SUEZ veut faire de l’innovation le principal levier de son développement dans le monde, notamment en Afrique où le groupe est très actif dans la gestion de l’eau et l’assainissement, ainsi que les déchets. Pour Jérôme Bailly, son Directeur de l’Innovation, les innovations permettent d’améliorer l’efficacité des infrastructures d’eau potable et d’assainissement et du traitement des déchets.
Jean Marie Takouleu : SUEZ augmente son budget recherche et développement (R&D) de +40 millions d’euros jusqu’en 2027. Très concrètement, comment se déploiera ce financement ?
Jérôme Bailly : Les investissements seront réalisés essentiellement dans le domaine des déchets et de la décarbonation. Parce que dans le domaine de l’eau, nous avons un historique de R&D très fort, avec beaucoup de savoir-faire, de solutions innovantes propriétaires et de brevets.
Donc concernant l’eau, nous allons maintenir nos efforts et re-focaliser encore plus fortement sur les sujets prioritaires.
En particulier les sujets de ressource en eau, qu’il s’agisse de la prévision, réduction des usages, lutte contre les fuites… Nous savons tous comment ce petit degré climatique de plus a complètement déstabilisé le cycle de l’eau, avec la recrudescence des sécheresses. Cela ne va malheureusement pas s’arrêter et donc nous anticipons. Nous n’oublions pas les infrastructures, notamment les réseaux. Contrairement à ce qu’on pense, le réseau coûte souvent plus cher que l’usine d’eau potable à construire ou à maintenir. Nous investirons davantage dans des technologies de détection de fuite et d’inspection, par robot et par drone sur les réseaux d’eau.
Il ne faut pas oublier le sujet de la qualité de l’eau avec les PFAS (Substances per- et polyfluoroalkylées) qui rassemblent plusieurs milliers de composés chimiques présents dans divers produits industriels et de consommation courante : textiles, emballages alimentaires, mousses anti-incendie, revêtements antiadhésifs, cosmétiques, pesticides, etc.
Nous avons d’autres sujets en eaux usées et notamment concernant le traitement des boues, mais de mon point de vue sans doute moins prioritaires pour le continent africain.
Et en ce qui concerne les déchets ?
Sur les déchets, nous allons doubler notre effort d’Innovation. Et cela a déjà commencé. Sur les douze derniers mois par exemple, pour la première fois dans l’histoire de SUEZ, nous avons démarré autant de projets dans le domaine des déchets que dans le secteur de l’eau. Parmi les sujets phares dans le secteur des déchets figurent le tri, c’est-à-dire trier mieux et à tous les niveaux, chez les usagers, à la sortie du bac et au niveau des usines de tri. Le deuxième sujet majeur, est le recyclage, du plastique notamment. Dans une autre échelle de temps, nous sommes sur la valorisation des matières complexes, soit en valorisation matière, voire waste-to-fuel.
L’Afrique du Nord est confrontée à un stress hydrique accentué par le changement climatique. Comment les innovations de SUEZ peuvent-elles permettre aux pays de la sous-région de réduire l’impact du stress hydrique ?
Vous le savez déjà, SUEZ assure la gestion de l’eau dans plusieurs pays africains. En Égypte, l’une des solutions face au stress hydrique, c’est la réutilisation des eaux usées traitées. On parle beaucoup du stress hydrique, mais il ne faut pas oublier la problématique de la qualité des ressources, et le meilleur moyen reste de ne pas polluer ces ressources, pour ne pas avoir à les dépolluer à grand frais plus tard. À la station de Gabal el Asfar maintenue et exploitée par SUEZ, la qualité des eaux usées traitées relarguées dans le Nil, source principale d’eau douce du pays, est irréprochable et une partie de ses eaux recyclées est destinée à la réutilisation en irrigation agricole.
En parallèle, nous travaillons sur l’amélioration du rendement des réseaux d’eau. Au Sénégal, en termes d’innovation, nous travaillons sur l’optimisation énergétique, nous développons par exemple un projet portant sur la construction de fermes solaires pour l’exploitation durable des infrastructures d’eau. Nous sommes également au stade pilote pour la mise en place de la télé-relève
En Afrique subsaharienne, la problématique est toute autre : il y a suffisamment de ressources en eau, mais les populations n’ont toujours pas accès à une source sûre d’approvisionnement en eau potable. Les innovations de SUEZ peuvent répondre à cet autre défi ?
On parle beaucoup plus d’innovation technologique. Mais il y a un autre sujet qui n’est pas assez évoqué, notamment l’innovation en matière de business model, financière, etc. C’est très important. Je ne pense pas qu’il y a un problème technologique qui empêche l’accès universel à l’eau potable en Afrique. Comme vous le dites, il y a de l’eau, et donc, il y a un problème de capacité à payer le vrai prix du service pour l’accès à l’eau et donc de business model, ou d’appui financier international. Dans ce contexte, sur des systèmes existants, SUEZ peut aider à l’amélioration de l’efficacité dans la gestion à travers la mise en place de réseaux performants pour réduire les fuites, pour optimiser leur consommation énergétique. Nous avons un savoir-faire en la matière.
Des choses qui paraissent aussi simples que le choix des matériaux. Je suis allé voir ce qui se passait au Sénégal. Certains raccordements sont en polyéthylène haute densité (PEHD) de qualité médiocre. Or, c’est un pays dans lequel il fait chaud et avec de fortes teneurs en chlore dans l’eau distribuée. Et ces tuyaux PEHD résistent mal au couple température et chlore. Il faut donc choisir le bon matériau, payer un tout petit peu plus pour faire de grandes économies avec moins de casses et moins de fuites. Les réseaux fragilisés ne supportent pas la pression, d’où la possibilité de mettre en place des régulateurs de pression pour gagner quelques années de durée de vie. Donc, ce n’est pas une, mais plusieurs solutions à mettre en place à chaque étape, c’est-à-dire la conception des réseaux, la pose des canalisations, surtout la réparation des fuites pour éviter que l’eau y soit perdue, la facturation, etc.
Ce sont des choses qui coûtent un peu cher au début, qui doivent être anticipées et les bénéfices perdureront pendant 20, voire même 50 ans.
Il y a un sous-investissement dans les infrastructures d’eau potable en Afrique subsaharienne. Est-ce que les partenariats public-privé (PPP) sont envisageables sur le long terme dans ce secteur ?
Il faut vraiment envisager les PPP sur des périodes longues, entre 20, 25 et 30 ans, avec à la clé, une stabilité institutionnelle, politique et un cadre économique.
Est-ce que vous avez identifié des obstacles à la mise en place de PPP ?
Sur les PPP, les consommateurs craignent plutôt le coût de revient de l’eau.
Effectivement, l’eau brute est gratuite. Seulement, il faut la traiter, la transporter, la mettre en pression, contrôler sa qualité et surtout l’avoir disponible 24 h/24. Ce service a un coût. Le bénéfice pour la population est énorme, notamment sur le plan sanitaire.
Les autorités locales africaines font de plus en plus recours aux PPP, qui peuvent prendre différentes formes. Elles bénéficient des innovations technologiques et du financement du secteur privé mais aussi du transfert de savoir-faire aux équipes locales pour faire monter en compétences les dirigeants du secteur de l’eau ou des déchets du futur.
SUEZ a acquis EnviroServ, leader du traitement des déchets industriels de l’Afrique du Sud, il y a quelques mois. Est-ce que vous allez vous appuyer sur cette nouvelle filiale pour diffuser vos innovations dans le secteur des déchets en Afrique ?
C’est exactement l’esprit de SUEZ et notre nouvel operating model, autour de deux Divisions, Eau et Recyclage et Valorisation, favorisera cette approche. Notre priorité consiste à accompagner ce que fait EnviroServ en les mettant dans le bain des innovations de SUEZ. Et dans un deuxième temps de les diffuser en Afrique du Sud et ailleurs sur le continent. Au cours des deux années à venir, nous allons faire de sorte qu’EnviroServ connaisse nos principales innovations, et que certaines soient mises en œuvre.
Nous avons un programme de déploiement dans les installations d’EnviroServ, par exemple la couverture des centres d’enfouissement pour optimiser le captage du biogaz et éviter les émissions de gaz à effet de serre.
Ce sont des exemples de ce que nos efforts en R&D peuvent apporter aux villes et aux Etats africains dans leur développement économique durable, dans deux domaines impactés par le changement climatique et la croissance démographique.
Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu