Les approches d’écoconstruction alliant efficacité énergétique et technologies sont plus que jamais brandies aussi bien par les promoteurs immobiliers que par les partenaires au développement. C’est le cas du groupe de la Banque mondiale. Dans cette interview accordée à Afrik21, Cheick-Oumar Sylla, le directeur Afrique du Nord et Corne de l’Afrique de la Société financière internationale (SFI) et sa collègue Lenore Cairncross, responsable de la Construction écologique reviennent sur les avancées et les défis de ce secteur sur le continent africain depuis le lancement de la certification EDGE.
Les approches d’écoconstruction alliant efficacité énergétique et technologies sont plus que jamais brandies aussi bien par les promoteurs immobiliers que par les partenaires au développement. C’est le cas du groupe de la Banque mondiale. Dans cette interview accordée à Afrik21, Cheick-Oumar Sylla, le directeur Afrique du Nord et Corne de l’Afrique de la Société financière internationale (SFI) et sa collègue Lenore Cairncross, responsable de la Construction écologique reviennent sur les avancées et les défis de ce secteur sur le continent africain depuis le lancement de la certification EDGE.
Benoit-Ivan Wansi : Avant d’arriver à la SFI, vous avez piloté des initiatives de construction écologique pour le compte de plusieurs fonds d’impact sur le logement. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le financement de l’écoconstruction en Afrique ?
Lenore Cairncross: Dans la plupart des pays africains, en raison de l’absence de politiques et de réglementations de soutien, il est encore nécessaire de sensibiliser et d’éduquer davantage aux avantages d’une énergie plus verte et d’options d’économie de carbone pour les nouveaux bâtiments et la modernisation des bâtiments existants. La certification des bâtiments écologiques est perçue comme coûteuse et trop compliquée, ce qui signifie que l’adoption de ces pratiques est encore relativement faible, de sorte que nous sommes encore en train de rattraper notre retard à bien des égards. L’éducation du secteur doit aller de pair avec le soutien et les incitations des pouvoirs publics, y compris la réglementation et le soutien politique, ainsi qu’un meilleur accès au financement. Aucun de ces éléments ne peut fonctionner indépendamment de l’autre.
Compte tenu de ces défis et pour que la transformation du marché soit efficace, la SFI a créé une approche sur quatre fronts, en travaillant avec les gouvernements pour fournir des incitations et des réformes politiques, avec les promoteurs pour fournir un soutien technique afin de certifier leurs projets, avec les banques pour créer des produits financiers verts qui peuvent encourager les promoteurs à construire vert, et les propriétaires à acheter des maisons vertes, ainsi qu’avec les professionnels de la conception tels que les architectes et les ingénieurs pour leur fournir les connaissances techniques nécessaires à la conception d’un bâtiment vert.
Quid de la certification EDGE ?
Lenore Cairncross: Nous avons également créé l’application EDGE en ligne, disponible gratuitement, qui permet d’évaluer la conception d’un bâtiment, de déterminer s’il répond à la norme EDGE et quelles mesures peuvent être mises en œuvre pour y parvenir.
Alors que le financement des bâtiments écologiques se développe sur le continent, les investisseurs doivent être assurés que les projets dans lesquels ils investissent sont écologiques avant de pouvoir bénéficier d’un financement, d’où la nécessité d’une norme de certification des bâtiments écologiques reconnue au niveau mondial, telle qu’EDGE, qui comprend un outil de mesure permettant de quantifier les économies de carbone.
Le Grand musée égyptien (GEM), dont l’inauguration officielle est prévue ce printemps 2024, rejoint la famille des infrastructures « EDGE ». Quel est le but de cette certification ?
Cheick-Oumar Sylla : Le passage au vert du Grand musée égyptien (GEM), qui devient le premier musée certifié EDGE en Afrique et au Moyen-Orient, témoigne de l’engagement croissant de l’Égypte en faveur du développement durable. La certification soutient l’écologisation du secteur de la construction et la mise en place d’opérations efficaces en termes de ressources et de coûts. Elle réaffirme également l’engagement du musée en faveur de la durabilité, conformément à la Vision 2030 de l’Égypte en matière d’énergie propre.
Et de manière concrète ?
Cheick-Oumar Sylla : Grâce à une conception et une construction intelligentes sur le plan climatique, le musée économise plus de 60 % des coûts énergétiques et réduit la consommation d’eau de 34 % par rapport à un bâtiment conventionnel de ce type et de cette taille. Ces mesures se traduisent par des économies d’énergie équivalentes au retrait de plus de 400 véhicules à essence des rues du Caire pendant un an, et par des économies d’eau équivalentes à 63,4 millions de litres d’eau du Nil par an.
Pour avoir validé cette labellisation du GEM, pouvez-vous nous dire ce qui a motivé le choix de la SFI et qu’est-ce que cela change dans le secteur des bâtiments en Égypte ?
Cheick-Oumar Sylla : La certification EDGE Advanced fait partie du projet Green Building de la SFI, en partenariat avec le Centre national de recherche sur le logement et le bâtiment d’Égypte (HBRC), qui vise à améliorer l’écosystème des bâtiments écologiques en Égypte et à promouvoir la certification des projets de construction qui favorisent des choix de conception rentables et efficaces sur le plan des ressources. Le partenariat se concentre sur la sensibilisation du secteur public aux arguments économiques en faveur des bâtiments écologiques certifiés, sur le développement des compétences pour mettre en œuvre des systèmes d’incitation écologiques et sur le soutien au développement local d’un parc immobilier écologique.
Le GEM, le plus grand musée archéologique du monde consacré à une seule civilisation, celle de l’Égypte ancienne, et qui abrite plus de 100 000 objets, est certifié EDGE Advanced, ce qui prouve que même les projets emblématiques de grande envergure peuvent donner la priorité à la durabilité. Ce projet illustre l’impact considérable que les partenariats publics et privés peuvent avoir sur un avenir plus vert.
Y a ti-il d’autres partenaires au développement impliqués dans vos initiatives sur la construction écologique ?
Cheick-Oumar Sylla : Le projet de construction écologique de la SFI en Égypte est soutenu par le Secrétariat d’État suisse à l’économie (SECO), tandis que le gouvernement britannique soutient le programme EDGE au niveau mondial.
Combien coûte le marché de l’écoconstruction et pourquoi n’est-il pas aussi dynamique (à l’échelle continentale) que d’autres secteurs de la transition écologique ?
Lenore Cairncross: EDGE a démarré en Afrique du Sud en 2015 et s’est développé sur tout le continent avec plus de 7,4 millions de m2 de biens immobiliers certifiés à ce jour. Bien que nous ne disposions pas des chiffres exacts concernant le financement des bâtiments écologiques en Afrique, la SFI a investi 12,2 milliards de dollars dans les bâtiments écologiques et EDGE a certifié 73 milliards de dollars d’actifs immobiliers écologiques, ce qui a permis d’économiser 1,5 million de tonnes de CO2 par an.
La plupart des grandes sociétés immobilières sur le continent sont basées en Afrique du Sud. C’est le cas du groupe bancaire Absa a qui la SFI a prêté 236 millions de dollars au second semestre 2023 pour le financement des édifices économes en ressources. Pouvez-vous nous décrire le processus et la finalité d’un tel partenariat ?
Lenore Cairncross: L’investissement de la SFI dans Absa, d’un montant de 236 millions de dollars, a été réalisé dans le cadre d’un programme appelé Market Accelerator for Green Construction (MAGC), également financé par le gouvernement britannique. Le programme MAGC fournit des financements concessionnels pour soutenir la croissance du marché de la construction verte en accordant des concessions répercutées sur le marché par le biais de produits financiers verts tels que les prêts hypothécaires verts ou les prêts aux promoteurs immobiliers verts, où l’emprunteur reçoit une concession pour encourager l’adoption de pratiques de construction vertes.
La SFI accompagne le secteur privé, notamment dans la fintech, les infrastructures, les énergies renouvelables et la santé. Quelle est la place de l’écoconstruction face à tous ces secteurs en termes de budget (2024) et de perspectives au sein de la filiale de la Banque mondiale ?
Cheick-Oumar Sylla : À la SFI, le climat est en effet au cœur de tout ce que nous faisons. Dans le cadre du Plan d’action sur le changement climatique du groupe de la Banque mondiale pour la période 2021-2025, la SFI souhaite tirer parti des solutions du secteur privé pour agir sur le climat dans divers secteurs et accélérer le développement d’opportunités bancables pour la décarbonisation et l’adaptation au changement climatique. En 2022, le groupe a publié son rapport sur le climat et le développement en Égypte (CCDR) afin d’explorer les défis et les possibilités d’améliorer l’alignement des objectifs de développement de l’Égypte avec son ambition climatique. Le CCDR a montré qu’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre (GES) a lieu dans les villes, identifiant un certain nombre d’interventions ciblées pour renforcer la résilience climatique dans les villes et contribuer à l’atténuation des GES, parmi lesquelles l’intégration de leviers pour des bâtiments résilients et verts.
Quels mécanismes utilisez-vous pour encourager les promoteurs immobiliers moins influents (petites structures et start-up) à convoiter la certification EDGE ? Organisez-vous par exemple des ateliers de formation dans les entreprises, des descentes dans les chantiers ou collaborez-vous avec des municipalités ?
Lenore Cairncross: L’équipe EDGE de la SFI organise des ateliers pour présenter la certification EDGE aux promoteurs, qu’ils soient petits ou grands. Nous travaillons également avec des associations locales de professionnels de la conception et proposons des formations pour les initier à la conception de bâtiments écologiques. Nous avons ciblé des pays pour soutenir la certification en Afrique, à savoir l’Afrique du Sud, le Ghana, le Nigeria, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et l’Égypte. Nous avons dispensé des formations EDGE à des fonctionnaires locaux à différents niveaux dans différents pays et avons travaillé avec des partenaires du mouvement de la construction écologique, y compris des conseils de la construction écologique, pour encourager l’adoption de la construction écologique.
En 2022, le burkinabé Francis Kéré a remporté le prix Pritzker considéré comme le Nobel de l’architecture. Cette distinction est une première pour un Africain. Comment l’avez-vous interprétée ?
Lenore Cairncross: Le fait que le premier architecte africain reçoive le prix Pritzker est formidable. Ses projets de construction sont magnifiques et intègrent l’héritage de l’architecture traditionnelle et de la conception durable en utilisant des matériaux et des techniques de construction locaux. Il serait excellent que davantage d’architectes adoptent ce type de conception qui combine nos techniques et matériaux de construction africains locaux, améliorant la durabilité et s’adaptant naturellement aux conditions climatiques locales, au lieu de nombreux types de conceptions importées de climats plus froids qui mettent beaucoup l’accent sur le verre et d’autres matériaux qui ne sont pas les mieux adaptés à notre climat africain.
Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi