Boris Ngounou (BN) : Quel commentaire vous inspire l’accord sur le Bilan mondial trouvé à la COP28 ?
Nassim Oulmane : Pour la première fois, la COP a appelé à une action de transition pour s’affranchir des combustibles fossiles. Pour l’Afrique, qui représente moins de 4 % de l’ensemble des émissions cumulées et actuelles, le défi consiste à faire en sorte que le changement climatique ne réduise pas nos chances de développer et d’atteindre nos objectifs de développement durable (ODD) et les objectifs de l’Agenda 2063 de l’Afrique. Pour ce faire, le budget carbone restant doit être ajusté afin de donner à l’Afrique l’espace nécessaire pour construire et sécuriser sa trajectoire de développement et de transformation.
Cet objectif ne peut être atteint que si les nations industrialisées commencent immédiatement à éliminer les combustibles fossiles, tout en aidant les pays en développement, notamment africains, à investir dans les combustibles fossiles de transition afin de renforcer leurs capacités de transition vers les énergies vertes. Il est important de remplacer les actions unilatérales, non concertées, qui créent des obstacles à ces voies par des efforts concertés et multilatéraux visant à faciliter ces objectifs. Il faut toujours garder à l’esprit que 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’énergie. De ce fait, le double défi climatique et de développement auquel sont confrontés les pays africains nécessite de promouvoir les investissements dans les énergies de transition, en particulier le gaz, afin de veiller à ce que le continent comble rapidement le fossé de l’accès à l’énergie et s’industrialise au rythme nécessaire pour atteindre ses objectifs de développement et faciliter la transition vers l’énergie propre. C’est fondamentalement la transition énergétique juste que nous recherchons, dans le cadre d’une élimination progressive à l’échelle mondiale fondée sur des responsabilités communes mais différenciées et à la lumière des circonstances nationales. C’est le résultat juste et équitable qu’une approche solidaire des COP doit produire.
Lors de la grand-messe sur le climat de Dubaï, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) a déployé, une pléthore de panels et de sessions sur les ODD et l’adaptation au changement climatique en Afrique. Quel bilan en faites-vous ?
La CEA a effectivement organisé de nombreux évènements afin de porter la voix singulière de l’Afrique et mieux expliquer les positions et les besoins du continent au reste du monde.
Le financement reste le principal obstacle à une réponse climatique globale et inclusive. Il est bien sûr frustrant que l’objectif de fournir 100 milliards de dollars de financement climatique par an ne soit toujours pas atteint. Il est également frustrant que les parties n’aient pas pu se mettre d’accord sur le nouvel objectif collectif quantifié en matière de financement lors de la COP28. Malgré cela, de nombreuses promesses et initiatives prometteuses ont été annoncées lors de la grand-messe sur le climat qui s’est tenue à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023.
Toutefois, bon nombre de ces initiatives ne se concrétiseront pas si un financement adéquat, accessible, prévisible et nouveau n’est pas mis à disposition de toute urgence. Il était important que ces panels rappellent que le déficit de financement est énorme. Entre 5,8 et 5,9 billions de dollars seront nécessaires pour la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national (CDN) d’ici à 2030 ; 215 à 387 milliards de dollars sont nécessaires chaque année pour l’adaptation, et 4,3 billions de dollars pour les investissements dans les énergies propres. Il s’agit là de sommes colossales, qui ne seront pas facilement accessibles à partir des fonds publics existants. Il est clair que la mise à disposition de financements abordables, la restructuration de la dette, l’incitation à des formes de financement nouvelles et innovantes, ainsi que la réforme des institutions et des systèmes financiers internationaux permettront d’atteindre les ODD et de lutte contre le changement climatique.
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Un autre sujet discuté par ces panels concerne les marchés de carbone. Le consensus historique atteint par la COP 28 appelant les parties à abandonner les combustibles fossiles augmentera certainement la demande de crédits carbone, fortement stimulée par les engagements accrus des investisseurs publics et privés à réduire les émissions de carbone résiduelles provenant notamment des systèmes énergétiques, de l’industrie, des infrastructures construites et des transports. Cette demande ne sera pas satisfaite par l’offre actuelle de crédits sur tous les marchés existants, ce qui représente une énorme lacune. Grâce à leurs vastes puits de carbone situés dans leurs forêts tropicales et autres écosystèmes terrestres et aquatiques, et à leur fort potentiel de production d’énergie renouvelable, les pays africains seront en mesure de générer et d’échanger des crédits crédibles et supplémentaires de haute qualité pour combler ces lacunes de l’offre et contribuer à accélérer la transition vers une économie à faible émission de carbone. Ils pourront également générer des revenus supplémentaires pour soutenir leur adaptation, leur résilience, les ODD et d’autres priorités de leurs plans de développement. Pour permettre aux pays africains d’exploiter efficacement et pleinement ces opportunités, la CEA avec des partenaires comme la Commission climat du bassin du Congo pour la mise en place de marchés régionaux de carbone à haute intégrité qui génèrent des crédits supplémentaires et crédibles et préservent l’intégrité de l’environnement. Nous avons aussi eu des panels sur l’économie bleue et l’initiative de la Grande Muraille Bleue, ainsi qu’avec la Commission climatique des îles africaines afin de faire de l’économie bleue un pilier de développement du continent et de l’action climatique de l’Afrique.
La COP28 se solde également par la mise en place du fonds sur les « pertes et dommages », doté d’une contribution initiale d’environ 725 millions de dollars, selon la BAD. Selon vous, que faut-il faire pour que ce fonds réponde rapidement aux besoins des pays africains qui restent les plus vulnérables aux catastrophes naturelles et aux conséquences du changement climatique ?
Dès le premier jour de la conférence, la présidence de la COP28 a ouvert la voie en promettant 100 millions de dollars pour l’opérationnalisation et la capitalisation initiale du fonds « Pertes et dommages » (200 millions de dollars étaient nécessaires pour rendre le fonds opérationnel). Au deuxième jour de la rencontre internationale, près de 725 millions de dollars avaient été promis au nouveau fonds. Après près de trois décennies de négociations sur la création du fonds, il s’agit d’une avancée considérable, qui témoigne de l’intention de l’hôte d’obtenir des résultats concrets à l’issue de la COP28.
Toutefois, il convient de noter que 725 millions de dollars sont loin des quelque 3 000 milliards de dollars nécessaires pour faire face aux pertes et aux dommages causés par le changement climatique et pour renforcer la résilience. Les besoins de financement sont bien plus importants. Il reste également beaucoup à faire pour définir les règles de fonctionnement du fonds, notamment sa gouvernance, les méthodes d’évaluation des dommages et de quantification des indemnisations, les modalités de décaissement, etc. La CEA a été en première ligne pour aider les États africains à renforcer la résilience des économies, des écosystèmes, des infrastructures et des moyens de subsistance grâce à des initiatives telles que, le soutien à l’élaboration et à la mise en œuvre des CDN, le renforcement des capacités pour l’intégration des informations climatiques dans la planification des infrastructures et des investissements, ou la conceptualisation de la stratégie africaine sur le changement climatique.
La CEA a aussi facilité le développement d’un outil basé sur un modèle climatique pour prédire et évaluer les pertes et les dommages des pays africains, ce qui a permis de mieux évaluer les besoins des pays africains. Aujourd’hui, il importe de développer les outils innovants basés sur des méthodologies acceptées et convenues au niveau multilatérale pour que l’opérationnalisation de ce fond puisse répondre rapidement aux urgences et aux besoins du continent qui, je le rappelle, est le plus vulnérable et le plus impacté par les conséquences du changement climatique. C’est ce à quoi nous nous employons avec nos partenaires.
Propos recueillis par Boris Ngounou