AFRIK 21 : La considération accordée à la femme africaine est différente selon les sociétés. Entre épouses, mère et au niveau professionnel elle joue les seconds rôles la plupart du temps. Quelle est la situation en République démocratique du Congo (RDC) ?
Joëlle Kabayo : la RDC ne fait pas exception s’agissant des problèmes que connaissent les femmes en matière d’égalité. Sur le plan de l’éducation, le taux d’alphabétisation des femmes est inférieur à celui des hommes, malgré la gratuité du cycle primaire. Sur le plan professionnel, les femmes sont sous-représentées et les opportunités sont limitées pour accéder à des postes décisionnels.
Sur le plan sanitaire, les défis sont ceux de la mortalité maternelle et infantile et de l’accès aux établissements de soins de santé, surtout dans des zones de conflits où sont perpétrées les violences sexuelles.
Pour améliorer la condition de la femme en RDC, la Rawbank a notamment lancé le programme « Lady’s First ». Comment se déploie-t-il sur le terrain ?
Le programme lancé en 2010 couvre tout notre réseau d’agences. Il se déploie suivant deux axes, financier et non financier. La partie non financière repose sur des formations, des activités de réseautage et l’accompagnement.
Les formations sont axées sur des sujets aussi bien généraux que thématiques. Pour les sujets thématiques qui requièrent une certaine expertise, la Rawbank signe des partenariats avec des structures adaptées, notamment dans les domaines de l’agriculture, de la finance ou de la technologie financière (fintech).
La partie financière du programme « Lady’s First » développe des produits de la monétique, notamment des cartes de crédit qui sont spécialement faites pour répondre aux besoins des femmes, avec des taux plus attrayants. Nous fournissons aussi des crédits avec des conditions de remboursement spécifiques pour les femmes, à l’instar du crédit « Ladys First ».
De plus, nous avons lancé les sous-programmes « Lady’s Act » et « Lady’s First business Club ». Le « Lady’s Act » permet d’encadrer les femmes qui veulent se lancer dans les métiers digitaux. Le « Lady’s First business Club » quant à lui rassemble toutes les femmes qui peuvent échanger et partager leurs connaissances avec d’autres femmes sur Facebook.
Qui peut bénéficier de ce programme ?
Le programme « Lady’s First » accompagne les clientes à la Rawbank.
Comment on le devient ?
Il faut être âgée de 18 ans et être formalisée, c’est-à-dire avoir son registre et son statut. Les femmes qui ne disposent pas de ces documents ont la possibilité de suivre le témoignage des femmes qui sont clientes chez nous à travers le « Lady’s First business Club », et qui ont bénéficié du soutien de la Rawbank pour partir du secteur informel vers le secteur formel.
À ce jour, combien de femmes en RDC ont bénéficié du programme « Lady’s First » de la Rawbank ?
Nous avons accompagné près de 2 000 femmes à deux niveaux. D’abord de façon directe avec des femmes qui sont clientes à la Rawbank. Et de façon indirecte à travers l’accompagnement des structures qui viennent en appui aux femmes entrepreneures.
Récemment nous avons signé un partenariat avec la Mutuelle financière des femmes africaines (Muffa) afin d’atteindre les femmes qui sont dans les activités génératrices de revenus et qui ne peuvent pas venir à la banque. Nous contribuons à les faire bancariser. Nous les sensibilisons également sur la culture citoyenne et le digital.
Une fois la formation terminée et les financements octroyés, ces femmes sont-elles suivies dans l’implémentation de leurs projets d’entreprises ?
Les femmes entrepreneures clientes à la Rawbank sont suivies directement. S’agissant des femmes que nous accompagnons de façon indirecte, nous restons en contact avec les responsables des mutuelles et des coopératives dans lesquelles elles évoluent. Nous allons même plus loin en effectuant des descentes sur terrain.
Vous l’avez dit, 2 000 femmes ont déjà été accompagnées par le programme « Lady’s First » à ce jour, quelles ambitions pour les années à venir ?
Nos ambitions sont de continuer à partager notre vision et communiquer sur le programme pour susciter l’adhésion, fournir des formations et des services qui soient dédiés et adaptés aux défis auxquels elles font face au quotidien. Nous voulons également multiplier les initiatives telles que le « Lady’s First business Club ». Nous renforcerons également la collaboration avec les autres initiatives et forums qui favorisent l’autonomisation des femmes et maintiendrons l’engagement continu et sans faille de la Rawbank envers les entrepreneures de la RDC.
Dans le cadre de ce programme, vous avez également créé le titre d’ambassadrice. Dans quel but ? L’incitation à plus d’engagements des femmes peut-être ?
Oui, nous souhaitons inciter l’engagement des femmes entrepreneures et de challenger les femmes clientes à la Rawbank. Le titre d’ambassadrice se porte pendant trois ans. L’une de ses missions est de faire le tour des agences pour rencontrer les femmes. Il est important de souligner que les femmes qui n’ont pas le titre d’ambassadrice ne sont pas pour autant mises de côté.
L’ambassadrice actuelle est Françoise Kielende Muzinande. Elle fait dans la gestion des déchets, et dans le placement du personnel dans les entreprises minières et a créé une polyclinique dans laquelle elle prend en charge une centaine de familles. Elle s’est vraiment diversifiée au fil des années. Aujourd’hui dans l’ensemble de ses entreprises, Françoise Kielende Muzinande emploie près de 500 personnes et comme la Rawbank, elle a à cœur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qu’elle essaie d’implémenter dans ses entreprises.
Outre le programme « Lady First », comment la Rawbank œuvre pour le plaidoyer en faveur de l’égalité des sexes en RDC ? Est-ce que selon vous il est possible d’atteindre cet idéal ?
Nous pouvons atteindre la parité homme-femme avec de la volonté. En interne, nous menons des campagnes de sensibilisation contre les violences faites aux femmes en milieux professionnels. Il y’a un partenariat qui a été noué avec ONU Femmes pour sensibiliser les collaborateurs sur les discriminations basées sur le genre. Nous sommes même allés plus loin en sensibilisant les enfants des agents de la Rawbank dans le cadre d’activités où on promeut le genre.
Notre ambition est d’atteindre la parité homme-femme 50/50 d’ici à 2028. La Rawbank mise aussi sur son nouveau programme « Women’s empowerment », lancé ce mois de juillet 2023. Dans ce cadre nous avons mis sur pied un plan pour identifier les femmes à fort potentiel qui deviendront les dirigeantes de demain et les accompagner à travers des formations.
La Rawbank soutient également l’égalité des sexes à travers l’adhésion à des initiatives comme le « HeForShe » de l’ONU Femmes depuis 2019. Le but de cette initiative est d’inviter les hommes et les femmes à travailler ensemble pour l’égalité des sexes. De plus, la banque encourage la masculinité positive pour créer un environnement qui soit favorable pour tous.
Outre les actions en faveur du plaidoyer pour l’égalité de genres en RDC, quel autre rôle spécifique peut avoir une banque à l’échelle d’un pays, notamment pour augmenter la présence des femmes dans le monde économique qui est majoritairement informel ?
Informel beaucoup plus avec les femmes. Or, ce sont ces femmes qui tiennent l’économie et il serait normal qu’on leur donne les moyens de se formaliser pour renforcer l’économie. Les femmes sont à la base des ménages et quand on les soutient, il y’a des retombées directes sur l’éducation, sur la santé et même sur la qualité du travail des hommes. Et l’économie ne peut que s’en porter mieux.
Des propos recueillis par Inès Magoum et Delphine Chêne