Pour cette 9e édition, le Fradd s’intéresse aux ODD numéro 6, 7, 9, 11 et 17. Quel état des lieux faites-vous de la progression vers l’atteinte de ces objectifs en Afrique ?
Nous sommes dans une ère de crises multiples. Les pays africains n’ont pas assez de ressources et leurs capacités domestiques de financement ont été réduites, en raison des crises successives, notamment la Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne qui perdure, avec un impact très prononcé sur les chaînes de valeur en ce qui concerne l’alimentation et l’accès à l’énergie. Tout cela a un impact négatif sur les populations et les économies. Dans cette ère de crise multiple, nous devons voir comment à travers une relance verte, nous pouvons permettre aux pays africains de restructurer leur économie autour de la vraie valeur de leurs ressources naturelles, développer les chaînes de valeur de manière à bénéficier pleinement les opportunités de la Zone de libre-échange du continent africain la (ZLECAF), mais à la fois de se positionner dans un contexte global. C’est vraiment le lieu d’appuyer les pays africains à tirer réellement profit de leurs ressources.
Arrêtons-nous sur l’objectif 7 qui préconise l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. L’Afrique subsaharienne demeure en retard sur cet objectif malgré son riche potentiel en ressources d’énergie renouvelable. Si le Cameroun en est à 25% d’accès à l’électricité en milieu rural, le Niger, où nous sommes, en est à 3% selon les chiffres officiels. Les solutions sont pourtant connues depuis une dizaine d’années maintenant. Qu’est-ce qui fait problème ?
Je crois qu’il y a plusieurs éléments. Le premier qu’il faut reconnaître, c’est qu’on doit renforcer les capacités des pays en ce qui concerne l’environnement régulateur pour faciliter et prioriser les investissements dans ce secteur. Il y a aussi la réalité de la perception des risques pour l’investissement en Afrique. C’est-à-dire que le secteur privé, jusqu’à maintenant n’a pas pu jouer le rôle qu’il a joué dans d’autres régions, à cause de la mauvaise perception du risque de l’investissement sur le continent. Cette perception est due l’insécurité, mais aussi à la petite valeur d’un marché caractérisé par des populations pauvres.
Mais toutes les analyses faites par la CEA démontrent qu’un investissement effectué dans le secteur de l’énergie a un effet tremplin beaucoup plus fort que dans d’autres secteurs. Si on investit dans l’accès à l’énergie, cela se traduit par une augmentation dans du produit intérieur brut (PIB) par habitant à 30%. Cela veut dire que si on arrive à vraiment à créer cet accès à l’électricité, à l’énergie, ça va créer une multiplication dans l’économie. Et pour réduire le risque sur ces investissements, il faut utiliser les mécanismes qui sont déjà disponibles à travers des financements internationaux, mais qui sont peu déployés en Afrique. Il s’agit des garanties partielles par exemple. Pour que le secteur privé soit accompagné dans ses investissements. Et bien sûr comme je l’ai dit il faut aussi reconnaître qu’il faut une politique très transparente dans les pays africains pour faciliter ces investissements.
Vous avez modéré un panel de haut niveau sur les énergies renouvelables en Afrique. Pensez-vous que le continent puisse opérer une percée dans la production de l’hydrogène vert ? Et à quelles conditions ?
Je crois que toutes les analyses qui ont été présentées par des organisations régionales, mais aussi par l’université Abdou-Moumouni basée ici au Niger, ont démontré que l’Afrique a un fort potentiel en matière d’énergie renouvelable. Le défi c’est qu’il n’y a pas beaucoup de capacité de recherche sur le continent. Nous dépendons beaucoup des chercheurs et des scientifiques d’ailleurs. Je crois que les priorités consistent à créer un cadre régulateur, propice à la recherche et maintien des compétences en recherche dans les universités.
L’hydrogène vert est de plus en plus mis en avant, mais il faut vraiment penser à une stratégie énergétique adaptée aux besoins de chaque pays. Les pays africains qui disposent par exemple d’énormes ressources hydrauliques peuvent presqu’à 100% créer l’accès à l’énergie en utilisant ces ressources. Mais les pays qui ont un très faible accès à l’énergie, doivent utiliser tous les moyens à leur disposition. Par exemple un comme le Niger, doit nécessairement recourir aux hydrocarbures afin d’adresser la question de l’intermittence de la génération, la difficulté de stockage, ainsi que le prix du stockage. Il faut toutefois avoir un plan énergétique qui vise à long terme, à prioriser les énergies renouvelables. Ces énergies renouvelables coûtent beaucoup moins cher actuellement que les hydrocarbures.
L’hydrogène vert est aujourd’hui envisagé comme une solution pour la décarbonation de l’industrie en occident. Au-delà de la production, comment l’Afrique peut-elle valoriser l’hydrogène vert produit sur place ? L’Afrique envisage-t-elle une stratégie globale à ce sujet ?
Des propositions sont faites dans ce sens. L’hydrogène vert est tout autant viable que les autres formes d’énergies renouvelables. Ce que les pays doivent faire, c’est d’adapter leurs mix-énergétiques en fonctions des ressources disponibles. Les pays dépourvus de ressources hydrauliques peuvent baser leur stratégie sur le solaire ou l’éolien qui prospèrent très bien dans le désert. La Commission travaille actuellement avec d’autres partenaires sur la modélisation des méthodes énergétiques permettant à chaque pays de vraiment adapter le mix énergétique qui est le mieux adapté à sa réalité.
Quelles sont les principales résolutions ou recommandations sur lesquelles vous souhaitez conclure ce forum ?
Je crois qu’en premier lieu, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup d’innovations qui se font déjà. Il y a beaucoup de bonnes pratiques, mais cela se trouve encore à une échelle réduite. Et pour arriver à de grandes échelles, il faut des plans d’investissement transparents. Les gouvernements doivent prêcher par l’exemple.
Les plans d’investissement doivent aussi permettre la participation très forte du secteur privé. Le secrétaire général des Nations unies a annoncé il y a plusieurs semaines, que c’était le moment où ne jamais de vraiment faire un grand bond en avant pour la mise en œuvre des ODD. Et pour faire cela, il faudrait à un stimulus dans les ODD. Un stimulus vert et à l’échelle globale, qui donne la priorité aux besoins des pays en voie de développement.
Propos recueillis par Boris Ngounou