Malgré les efforts et les investissements consentis ces dernières années, l’accès à l’électricité demeure un défi pour les pays d’Afrique centrale. Du Tchad à la République démocratique du Congo (RDC) en passant par la République centrafricaine (RCA), les pays multiplient pourtant des initiatives pour sortir de cette pauvreté énergétique.
Le 13 mars dernier, le gouvernement camerounais a publié la circulaire spécifiant la liste des équipements qui seront exonérés de taxes et droits de douane sur une période de 24 mois, à compter du 1er janvier 2024. L’exonération provisoire couvre essentiellement les équipements de production d’énergie solaire et de la petite hydroélectricité.
Cette politique adoptée depuis quelques années dans d’autres pays subsahariens « s’inscrit en droite ligne des actions gouvernementales en faveur de l’absorption du déficit énergétique à travers la diversification des sources d’énergie pour les populations rurales et les industries », indique le ministère camerounais des Finances. Cette mesure vise surtout à accélérer l’électrification rurale dont le taux était estimé par Le rapport d’étape sur l’énergie 2023 à 26,7 %, juste derrière le Gabon (27,76 %).
Sur l’ensemble du territoire, le Cameroun affichait un taux d’accès à l’électricité de 70 % en 2021 selon l’Institut national de la statistique (INS). Au regard de ce chiffre, le pays figure parmi les bons élevés en matière d’électrification, derrière le Gabon (90 %). La situation n’est guère reluisante à l’échelle des pays voisins de la sous-région. D’ailleurs, sur les cinq plus mauvais élèves en matière d’électrification en Afrique, deux se trouvent en Afrique centrale.
L’impasse au Tchad
Il s’agit du Tchad et de la République centrafricaine (RCA) qui affichent respectivement un taux de 11 et 16 % selon Le rapport d’étape sur l’énergie 2023 publié par la Banque mondiale et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’extrême pauvreté énergétique concerne également la République démocratique du Congo (RDC) qui affiche un taux d’accès à l’électricité de 21 %.
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À un mois de la présidentielle tchadienne prévue le 6 mai 2024, les autorités de transition qui briguent la magistrature suprême ont décidé de la gratuité de l’eau potable et de l’électricité pour les ménages les plus défavorisés. Une mesure électoraliste qui cache mal la situation énergétique de ce pays peuplé d’environ 18 millions d’habitants. Au Tchad, le taux d’électrification de 11 % est lié à sa faible capacité de production d’électricité estimée à seulement 125 MW en 2020 par Power Africa.
Le pays reste tributaire des combustibles fossiles pour la production de son électricité. Ces dernières années, le Tchad a attiré plusieurs investisseurs intéressés par son potentiel solaire avec un taux d’ensoleillement exceptionnel de 2 000 à 2 600 heures par an. Des projets de production d’énergie solaire ont ainsi été annoncés il y a plus de trois ans. C’est le cas du parc de Djermaya qui a même reçu un financement de 36,6 millions d’euros de la Banque africaine de développement (BAD), de Proparco et d’Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF) en 2021. La fourniture des premiers MW est toujours attendue.
Des efforts insuffisants en RCA
De son côté, la RCA a pu inaugurer deux centrales solaires (Danzi et Sakaï) d’une capacité combinée de 40 MWc en 2023. Mais le défi de l’électrification reste immense dans ce pays peuplé de 5,5 millions d’habitants où seulement 2 % de la population rurale a accès à l’électricité selon la Banque mondiale.
Pour le président centrafricain Faustin Archange Touadera qui s’est exprimé lors de la cérémonie d’inauguration de la centrale solaire de Danzi (25 MWc), « les problèmes récurrents d’électricité s’expliquent en partie par l’absence d’investissement depuis 40 ans dans ce secteur pourtant vital à l’économie nationale ».
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C’est pour répondre à cette difficulté que son gouvernement a lancé le Projet d’urgence pour l’accès à l’électricité (Puracell), financé à hauteur de 37 milliards de francs CFA (un peu plus de 56 millions d’euros) par la Banque mondiale. Outre les centrales solaires de Danzi et Sakaï déjà opérationnelles, le Puracell porte sur l’amélioration du réseau de transmission et de distribution (T&D) dans le but d’absorber la capacité de production, afin de réduire les pertes T&D, tout en améliorant l’accès à l’électricité par l’extension du réseau de distribution.
Une équation plus compliquée en RDC ?
Cependant, la RDC fait du surplace, malgré la libéralisation du secteur de l’électricité en 2014, mettant fin au monopole de la Société nationale d’électricité (SNEL). Deuxième pays le plus vaste du continent avec une superficie de 2,345 millions de km2 (un peu plus de 8 fois la taille du Gabon), la RDC affiche l’un des taux d’électrification les plus faibles du continent.
Moins de 10 % de la population congolaise dispose d’un accès à l’électricité, 35 % dans les zones urbaines (50 % à Kinshasa) et moins de 1 % dans les zones rurales. Paradoxalement, le pays dispose d’un potentiel hydroélectrique de 100 000 MW selon la Banque africaine de développement (BAD). L’ancien président RD-congolais a tenté de débloquer le mégaprojet Inga III de 11 050 MW (soutenu par l’Afrique du Sud et l’Angola), en le confiant à un consortium d’entreprises chinoises et espagnole.
Mais le projet sommeille de nouveau depuis 2020. Entre-temps, des investisseurs se sont intéressés à d’autres sources d’énergies renouvelables, notamment le solaire. C’est le cas du canadien SkyPower qui a annoncé un projet de 1 000 MW en 2020, avant d’ouvrir son capital en 2024 à l’Africa Financement Corporation (AFC), en espérant mettre un coup d’accélérateur à sa mise en œuvre.
L’impact des metro-grids
Dans le même temps, l’entreprise Nuru a opté pour les réseaux métropolitains (metro-grids) alimentés à l’énergie solaire hybride. Cette solution a été déployée avec succès dans la ville de Goma dans le Nord-Kivu, avec pour ambition d’électrifier 10 millions de personnes d’ici à 2030, en répliquant ce modèle dans les villes de Kindu (Maniema) et de Bunia (Ituri).
Cette avancée enregistrée dans l’Est de la RDC pourrait cependant être retardée à cause des combats entre l’armée régulière et les rebelles du M23 (Mouvement du 23 — Mars), même si le co-fondateur et directeur commercial de Nuru se veut plutôt rassurant et optimiste. Interrogé par Afrik21, Archip Lobo indique avoir « constaté une réelle volonté du gouvernement, que ce soit au niveau diplomatique ou militaire, d’améliorer la situation sécuritaire. Ces efforts commencent à porter leurs fruits. Tout ceci contribue à mettre nos investisseurs en confiance, avec un travail au quotidien de franche communication entre Nuru, le groupe d’investisseurs et les autorités ».
Le reste de l’Afrique centrale devrait afficher cet optimiste pour pouvoir relever le défi de l’électrification. Elle est la sous-région la moins électrifiée avec un taux de 23 % en 2017. En 2019, l’Afrique de l’Ouest qui fait face aux mêmes défis économique et sécuritaire affichait un taux de 53 % selon la Banque mondiale.
Jean Marie Takouleu