Des grands groupes pétrochimiques américains voudraient profiter de la renégociation du traité commercial entre les États-Unis et le Kenya pour exporter les déchets plastiques en Afrique. Regroupés au sein de l’American Chemistry Council, ils demandent au gouvernement américain d’exiger du Kenya, l’admission sur son territoire des produits chimiques et plastiques fabriqués aux États-Unis. Toute chose qui est contraire à la loi antiplastique en vigueur dans ce pays d’Afrique de l’Est.
La redoutable politique antiplastique du Kenya sera-t-elle sacrifiée sur l’hôtel des accords économiques avec les États-Unis ? Cette question taraude les esprits des défenseurs de l’environnement depuis le 31 août 2020, après qu’une lettre du directeur du commerce international de l’American Chemistry Council a fuité dans la presse américaine. Dans cette correspondance datée du 28 avril 2020, le lobby de pétrochimistes américain composé entre autres d’ExxonMobil, de Chevron, de Shell, et de Dow Chemical, proposent des investissements dans le recyclage au Kenya, à condition que le pays bénéficiaire accepte les déchets plastiques. « Un accord commercial avec le Kenya devrait empêcher le pays de prendre des mesures qui limiteraient la fabrication ou l’utilisation de plastique, et garantir que le Kenya continue d’autoriser le commerce des déchets plastiques », écrit Ed Brzytwa, directeur du commerce international de l’American Chemistry Council.
Pour ces industriels le Kenya pourrait à l’avenir jouer le rôle de plaque tournante de l’exportation de leurs produits en Afrique. « Nous prévoyons que le Kenya pourrait servir à l’avenir de plaque tournante pour la fourniture de produits chimiques et plastiques fabriqués aux États-Unis à d’autres marchés en Afrique », peut-on dans la lettre adressée au Bureau du représentant commercial des États-Unis.
L’indignation des défenseurs de l’environnement
L’opération de lobbying menée par l’American Chemistry Council en vue l’exportation des déchets plastiques vers le Kenya, a rapidement provoqué le courroux des écologistes. « Toute tentative de changer les lois sur les plastiques serait dangereuse. L’Afrique ressemble déjà à un nouveau dépotoir de déchets, nous n’allons pas permettre cela ! » affirme Griffins Ochieng, qui dirige le Centre pour l’environnement, la Justice et le Développement au Kenya. Les ONG de défense de l’environnement perçoivent les ambitions de l’American Chemistry Council comme une menace aux efforts de lutte antiplastique fournis par le Kenya. « Le gouvernement kényan ne devrait pas revenir sur les progrès réalisés dans ses ambitions sans plastique, en se pliant à la pression des géants des combustibles fossiles, car il risque de faire dérailler les progrès réalisés sur l’ensemble du continent », commente Fredrick Njehu de Greenpeace Afrique.
La politique antiplastique du Kenya a la réputation d’être l’une des plus strictes au monde. En vigueur depuis 2017, elle rend la fabrication, l’importation et la vente de sacs à usage unique passibles d’une peine de prison allant jusqu’à 4 ans ou d’amendes pouvant atteindre plus de 35 000 euros. Leur simple utilisation donne également lieu à une amende d’environ 270 à 1350 euros, parfois assortie d’une peine d’un an d’emprisonnement.
Suspens sur les manœuvres de l’American Chemistry Council
Difficile pour l’heure de savoir si la demande de l’American Chemistry Council a été prise en compte par les acteurs de la renégociation en cours, de l’accord commercial entre les États-Unis et le Kenya, qui devrait s’achève en 2025. Aucun des deux gouvernements n’a formellement répondu à la polémique soulevée par la lettre du conseil, mais la ministre kényane du Commerce, Betty Maina, a déclaré dans la presse locale que les pourparlers se poursuivraient et que le Kenya y était guidé par les lois nationales. Par ailleurs, un résumé des objectifs de ces négociations publié en mai par les États-Unis garantissait que « le Kenya ne renoncerait pas ou ne dérogerait pas aux protections accordées dans les lois environnementales dans le but d’encourager le commerce ou l’investissement ».
Réagissant aux indignations provoquées par ses ambitions, l’American Chemistry Council dit qu’aucun mot de sa lettre ne mettait en danger l’approche kényane concernant les sacs en plastique à usage unique.
Boris Ngounou