Au cours des prochaines années, le Fonds d’investissement pour les pays en développement (IFU) doublera ses investissements en faveur du développement durable dans les pays du sud, dont la moitié en Afrique. L’annonce a été faite en marge de la 78e Assemblée générale de l’Organisation des nations unies (ONU) qui s’est tenue du 19 au 26 septembre 2023 à New-York aux États-Unis d’Amérique. Face à la crise climatique et à la nécessité de développement du continent africain, l’IFU est prêt prendre plus de risques pour plus d’impacts, selon son directeur des Investissements Landry Ahouansou.
Jean Marie Takouleu : Les autorités danoises ont annoncé récemment la réforme du Fonds d’investissement pour les pays en développement (IFU). Ce processus a abouti l’augmentation de ses investissements en faveur du développement durable. C’est la première institution de financement du développement (IFD) à se reformer depuis le Sommet pour un nouveau pacte financier organisé à Paris en juin 2023. Qu’est-ce qui justifie une telle réforme au niveau de l’IFU ?
Landry Ahouansou : L’IFU est une IFD détenue à 100 % par le Danemark. Globalement, la politique du gouvernement danois est orientée vers la transition écologique. Et aujourd’hui, la stratégie de l’IFU repose sur deux piliers : construire une économie verte, et construire une économie juste et inclusive. À travers cette réforme, le gouvernement danois veut accroitre son soutien à la transition écologique, et par la même occasion, les investissements qui améliorent les conditions de vie des populations dans les pays en développement.
Nous sommes d’ailleurs très ravis que le gouvernement danois ait considéré l’IFU comme un outil important du financement du développement en en renforçant nos capacités par cette injection de 2 milliards d’euros supplémentaires pour les pays émergents, dont 50 % de ce financement destiné à l’Afrique.
Parmi les parties du continent les plus touchées par le changement climatique figurent la Corne de l’Afrique, l’Afrique australe et le Sahel qui font face à la sécheresse. Ce phénomène accentue l’insécurité alimentaire dans la Corne de l’Afrique où plus de 43 millions de personnes sont exposées selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). L’IFU va augmenter sa finance climatique de 268 millions d’euros par an (en 2022) à un montant compris entre 670 millions et 940 millions d’euros d’ici à 2030. Comment sera organisé ce financement en Afrique ?
De manière générale, l’objectif des IFD est d’utiliser les fonds publics pour catalyser les financements privés. À l’IFU, nous ne sommes pas guidés par une priorité pays, mais nous nous focalisons sur l’impact. Il est donc question d’identifier les projets qui contribuent à la construction d’une économie plus verte, juste et inclusive. Il faut reconnaitre que sur le continent, il y a des pays qui sont plus affectés que d’autres. Nous avons la facilité High Risk High Impact qui permet d’adresser des financements vers le secteur privé. Dans les pays aux risques plus importants on attend un impact plus élevé. À travers cet instrument, l’IFU consent à sacrifier un peu de retours sur investissement tout en restant profitable, mais en échange d’impacts dans les pays où le besoin est relativement plus important.
Et donc, vous investissez dans l’atténuation du changement climatique. Mais est-ce possible pour un IFD d’investir dans l’adaptation au changement climatique ?
Oui, c’est possible. Nous travaillons d’ailleurs à chercher des projets dans ce sens. Alors, si demain nous avons un partenaire qui vient vers nous avec un projet structuré de manière à balancer impact et rentabilité commerciale, ce serait clairement intéressant.
Contrairement à d’autres IFD qui accélèrent sur les prêts concessionnels aux États en Afrique, l’IFU et d’autres banques de développement des pays nordiques investissent plutôt dans les entreprises, et les partenariats public-privé (PPP). Qu’est-ce qui justifie un tel choix ?
Ce n’est pas un choix binaire. Le Danemark agit dans les deux sens. Il y a l’IFU qui s’occupe du financement du secteur privé et l’Agence danoise pour le développement international (Danida) qui aujourd’hui s’appelle DANIDA Sustenable Infrastructure Finance (DSIF), également alimentée par le gouvernement danois, mais qui s’occupe du secteur public. Il est cependant vrai que même dans le secteur public aujourd’hui, l’approche est différente puisqu’il ne s’agit plus des « aides », mais de promouvoir des partenariats et structurer des projets viables avec des gouvernements.
Cela dit, le rôle du secteur privé doit rester déterminant et l’IFU fait beaucoup d’efforts vis-à-vis dudit secteur. À titre d’exemple, nous avons clôturé en juin 2023 la période d’investissement du Danish SDG Fund I que nous gérons. Le Danish SDG Fund I est un fonds de 800 millions de dollars dont environ 40% de ressources publiques qui ont servi à attirer des investisseurs institutionnels – notamment du secteur privé – pour les 60% restants, en vue d’accompagner le secteur privé dans des pays émergents. C’est un modèle assez unique dans l’univers des IFDs, et nous travaillons à lever un deuxième fonds de taille similaire dans les mois à venir..
L’IFU investit sur un continent en proie à l’instabilité politique avec des coups d’État qui se multiplient, notamment au Gabon, Niger, Burkina Faso, Mali, etc. Dans le même temps, le Sahel fait face à une insécurité causée par des mouvements terroristes qui pullulent depuis la chute de l’ancien président libyen Mouammar Kadhafi, en 2011. N’est-il pas plus risqué d’investir dans un tel contexte ?
La réponse facile serait de dire : oui. Il faut savoir que l’IFU est un capital risque. Quasiment 80 % de nos investissements sont réalisés en prise de participation dans le capital d’entreprises. Cela veut dire que le risque est inscrit dans notre ADN. Cela veut dire que le risque est inscrit dans notre ADN. Ces prises de participation permettent aux entreprises dans lesquelles nous investissons de lever de la dette par la suite pour financer leurs projets. Nous allons continuer à prendre ce risque aussi longtemps que nous investissement génèreront un équilibre impact-risque-rendement acceptable.
Comment garantissez-vous donc vos investissements ?
Par rapport à la situation que vous avez décrite sur le continent, c’est clair que le niveau de risque général a augmenté. Il suffit de regarder les taux d’intérêt et l’environnement macroéconomique qui est bien volatile ces derniers temps. Tout ceci traduit le risque dont nous parlons. Nous le ressentons sur notre portefeuille d’investissement. Et comme on dit souvent dans notre secteur : « la meilleure garantie à un projet, c’est le projet lui-même ». Ainsi, dans nos nouvelles transactions, nous travaillons avec le partenaire, pour pouvoir à travers le projet lui-même et sa structuration, dé-risquer au mieux l’opération. Pour les risques résiduels et non nécessairement dépendants du projet, il existe aujourd’hui un certain nombre d’instruments, notamment les garanties auxquelles nous souscrivons au cas par cas.
L’IFU finance beaucoup de projets d’énergies renouvelables, notamment au Malawi avec la centrale solaire de Golomoti de 20 MWc déjà en service. À côté de ces investissements, est-ce que votre institution de financement du développement pourrait investir dans une centrale à gaz au cours des prochaines années ?
Non. L’ambition du gouvernement danois est de travailler pour accélérer la transition énergétique. Dans ce cadre, nous n’investissons que dans les énergies renouvelables.
Plusieurs investisseurs, et certains décideurs considèrent le gaz comme une énergie de transition. Quel est votre avis sur cette question ?
Il faut respecter la position des uns et des autres. Aujourd’hui du côté du gouvernement danois, la réflexion a été menée et le choix est très clair. C’est de passer à pleine vitesse aux énergies renouvelables. Dans plusieurs projets d’énergies renouvelables, l’IFU investit en capital. Et quand on réalise des investissements en prise de participation, il faut penser à la sortie. C’est-à-dire comment on revend l’actif ? Aujourd’hui, nous arrivons à créer beaucoup plus de valeur ajoutée à travers les investissements dans le renouvelable que sur des énergies fossiles.
Aussi, les coûts de production des énergies vertes continuent de baisser, puisque le coût de la technologie baisse également. On commence à pouvoir challenger dans certains pays, les énergies fossiles. C’est vrai, le gaz est considéré par certains comme une énergie de transition. Mais, quand on pousse la réflexion plus loin, ce qui compte à la fin de la journée, c’est de pouvoir apporter l’énergie la plus moins chère aux populations. Et si on réussit à apporter cette énergie moins chère à travers le renouvelable, il faudrait considèrer que c’est un pari gagnant pour les populations et la planète. Sinon, c’est un choix stratégique à faire. Un choix d’avenir. Il y a des sujets qui n’attendent pas.
Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu