L’Union européenne (UE) vient d’adopter une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. S’appliquant aux multinationales européennes et aux compagnies étrangères investissant au sein de l’UE, cette directive vise à engager la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits humains et de l’environnement. Une décision très attendue en Afrique où ses entreprises sont impliquées dans des affaires de violation de droits de l’homme, de déforestation ou encore de pollution.
C’est une belle avancée saluée par les organisations de défense de l’environnement. L’Union européenne (UE) est favorable au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Le projet de directive validée récemment par la Commission européenne a pour objectif de favoriser un comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeur mondiales.
« Si certaines multinationales européennes jouent déjà un rôle de premier plan dans les pratiques d’entreprise durables, nombre d’entre elles sont encore confrontées à des difficultés pour comprendre et améliorer leur empreinte environnementale et leur bilan en matière de droits de l’homme. En raison de la complexité des chaînes de valeur mondiales, il est particulièrement difficile pour les entreprises d’obtenir des informations fiables sur les activités de leurs fournisseurs », indique Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur.
Les entreprises concernées
Ces dernières années, de nombreuses multinationales ont été pointées du doigt pour leur rôle, celui de leurs filiales ou fournisseurs dans des affaires de violation des droits de l’homme et de destruction de l’environnement. La compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell qui a été condamnée il y a un an par le tribunal de La Haye au Pays-Bas, pour pollution pétrolière dans 13 villages nigérians situés dans le delta du fleuve Niger. Si une telle condamnation de la part d’une justice européenne reste exceptionnelle, elle a sans doute contribué à la validation de la nouvelle directive sur le devoir de vigilance.
La nouvelle directive de l’UE concerne essentiellement trois catégories d’entreprises. Il s’agit des multinationales employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros à l’échelle mondiale. La deuxième catégorie correspond aux entreprises moins grandes économiquement, c’est-à-dire affichant un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, et employant plus de 250 personnes. Les sociétés étrangères actives au sein des pays de l’UE devront également se soumettre à la nouvelle directive sur le devoir de vigilance.
La responsabilité des entreprises
Avec la nouvelle directive, les entreprises commerçant avec l’UE sont donc tenues d’intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques d’approvisionnement et de développement, de recenser les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l’homme et l’environnement, de mettre un terme aux incidences réelles ou les réduire au minimum, d’établir et maintenir une procédure de réclamation, de contrôler l’efficacité de la politique et des mesures de vigilance, de communiquer publiquement sur le devoir de vigilance, etc.
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« Les autorités administratives nationales désignées par les États membres seront chargées de contrôler le respect de ces nouvelles règles et pourraient infliger des amendes en cas d’infraction. De surcroît, les victimes auront la possibilité d’intenter une action en justice pour les dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées », indique la Commission européenne.
Si cette nouvelle politique est fortement approuvée par les organisations de défense des droits humains et de l’environnement, elle inquiète dans certains pays africains, à l’instar de la Côte d’Ivoire. Ce pays d’Afrique est le premier pays producteur mondial de cacao. Sur les 4,8 millions de tonnes produites au niveau mondial au cours de la saison agricole 2018/2019, 46 % ont été produits en Côte d’Ivoire selon le rapport 2019 de l’Organisation internationale pour le cacao (Icco).
L’impact sur le cacao ivoirien
Problème, cette filière est pointée du doigt pour sa responsabilité dans le déclin de la forêt ivoirienne. En 60 ans en effet, la Côte d’Ivoire a perdu 90 % de son couvert forestier selon les résultats du nouvel Inventaire forestier faunique (IFFN) pays publié en juillet 2021. Pourtant, parmi les principaux exportateurs de cacao ivoirien figurent des multinationales européennes. C’est le cas des françaises Touton, Sucres et Denrées (Sucden) ou encore la belgo-suisse Barry Callebaut. Le cacao ivoirien risque de perdre
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« C’est vrai que notre forêt a été impactée par la culture du café et du cacao. Mais il y a aussi les effets du changement climatique. Dire aujourd’hui que notre cacao est issu de la déforestation n’est pas réaliste. Il n’y a pas de culture industrielle de cacao en Côte d’Ivoire, c’est surtout le fait de petits exploitants agricoles. L’État fait même des efforts pour planter des arbres dans les cacaoyers », assure Kobenan Kouassi Adjoumani, le ministre ivoirien de l’Agriculture. Ce responsable appelle plutôt l’UE à inciter ses multinationales à investir dans la transformation local du cacao afin d’assurer un « revenu décent » aux exploitants agricoles.
Toutefois, il faudra attendre plusieurs années avant l’adoption de la directive proprement dite. Puisque le projet sera débattu au sein des instances de l’UE, avec éventuellement des amendements, avant l’adoption d’un texte final.
Jean Marie Takouleu