En Afrique, « le marché du carbone va donner carte blanche aux pollueurs »

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En Afrique, « le marché du carbone va donner carte blanche aux pollueurs »

Alors que les projets pétroliers et gaziers se multiplient en Afrique, les chefs d’États et de gouvernements du continent réunis à Nairobi au Kenya récemment à l’occasion du premier Sommet africain sur le climat, proposent de décupler les investissements dans les énergies renouvelables. Pour Oulie Keita, la directrice exécutive de Greenpeace Afrique qui a pris part à ce premier Sommet africain sur le climat, la responsabilité des pollueurs, notamment ceux du secteur pétrolier doit être engagée.

Alors que les projets pétroliers et gaziers se multiplient en Afrique, les chefs d’États et de gouvernements du continent réunis à Nairobi au Kenya récemment à l’occasion du premier Sommet africain sur le climat, proposent de décupler les investissements dans les énergies renouvelables. Pour Oulie Keita, la directrice exécutive de Greenpeace Afrique qui a pris part à ce premier Sommet africain sur le climat, la responsabilité des pollueurs, notamment ceux du secteur pétrolier doit être engagée.

Jean Marie Takouleu : Comme d’autres membres de la société civile, vous avez pris part au premier Sommet africain sur le climat qui s’est achevé le 6 septembre 2023 à Nairobi au Kenya. Les résolutions présentées à l’issue de cette rencontre serviront de priorité pour l’Afrique à la COP28 dans quelques semaines à Dubaï. L’Afrique parlera-t-elle enfin d’une seule voix aux Émirats arabes unis ?

Oulie Keita : Ce sommet tombe à point nommé pour les Africains, puisque cela fait 32 ans depuis le sommet de Rio de Janeiro (au Brésil) que nous attendions que nos dirigeants se mettent ensemble pour parler d’une seule voix. C’est un rendez-vous dont les Africains, en tout cas, ceux qui travaillent sur la protection de l’environnement, ont soif depuis plusieurs années.

Donc, il fallait un espace où les Africains abordent les questions liées au changement climatique dans une perspective africaine afin de trouver des solutions idoines à nos problèmes. Nous ne pouvons pas continuer d’aller aux sommets internationaux sans avoir une vision commune sur le changement climatique. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que Greenpeace a pris part à ce sommet qui vient de s’achever à Nairobi.

Il y a eu beaucoup d’imperfections, surtout pour la société civile à cause de la logistique et l’agenda. Mais au moins, c’est un premier pas. Nous encourageons nos dirigeants à poursuivre dans cette lancée. On pensait que ce sommet devait être organisé annuellement, mais ils ont annoncé à la cérémonie de clôture que l’évènement allait être organisé tous les deux ans.

Les crédits carbone étaient au menu des discussions lors de ce sommet. Mais cette solution de financement volontaire est très fortement contestée puisque certaines multinationales s’en servent pour faire du « greenwashing ». Doit-on poursuivre avec la vente et l’achat des crédits carbone ?

Notre position est très claire. Les pollueurs doivent payer les dommages qu’ils créent dans la vie des communautés. Dans le même temps, ils doivent stopper la pollution. On ne peut pas continuer à accepter les crédits carbone pour le simple prétexte qu’ils permettent la mise en œuvre de projets qui préservent l’environnement. C’est une distraction que nous n’acceptons pas. Il me semble que la communauté internationale est entrain de pousser cet agenda, et on l’a vu au sommet de Nairobi.

C’est injuste de permettre aux multinationales d’acquérir des crédits carbone, et c’est presque une autorisation à la pollution. Pour nous, l’achat des crédits carbone n’estompe pas malheureusement les effets des activités des pollueurs sur le terrain et ça ne nous permet pas d’avancer vers l’objectif global de limitation du réchauffement de la planète à 1,5 °C. Nous sommes pour des solutions durables, notamment les énergies renouvelables.

Justement, dans la déclaration de Nairobi, les chefs d’États et de gouvernements africains veulent augmenter la capacité de production d’énergies renouvelables de 56 GW en 2022 à au moins 300 GW d’ici à 2030. Pourtant, le continent ne reçoit que 3 % des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables. À ce rythme, l’Afrique peut-elle se développer en misant uniquement sur les énergies propres ?

Cette question soulève un autre problème. Soixante ans après les indépendances, les pays africains devraient-ils continuer à compter exclusivement sur les investissements extérieurs pour se construire ? Les chefs d’État devraient se pencher sur ce problème afin de trouver des solutions urgentes. Bien sûr, nous avons besoin des investissements extérieurs et l’Afrique ne reçoit que 2 % des financements du Fonds vert pour le climat (FVC). Mais les gouvernements africains ne doivent pas attendre pour agir.

L’Afrique doit penser investir dans ses propres plans d’adaptation et de résilience au changement climatique. Que faisons-nous des fonds issus de l’exploitation de nos ressources naturelles ? Il faut investir une partie de ces fonds dans des infrastructures climatiques.

Mais sommes-nous prêts sur le plan technologique ?

Nous avons des technologies. C’est juste que les innovations africaines ne sont pas assez soutenues. Il y a tellement d’incubateurs et les centres de recherche sur le continent. Pourquoi ne pas investir dans nos idées afin de les mettre à l’échelle et même de les vendre ensuite au reste du monde ?

Ouganda, Tchad, Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire… Les projets pétroliers et gaziers se développent à tour de bras en Afrique. Comment convaincre un pays comme la République démocratique du Congo (RDC) de renoncer au pétrole, compte tenu de ses besoins en matière de développement, notamment sur le plan énergétique ?

C’est dommage que soixante ans après les indépendances, nous soyons toujours dans ce cercle vicieux. L’exploitation du pétrole est une forme moderne de colonisation, puisqu’elle enrichit ceux qui exploitent et maintient les pays pauvres dans la pauvreté. Pire encore, elle a un impact sur la vie des populations locales. Le Tchad pays, mon propre pays le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Niger, ont le même problème. Nous devons penser à la prochaine génération.

Par exemple, en Afrique centrale et d’autres pays du bassin du Congo, ont toutes les richesses possibles dans cette zone. Il incombe à nos dirigeants d’arrêter de faire gagner les multinationales au détriment des populations qui n’ont pas accès aux services de base tels que l’eau potable et l’électricité. Mais que faisons-nous de ces richesses ? Nous devons mettre en place des lois pour protéger l’environnement et les communautés qui y vivent.

Et que faisons-nous de ces gisements ?                                                            

Il faut une période de transition. Nous pouvons trouver progressivement une manière durable d’exploiter ce pétrole. Nous ne pouvons pas continuer dans le même rythme. C’est un peu comme avoir un enfant surdoué et exploiter son intelligence au maximum. À un moment, il tombera dans la dépression. Il y a des pays africains qui arrivent à se développer en exploitant leurs ressources naturelles de manière durable comme le Maroc qui mise sur l’énergie éolienne. Il faut s’orienter vers les énergies renouvelables. Je sais que c’est coûteux en termes d’infrastructures. Nous pouvons nous orienter vers les partenariats public-privé (PPP) afin d’encourager le secteur privé à investir dans le solaire, à doter les communautés de systèmes solaires à moindre coût.

La Déclaration de Nairobi propose une taxe carbone sur les produits pétroliers. Cette solution est-elle viable ?

Nous sommes contre la taxe carbone. C’est donner carte blanche aux pollueurs pour continuer leurs activités au détriment des populations locales. J’ai dit clairement lors du sommet que ce n’était pas une solution durable. C’est un business que nous sommes en train de promouvoir en allant vers la taxe carbone sur les produits pétroliers. Encore une fois, nous devons orienter nos investissements vers les énergies renouvelables.

Parmi les dirigeants présents au sommet de Nairobi figurait le sénégalais Macky Sall qui insiste pour l’utilisation du gaz dans la transition énergétique. Au regard des enjeux économiques, le gaz peut-il être considéré comme une énergie de transition ?

Ne nous voilons pas les yeux le gaz pollue. Ne perdons pas également de vue le fait que son extraction et son transport génèrent d’importantes fuites de méthane, qui est plus dangereux que le dioxyde de carbone (CO2). Des recherches montrent que le méthane est doté d’un pouvoir de réchauffement 82 % plus que le CO2 sur une période de 20 ans.

Chez nous à Greenpeace, nous voyons l’exploitation du gaz comme une grande menace pour la vie des communautés. Alors, doit-on sacrifier des vies humaines au profit du développement ? C’est une question qu’il faudra poser au président du Sénégal. Mais nous savons que l’exploitation du gaz et d’autres énergies fossiles exposent les populations à la pollution, aux maladies, à la corruption, à la pauvreté et surtout aux conflits. Les forages gaziers ont des effets bien documentés sur la santé des populations aux États-Unis d’Amérique par exemple. Il y a notamment un risque élève de cancer et des complications de grossesse pour les femmes. Il y a également des problèmes respiratoires et cardiovasculaires comme l’asthme, etc.

Quelle devrait être la priorité du continent africain lors de la prochaine COP ?

Il faut déjà utiliser cette Déclaration de Nairobi pour bien préparer la COP28 à Dubaï. Maintenant que nous avons une vision commune en tant que continent africain, il faut présenter cette déclaration avec un plan bien pensé et surtout avec des ressources. Car, chaque État doit contribuer à la réalisation de ce plan au niveau des communautés. Si nos pays arrivent en bloc avec une stratégie et des budgets alloués à ce plan, ils peuvent maintenant aller vers la communauté internationale qui est responsable des dommages sur le continent.

Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu

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