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Dessalement: le coût écologique reste négligé en 2024, au bénéfice de l’accès à l’eau

Dessalement : le coût écologique reste négligé en 2024, au bénéfice de l’accès à l’eau © Jose Luis Stephens/Shutterstock

De 1872, année pendant laquelle le Chili a développé la première unité de dessalement de l’eau de mer au monde (20 000 m3 par jour), à nos jours, la valorisation de cette ressource en eau non-conventionnelle a considérablement évolué, à tel point que cette pratique est devenue incontournable, à tout le moins comme une solution transitoire, pour certains pays, comme par exemple en Libye. En effet, dans ce pays d’Afrique du Nord, les précipitations sont quasi-absentes. Une situation qui a réduit les quantités d’eau qui ruissellent dans les barrages, les rivières, les lacs, les fleuves, etc. et s’infiltrent dans les nappes d’eau souterraine, poussant les habitants et activités agricoles ou économiques de Libye à prélever tous les ans huit fois plus d’eau que la quantité renouvelable sur son territoire.

Comme la Libye, de nombreux pays en Afrique ont adopté cette pratique, principalement ceux situés dans la sous-région Afrique du Nord (Maroc, Égypte, Tunisie, Algérie). Viennent ensuite les sous-régions d’Afrique australe et de l’Est où le dessalement améliore également l’approvisionnement en eau, notamment destinée aux ménages et aux agriculteurs. Au-delà du continent africain, cette solution est très répandue dans les îles, telles que les Antilles, et au Moyen Orient où se trouve d’ailleurs la plus grande usine de dessalement au monde. Il s’agit de la station de Ras Al Khair en Arabie Saoudite (1 036 000 m3 par jour).

« Le dessalement vient atténuer ces déséquilibres entre besoins et ressources en eau, et pourrait même réussir à les compenser. Il y’a en réalité pas de limites parce que la mer a une quantité d’eau phénoménale », explique François Guerber, responsable du projet d’Observatoire international des eaux non-conventionnelles et des énergies renouvelables associées, et vice-président du Conseil scientifique et technique à l’Institut méditerranéen de l’eau (IME).

Alors, si tout semble aller comme dans le meilleur des mondes grâce au dessalement, pourquoi cette pratique ne fait-elle toujours pas l’unanimité en 2024 ?

La vie marine serait menacée

Parce que le dessalement de l’eau de mer reste pour plusieurs défenseurs de l’environnement et acteurs du secteur de l’eau une catastrophe écologique, malgré les avantages hydriques qu’on lui confère. « Je pense qu’on sera perdant à dessaler à long terme. On paie très cher pour traiter l’eau de mer et d’un point de vue environnemental, on rejette de la saumure très concentrée dans l’océan qui tue la biodiversité. Laissons nos poissons tranquilles », regrette Malek Semar, le fondateur de l’association « No Water No us » qui sensibilise et agit pour l’eau en Afrique et ailleurs.

La plus grande installation de dessalement d’eau au monde au lever du soleil, Hadera Israel © Luciano Santandreu/Shutterstock

François Guerber, de l’(IME) relève également cet inconvénient, avant de préciser les quantités de saumures renvoyées dans le milieu marin. « On va pomper de l’eau dans la mer, on va transformer une partie en eau douce et on va y rejeter autant et même un peu plus (le double) d’eau qui va être concentrée en sel, soit 70mg par litre d’eau au lieu de 36 mg par litre (la quantité de sel contenue dans l’eau de mer), qu’on va rejeter dans la mer en augmentant la température de l’eau. Et, dans certains endroits selon la courantologie, c’est la faune aquatique qui risque d’en être perturbée ».  

Si la pratique du dessalement de l’eau date de plus de 150 ans, ou d’environ 60 ans pour le dessalement commercial qui a débuté vers 1965 avec une capacité mondiale d’environ 8 000 m3 par jour en 1970 pour atteindre environ 86,6 millions de m3 par jour à fin 2015 et sans doute de près de 150 millions aujourd’hui, on peut bien imaginer les volumes importants de saumures qui ont été rejetés au fil des ans dans nos espaces marins. « Le rejet de saumures dans la mer aboutit en effet à la formation d’un système stratifié de couches de plus en plus salées en allant vers le fond, ce qui diminue les brassages entre eau de fond et eau de surface. Dans certains cas et en fonction des courants marins locaux, 40 % de la zone environnante est recouverte de sel », indique le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) dans un rapport publié en 2003.

On parlera dans ce cas de figure d’anoxie (absence d’oxygène) au niveau des fonds marins, et de diminution de la lumière dans la mesure où la présence d’eau hypersalée provoquera la formation d’un brouillard qui rend difficile le passage de la lumière, affectant ainsi la photosynthèse des espèces marines végétales. À noter que le dessalement de l’eau de mer représente environ 60 % des efforts en matière de dessalement à l’échelle mondiale et plus de 80 % autour de la Méditerranée.

Ces dégâts seront moins importants quand il s’agira de dessaler les eaux saumâtres, qui sont moins concentrées en sel ; en revanche, ces eaux saumâtres se trouvent souvent à l’intérieur des terres et il faut pouvoir décharger les saumures quelque part. Sur le continent africain, le dessalement des eaux saumâtres est courant en Afrique de l’Est et australe.

Des procédés énergivores

« Je ne suis pas contre le dessalement. Les molécules d’H2O (formule chimique de l’eau, Ndlr) se recyclent naturellement depuis une éternité et elles continueront à le faire avec le dessalement. Mais, cela doit intervenir uniquement après avoir réglé nos problèmes sur terre, à savoir le traitement et la réutilisation de toutes nos eaux usées, urbaines, agricoles et industrielles, dont le processus est moins énergivore que le dessalement », revient à la charge Malek Semar, le fondateur de l’association « No Water No us » qui sensibilise et agit pour l’eau en Afrique et ailleurs.

Tuyaux et pompes à eau dans une usine de dessalement d’osmose inverse© Jose Luis Stephens/Shutterstock

François Guerber partage totalement cet avis mais souligne qu’ on ne peut résoudre la question des pénuries d’eau uniquement avec les eaux usées traitées. « Les volumes d’eaux usées traitées sont très inférieurs à la demande pour satisfaire la demande en irrigation, pour parler de ce cas précis. Les volumes d’effluents sont bien moins importants que ceux qu’on pourrait prélever dans la mer. Le dessalement s’impose donc comme la solution qui permettrait le mieux de réduire la dégradation mondiale de la desserte en eau, causée par le changement climatique, et la croissance démographique et économique », explique-t-il.

Le responsable du projet d’Observatoire international des eaux non-conventionnelles et des énergies renouvelables associées ajoute néanmoins que, même si le procédé de l’osmose inverse est une technologie généralisée et très mature avec des consommations d’énergie beaucoup plus faibles qu’autrefois, on arrive quand même à consommer 2,5 kWh par mètre cube, contre 4 kWh pour une usine qui n’utilise par cette technologie. « Même si la consommation en électricité est moindre avec l’osmose inverse, 2,5 kWh c’est quand même beaucoup. C’est à peu près la même quantité d’énergie utilisée pour pomper l’eau et la faire monter à 1 000 m de hauteur ».

Les inconvénients liés au dessalement peuvent être maîtrisés ?

Sur le plan énergétique, François Guerber préconise d’accompagner le développement du dessalement par un développement encore plus fort des énergies renouvelables plutôt que fossiles. Si cela se fait déjà par plusieurs entreprises et start-up à l’instar de la jeune pousse allemande Boreal Light qui approvisionne plusieurs pays en Afrique grâce à ses solutions conteneurisées, ou encore GivePower, une organisation américaine spécialisée dans les énergies propres et dont le dernier projet en Afrique a été inauguré en 2023 à Mombasa au Kenya, cela devrait être une condition sine qua non pour dessaler l’eau de mer selon l’ingénieur. « Parce que s’il fallait utiliser uniquement les énergies fossiles, je donnerai totalement raison aux environnementalistes au vu de la quantité phénoménale d’émissions de gaz à effet de serre (GES) qui en découlerait ».

Quant au rejet des saumures, la première solution consisterait peut-être à rejeter l’eau non pas dans une aire peu profonde, mais là où il y a beaucoup de courant et à remélanger le sel correctement avec la même concentration que celle de la mer. « Cela s’appelle des rejets avec diffuseurs. Bien sûr que ça coûte plus cher que si on en fait pas, mais c’est tout à fait réalisable », propose François Guerber.

La deuxième solution serait l’extraction des minéraux de la saumure qui est rejetée dans la mer, ce qui devient rentable notamment pour le lithium afin de le vendre aux industries de l’automobile qui fabriquent les batteries. Selon François Guerber, le seul problème avec cette démarche est qu’il s’agit de technologies récentes qui nécessitent de gros investissements et donc des montages de projets particulièrement complexes.

« On peut aussi, dans le dernier cas de figure, récupérer le sel tout simplement. On concentre le sel de l’eau de mer en faisant évaporer l’eau jusqu’à avoir du sel cristallisé », explique François Guerber, qui a porté ces propositions à Bali en Indonésie, où  s’est tenu  du 18 au 24 mai dernier le 10e Forum mondial de l’eau. Ce sera dans le cadre d’un échange d’actions internationales où les pays qui ont moins d’expérience en matière de dessalement pourront acquérir de l’expérience auprès de ceux qui ont de bonnes techniques et qui font des efforts pour rendre le processus de dessalement plus durable. C’est le cas des Américains, des Saoudiens, des Espagnols, des Israéliens et des Français.

La possibilité de renforcer les cadres réglementaires sur le dessalement de l’eau a également été évoquée, afin de mieux mettre cette pratique au service des objectifs de développement durable (ODD). En la matière, si le dessalement est positif par rapport à l’approvisionnement en eau (ODD6), il compromet la réduction des émissions de gaz à effet de serre (ODD7) ou la santé des écosystèmes marins (ODD14) pour le moment, faute de conception plus durable des projets.

Inès Magoum

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