Alors que 80 % de la population n’a pas encore accès à l’électricité en République démocratique du Congo (RDC), l’entreprise Nuru brave les risques et investit dans les réseaux métropolitains alimentés à l’énergie solaire hybride à l’est du pays. Pour son co-fondateur et directeur commercial Archip Lobo, cette solution peut permettre à la RDC de rattraper son retard en matière d’électrification.
AFRIK 21 : Nuru vient de mobiliser 40 millions de dollars dans le cadre d’une levée de fonds de série B pour développer ses réseaux électriques alimentés à l’énergie solaire hybride en République démocratique du Congo (RDC). Quel est votre sentiment après cette mobilisation financière ?
Archip Lobo : Nous avons un sentiment de satisfaction total après la clôture de notre série B. Surtout que nous étions dans une phase de levée de fonds qui nous a pris à peu près deux ans. Les petites et moyennes entreprises (PME), et les ménages qui sont les grands bénéficiaires de cette électrique étaient impatients. La société civile et les politiques essayaient de faire le suivi pour que ce projet se concrétise.
Et donc, cette mobilisation de 40 millions de dollars nous permettra de lancer les travaux. Mais il sera suivi d’une autre phase de 28 millions de dollars en dette, dont la clôture pourrait intervenir d’ici peu. Avec ces financements, nous allons déployer une capacité de 8 MW à Bunia que nous comptons mettre en service durant le deuxième trimestre de l’année 2024, 2 MW à Kindu dans la province du Maniema et 3,7 MW additionnels pour la ville de Goma.
Vous dites que la plus grande centrale solaire sera installée dans la ville de Bunia dans la province de l’Ituri. Quelle est la particularité de cette ville ?
Notre business model part d’abord de l’estimation de la demande. Il est clair qu’à Bunia, la demande en électricité est très importante. C’est ce qui justifie notre choix d’y installer la plus grande centrale solaire.
Dans ces différentes villes électrifiées, établissez-vous des partenariats spécifiques avec la Société nationale d’électricité (SNEL) de la RDC ?
Il faut d’abord préciser que le secteur de l’électricité en RDC a été libéralisé depuis 2014. C’est dans ce contexte que le marché a été ouvert au secteur privé. Étant l’un des premiers opérateurs à s’être lancé dans les mini-réseaux à grande échelle, Nuru a saisi cette opportunité. Dans ce cadre-là, nous nous sommes conformés à la loi qui libéralise le secteur de l’électricité, ce qui a permis à l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE) de nous octroyer des licences de production et de distribution qui nous permettent d’œuvrer dans ces zones. Voilà le cadre légal dans lequel nous opérons.
La situation a fait de la SNEL une société qui entre en concurrence avec les autres. Sinon, nous sommes en bonne collaboration avec la SNEL, dans le cadre de cette libéralisation du secteur de l’électricité. Nous y voyons un partenariat gagnant-gagnant qui permettrait de répondre à la problématique de l’accès à l’électricité, sachant que la RDC a un taux d’électrification de 20 %. Il y a beaucoup d’efforts qui ont été fait, et l’autorité de régulation l’a souligné dans son dernier rapport.
En dehors de la Somalie où les réseaux électriques métropolitains sont assez répandus, Nuru fait partie des rares entreprises à proposer ce service en RDC. La RDC fait partie des pays les moins électrifiés en Afrique subsaharienne avec un taux de seulement 20 %. Les métro-réseaux peuvent-ils relever le défi de l’accès à l’électricité dans ce vaste pays ?
Nous sommes dans la transition écologique qui exige de maintenir la température de notre planète à 1,5 °C. Cela passe par la décarbonation à travers la réduction des émissions de CO2. Pour cela, il faut mener une transition des énergies polluantes vers les énergies propres, à travers des solutions comme les mini-réseaux à grande échelle que nous installons. Dans un pays continent comme la RDC (une superficie de 2,345 millions km², Ndlr), c’est une importante solution qui va permettre d’accélérer l’accès à l’électricité, puisqu’elle se déploie jusqu’au dernier consommateur.
Étant donné que la RDC n’a pas encore un grand réseau électrique qui permet de relier l’ensemble du pays, nous pensons que des systèmes autonomes proches du consommateur sont une bonne solution. Pour preuve, nous avons déjà 1,6 MW de capacité installée à Goma qui fournit de l’électricité à plus de 3 500 clients. Avec ces nouveaux projets, nous allons fournir l’accès à l’électricité à plus de 29 000 clients, avec d’autres bénéficiaires indirects. Il est vrai qu’avec cette solution, dans un délai court, avec la libéralisation du secteur, nous pouvons rattraper le retard que connaît la RDC en matière d’électrification.
Pour le moment, Nuru n’exploite que le solaire. Allez-vous investir dans d’autres sources d’énergie, notamment l’hydroélectricité ?
Nous n’allons pas exclure cette option, car l’hydro a ses avantages. Pour l’instant, nous voulons produire notre électricité à 100 % à partir du renouvelable. Actuellement, le modèle que nous proposons est à 75 % sur le solaire et 25 % sur le diesel. Nous envisageons d’exploiter dans les jours à venir la source hydro avec certains partenaires, avec qui nous signerons des contrats d’achat d’électricité (CAE) afin de récupérer les capacités produites. Et pourquoi ne pas envisager dans le long terme de produire nous-mêmes de l’électricité à partir de l’hydro ? Le mix solaire – hydro est envisageable à plusieurs dimensions, avec des impacts sur le coût de l’électricité et l’accès à ce service de base.
Nuru intervient principalement à l’est de la RDC, une zone aux multiples risques. Notamment les groupes rebelles et aussi les éruptions volcaniques pour ce qui est de Goma dans le Nord-Kivu. Comment l’entreprise Nuru réussit-elle à convaincre les investisseurs de l’accompagner dans ces projets d’électrification, malgré ces risques ?
Nous avons un groupe de partenaires qui se soucient du développement de la RDC. De notre côté, nous faisons un travail d’évaluation de risques sécuritaires notamment sur la chaine d’approvisionnement du matériel pour le projet. Pour ce qui est de la ville de Goma, nous avons commencé le projet avant que les évènements les plus récents ne viennent accentuer la situation sécuritaire.
Nous avons constaté une réelle volonté du gouvernement, que ce soit au niveau diplomatique ou militaire, d’améliorer la situation sécuritaire. Ces efforts commencent à porter leurs fruits. Tout ceci contribue à mettre nos investisseurs en confiance, avec un travail au quotidien de franche communication entre Nuru, le groupe d’investisseurs et les autorités. Cette mise en confiance nous permet de lever des fonds et de poursuivre l’électrification. Nuru contribue aussi à l’effort de sécurité en installant des lampadaires pour l’éclairage public.
Les activités de Nuru se concentrent pour le moment à l’est de la RDC. Pourtant, le problème de l’accès à l’électricité concerne l’ensemble du pays. Prévoyez-vous d’installer vos réseaux électriques métropolitains dans les autres parties du pays ?
La RDC offre beaucoup d’opportunités, à travers sa démographie (plus de 95 millions d’habitants en 2021 selon la Banque mondiale, Ndlr), ses minerais stratégiques, son potentiel agricole et touristique, etc. Le défi en matière d’accès à l’électricité est immense. Nous avons des projets en prospection à Mbujimayi dans le Kasaï Oriental. Ce projet suivra cette série d’investissement. Nous avons des projets que ce soit au nord, à l’est ou au centre. Comme je l’ai dit au début, tout part de la demande qui existe et qui peut être créée grâce à l’usage productif de l’électricité. Nous nous donnons la discipline d’exécuter d’abord cette série B d’investissement.
Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu