant deux ans. Je pense que c’est un continent sur lequel notre métier prend un relief vraiment tout particulier.
J’ai d’ailleurs un souvenir ému quand nous avons mis en service la station de Nouakchott (en Mauritanie) en 2012, où nous avons vu satisfaction des autorités et des populations de pouvoir avoir de l’eau en continu. J’avais vraiment le sentiment d’avoir fait mon métier. Cela crée une vraie proximité avec ce continent.
Et en Afrique subsaharienne ?
J’ai moins travaillé en Afrique subsaharienne. En revanche, j’ai préparé beaucoup de projets, notamment au Sénégal où, au début des années 2010, nous avions posé la première pierre d’une relation commerciale à travers la construction d’usines de traitement…. J’espère aussi que le projet Baie de Hann à Dakar verra le jour, car j’ai participé à cette réflexion depuis le début. Il y a aussi le projet Bita (usine d’eau potable en Angola) que j’ai amorcé il y a 10 ans maintenant. Ce sont des projets complexes qui mettent du temps à se développer.
Avant d’être nommé, vous avez travaillé en Amérique latine, en Europe, au Moyen-Orient … Quelles sont, selon vous, les particularités de l’Afrique en matière d’infrastructures, de services d’eau potable, assainissement et de traitement des déchets ? Et quelles seront vos priorités en la matière ?
En Afrique, la population devrait être multipliée par deux d’ici à 2050. Premier sujet, la nécessité de mettre en place des infrastructures pour répondre aux besoins présents mais aussi futurs, liés à la croissance démographique, l’urbanisation et l’impact du changement climatique, dans les trois domaines dans lesquels nous travaillons, eau potable, assainissement et gestion des déchets. Le deuxième sujet essentiel, c’est la préservation de la ressource, compte tenu du fait qu’elle se raréfie dans certains pays. Il faut que l’assainissement soit plus développé, car le manque de systèmes d’assainissement est à l’origine de maladies et de pollution. Mais aussi développer plus la réutilisation des eaux usées traitées pour l’agriculture et pour des usages industriels, ce dernier est un enjeu caractéristique de cette partie du monde, qu’elle partage d’ailleurs avec le Moyen-Orient.
En ce qui concerne le traitement des déchets, beaucoup de choses restent à faire sur le continent avec deux aspects importants : la protection de l’environnement immédiat, autour des centres d’enfouissement et de valorisation ou green landfill, avec des systèmes de récupération du biogaz et de traitement des lixiviats avec production d’énergie verte et réutilisation des effluents. Puis, le recyclage des différentes matières valorisables qui en est aujourd’hui au tout début. Mais nous constations que certains pays du Maghreb, au Maroc et en Tunisie principalement, en Égypte aussi, et d’autres pays encore comme l’Afrique du Sud, qui sont très moteurs sur ce sujet.
Enfin, l’importance du rôle des Institutions Financières Internationales dans le financement ou le co-financement des infrastructures et l’exploitation et maintenance pour assurer leur durabilité.
Ce qu’il faut retenir, sur ces trois métiers qui sont le cœur de SUEZ, c’est que le groupe possède les compétences et technologies qui sont nécessaires pour accompagner la croissance de l’Afrique.
En matière de gestion des déchets industriels, SUEZ est très présent au Maroc, qu’est-ce qui fait votre particularité ?
Tout d’abord, de plus en plus, les grands groupes industriels veulent travailler avec des entreprises qui sont capables de répondre à leur demande aux standards internationaux et ceci quelle que soit la géographie. SUEZ est capable de répondre à des offres qui peuvent s’adapter à différentes localisations, ceci est un sujet positif majeur pour nos clients industriels. Le deuxième enjeu concerne les engagements et l’expertise en termes de Développement durable du Groupe. Certains de ces grands groupes industriels sont cotés en bourse. Et le concept de notation environnementale ou extra-financière prend une importance tout à fait particulière depuis quelques années. Elle pousse ces sociétés à confier leurs déchets à un opérateur qui puisse garantir la bonne gestion, dans le respect de l’environnement.
Des zones économiques exclusives sont en développement dans plusieurs pays africains, au Gabon ou au Togo. Avez-vous des projets dans ce domaine ailleurs en Afrique ?
Vous le savez, j’arrive à la tête de cette région. Nous allons revisiter la stratégie dans les mois qui viennent. Et, à ce titre, le développement des activités dans le traitement des déchets industriels est un sujet important. Nous suivons l’évolution de potentiels projets dans plusieurs pays comme la Tunisie et l’Égypte où nous travaillons à développer des solutions au service de nos clients.
La préservation de l’entité Afrique dans le périmètre du futur nouveau SUEZ a dû provoquer un soulagement chez vos partenaires et clients africains…
Le groupe SUEZ, est présent en Afrique depuis la fin des années 40. À travers ce long compagnonnage, nous avons tissé des liens de partenariat avec de nombreuses entités, un peu partout. Évidemment, la question du nouveau SUEZ est posée par nos clients, et c’était bien sûr un sujet d’attente. Mais, bien que toute l’opération ne soit pas terminée, les premiers éléments portés à la connaissance du public montrent que l’Afrique restera dans le périmètre du nouveau SUEZ. Et nos partenaires et clients nous ont manifesté être extrêmement satisfaits de pouvoir continuer le travail avec nous.
Depuis le 14 mai 2021, il y a un accord entre le groupe SUEZ et le groupe Veolia qui doit permettre la constitution d’un côté d’un leader mondial, Veolia, et de l’autre côté, de SUEZ qui conservera ses activités en France et dans d’autres parties du monde, dont l’Afrique, et j’en suis très heureux. D’ici le 29 juin 2021, un accord d’achat devrait être finalisé avec un consortium d’actionnaires composé de Meridiam, du fonds américain GIP (Global Infrastructure Partners), de la Caisse des Dépôts et CNP assurances. Le consortium ferait une offre pour le rachat du périmètre du nouveau SUEZ. L’Assemblée générale de SUEZ devrait valider cet accord le 30 juin prochain.
À partir de là, il y a beaucoup d’étapes à franchir avant que l’opération ne soit finalisée. D’abord, la consultation auprès des représentants du personnel. Il faudra aussi saisir les autorités anti-monopole qui statueront sur la reprise par Veolia d’un certain nombre d’actifs de SUEZ. Encore une fois, ça ne concerne pas l’Afrique puisque le continent restera dans le nouveau groupe SUEZ.
Personnellement, comment vivez-vous cette opération ?
À titre personnel, j’ai vécu cela comme un choc. Vous comprenez, ça fait 28 ans que je suis chez SUEZ, et j’ai passé toutes ces années à me battre sur des appels d’offres un peu partout dans le monde contre Veolia. La zone qu’il m’est donné de diriger comprend des opérations dont il faudra assurer le développement, et puis, dans d’autres pays, il faudra reconstruire les choses. Et je compte énormément sur l’Afrique et les actifs que nous y détenons pour pouvoir nous redéployer.
L’Afrique représentera une part significative de ce que fera le futur SUEZ à l’international. Et donc son poids relatif aura augmenté. Et cela pourra nous servir de base pour pouvoir nous redéployer dans d’autres régions du monde.
Quels sont vos défis pour les prochains mois ?
Il y a plusieurs choses qui sont importantes pour moi. Tout d’abord, m’assurer que nos nouveaux contrats continuent de fonctionner malgré la situation sanitaire et que nos collaborateurs y travaillent en toute sécurité. C’est à dire continuer à livrer sans interruption les services essentiels, comme nous l’avons fait depuis le début de la pandémie. La deuxième chose, c’est d’accompagner la transition dans les meilleures conditions pour mes équipes, en particulier celles du Proche et Moyen Orient qui vont intégrer Veolia. C’est très important pour moi de mener cette mission jusqu’à son terme. J’y suis très attaché.
Et puis, le troisième défi c’est de préparer la croissance à venir du Groupe sur tout le périmètre qui m’est confié et, en particulier, en Afrique.
Les capacités de R&D de SUEZ resteront intactes dans le futur nouveau SUEZ. Cela a-t-il son importance pour votre offre de service en Afrique, concernant l’innovation et le digital en particulier ?
Les deux principales activités qui permettent aujourd’hui au groupe SUEZ de faire de la recherche et de l’innovation resteront dans le périmètre du nouveau SUEZ. Il s’agit du Centre international de recherche sur l’eau et l’environnement (CIRSEE). Et puis toute l’activité de notre filiale SUEZ Smart Solutions, qui reste également dans le groupe SUEZ. Il est évident que pour être compétitif, c’est-à-dire, répondre aux attentes de nos clients au meilleur prix, il faut un équilibre entre une performance opérationnelle et un prix. Je suis très heureux que nous conservions ces deux piliers de la recherche et du développement digital dans le groupe pour pouvoir optimiser nos offres, croître en Afrique, et ailleurs dans le monde…
Dans quelle mesure avez-vous besoin de déployer en Afrique des offres aussi innovantes que les dernières technologies smart ?
La part de l’innovation et du smart dans nos offres est aujourd’hui croissante. Par exemple le pilotage centralisé d’installations de traitement, la supervision en temps réel des réseaux de distribution d’eau ou la digitalisation suivi du traitement des déchets sont absolument essentiels pour optimiser la distribution, gérer la consommation d’eau et être en mesure de fournir le meilleur service, tout en préservant la ressource. Il s’agit de technologies que nous développé en France et à l’international ces 10 dernières années, et que nous mettons déjà au service de nos clients en Afrique, au Maroc, au Sénégal entre autres. Nous mettons en place des équipes et déployons des formations qui permettent aux collaborateurs dans les différents pays parfaitement à même de pouvoir gérer ce type d’installations.
D’ailleurs, nous sommes actuellement en phase finale d’un appel d’offres lancé par l’ONA (Office National de l’Assainissement) en Tunisie. J’espère bien que nous le remporterons. Et si c’est le cas, ce seront justement ces solutions smart qui feront aussi la différence.
Vous êtes basé à Dubaï aux Émirats Arabes Unis. Dans le cadre de vos nouvelles fonctions, avez-vous prévu des voyages en Afrique ?
Nous sommes dans une situation sanitaire un peu complexe, avec des ouvertures pour les voyages encore difficiles. Mais j’ai eu la chance de bénéficier du système de vaccination des Émirats Arabes Unis depuis plusieurs mois. Je pars bientôt en Tunisie pour mon premier voyage en Afrique, d’autres déplacements dans le continent suivront. Il y a trois catégories de personnes que je souhaite rencontrer. D’abord nos collaborateurs pour m’assurer de leur santé en ces moments difficiles, et faire en sorte de les rassurer sur le positionnement du groupe SUEZ quant à l’Afrique. Et je rencontrerai évidemment nos partenaires et nos clients pour les rassurer de la volonté du groupe SUEZ de les accompagner à l’avenir.
Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu