Laurent Clément : « L’Afrique abrite des écosystèmes d’innovation sur l’énergie »

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Laurent Clément (EDF): « L’Afrique abrite des écosystèmes d’innovation sur l’énergie » ©EDF

En Afrique subsaharienne, le groupe Électricité de France (EDF) mise sur les start-up innovantes pour conquérir le marché de l’off-grid. Dans le cadre de cette stratégie, EDF a récemment pris le contrôle de la start-up upOwa au Cameroun. Dans cette interview accordée à Afrik21, Laurent Clément, le vice-président d’EDF Afrique revient également sur la 5e édition du concours EDF Pulse Afrique qui récompense les start-up innovantes dans le secteur de l’énergie.

Jean Marie Takouleu : Les lauréats de la 5e édition du prix EDF Pulse Africa sont connus. Il s’agit de la start-up Diwa Innovation qui a reçu le prix coup de cœur. Il y a aussi data354 et Atarec qui sont distingués. La start-up Knights Energy Kenya remporte quant à elle le prix boost. Pouvez-vous nous rappeler le but de cette initiative pour un grand groupe comme EDF, ensuite pour l’innovation en Afrique ?

Laurent Clément : Le prix EDF Pulse Africa est lié à la raison d’être d’EDF qui consiste à construire un avenir énergétique neutre en dioxyde de carbone (CO2). L’innovation est au cœur de cette stratégie. Pour ce faire, nous avons une grande équipe R&D (recherche et développement) dotée d’un budget annuel conséquent (473 millions d’euros en 2022, Ndlr).

Cependant, nous estimons que l’innovation ne vient pas seulement de l’intérieur de l’entreprise, mais qu’elle émerge de partout. Il y a 6 ans, nous avons initié les prix EDF Pulse en France, au Royaume-Uni et en Italie. L’objectif était d’aller chercher les start-up innovantes qui développent des solutions autour de la décarbonation de l’électricité et des services énergétiques. Il y a 5 ans, nous avons décidé d’élargir cette initiative au continent africain, toujours dans l’optique de trouver des petites et moyennes entreprises (PME) innovantes et d’aller chercher sur le terrain, des entrepreneurs et des entrepreneuses qui sont en train de développer localement des solutions, dans le but de les accompagner et de s’inspirer de leurs solutions en travaillant avec elles.

Avez-vous identifié autant de talents dans le secteur de l’énergie en Afrique ?

Oui, nous en avons beaucoup trouvé en 5 ans. Pour cette 5e édition par exemple, nous avons eu six finalistes avec beaucoup de projets intéressants pour l’avenir.

Pensez-vous que de telles initiatives devraient se multiplier en Afrique ?

L’innovation en Afrique n’a pas besoin de grands groupes pour se développer. L’innovation y est très dynamique. On le voit à travers cette 5e EDF Pulse Africa qui a suscité l’intérêt de 427 start-up. Il y a déjà un écosystème autour de l’innovation dans les différentes zones géographiques dans lesquels nous travaillons. L’objectif d’EDF est de pouvoir poser sa pierre à l’édifice, en apportant le savoir-faire d’un grand groupe en développement technique des projets et en financement des entreprises.

Cette initiative permet également à EDF de rester connecté aux solutions de demain qui ont fait leurs preuves et qui sont en train d’émerger.

Après cette distinction à Paris, quelle est la suite pour les quatre start-up qui ont été retenues ?

La particularité de cette année est que nous souhaitons déployer à minima un projet pilote avec les lauréats pour développer et mettre en œuvre leurs projets, en fournissant un accompagnement multidimensionnel. La startup Diwa originaire du Cameroun qui a remporté le 1er prix EDF, sera accompagnée dans son développement pour que nous puissions intégrer sa solution qui se repose sur l’élaboration d’outils de conservation des denrées alimentaires à base d’énergie solaire et d’actif thermique, dans nos offres au Cameroun par exemple. En plus de cela, notre partenaire HEC qui lui a attribué un prix coup de cœur, l’intègrera dans son programme « Start Africa ». Nous avons également deux autres lauréats avec qui nous allons développer un projet concret en Afrique, basé sur leurs solutions techniques, business modèle, etc.

Au fil des différentes éditions, est-ce qu’il y a eu des start-up prometteuses dans lesquelles EDF a investi après le concours ?

Il y a plusieurs start-up avec lesquelles nous avons continué à travailler. Nous avons notamment investi dans Standard Microgrid Zambie (SMZ) finaliste en 2018 spécialiste des mini-réseaux adapté aux besoins de la population.

De manière globale, les start-up qui ont été primées développent des solutions que nous continuons de suivre dans l’optique d’identifier des opportunités de développement commun.

Il y a quelques jours, EDF a conclu le rachat de la start-up upOwa au Cameroun. Ce n’est pas la première start-up du secteur de l’énergie dans laquelle EDF investit en Afrique. Il y a également Zola Electric qui opère en Afrique subsaharienne. Comment expliquez-vous cette stratégie ?

Notre objectif est d’accompagner les différents pays dans lesquels nous travaillons, dans l’optique d’accélérer l’accès à l’électricité. On estime qu’il y a 600 millions de citoyens africains qui n’ont pas accès à ce service de base. La résolution de ce problème passe par le développement de grands projets d’infrastructures, notamment hydroélectriques. Ce sont des projets centralisés qui permettent la production et le transport de l’électricité vers les populations et les activités économiques.

Cependant, s’il y a des populations qui ne sont pas connectées sur le réseau électrique, le temps de l’étendre jusqu’à ces personnes peut être énorme. Or, il existe aujourd’hui des solutions pour équiper les communautés qui ne sont pas connectées sur le réseau électrique national, avec des solutions simples, peu coûteuses, et qui permettent d’avoir accès à l’électricité. Ces solutions proposées par des start-up se sont développées simultanément dans plusieurs pays africains.

À travers des start-up, EDF développe des kits solaires qui sont installés sur les toits des maisons et qui permettent d’alimenter des prises de rechargement des téléphones portables, quelques lampes pour la maison, un ventilateur, une télévision, etc.  Grâce à ces solutions décentralisées, nous avons déjà pu donner l’accès à l’électricité à 2,5 millions de personnes. C’est un début, et il faut aller plus vite.

Est-ce que la start-up upOwa étendra ses services à d’autres pays du continent, avec l’arrivée d’EDF ?

Il est trop tôt pour parler de la stratégie d’EDF dans notre partenariat avec upOwa. Ce qui est certain, c’est que notre objectif est de développer sa couverture avec les solutions off-grids.

Au-delà de ces start-up, EDF investit dans de grandes infrastructures énergétiques, notamment l’hydroélectricité au Cameroun et la biomasse en Côte d’Ivoire. Est-ce que ces énergies renouvelables pourront suffire pour répondre durablement à la demande croissante d’électricité en Afrique ? Faut-il aussi diversifier davantage le mix électrique en ajoutant des centrales thermiques, à gaz par exemple ?

Nous développons des infrastructures centralisées à fort potentiel, notamment l’hydro au Cameroun avec le barrage de Nachtigal (420 MW) ou l’aménagement à venir de Kikot (500 MW). Il y a également le Malawi avec le projet Mpatamanga (350 MW) ou encore le projet Mphanda Nkuwa (1 500 MW) au Mozambique. Nous avons des ambitions dans ce secteur précis parce qu’il fournit une électricité décarbonée et renouvelable, avec un très fort potentiel en Afrique. C’est ce que nous appelons une énergie de base, puisqu’avec un barrage, on peut avoir une production continue ou de pointe. C’est donc une énergie flexible.

C’est pareil pour la biomasse qui permet de répondre au défi de l’économie circulaire. Mais ce sont des infrastructures dont la mise en place peut prendre un certain temps. Par exemple, pour un barrage, il faut compter une dizaine d’années en moyenne. Au-dessus de ces infrastructures, on va avoir d’autres énergies renouvelables, notamment l’éolien et le solaire photovoltaïque, mais qui sont par définition intermittents. Pour pouvoir intégrer ces énergies au réseau, il faudra également développer des solutions de stockage à travers des batteries d’autres installations de pompage turbinage.

En ayant un mix électrique suffisamment bien construit, on peut se retrouver dans une situation où la majorité de la production est renouvelable. Néanmoins, l’usage d’énergies thermiques, notamment des centrales à gaz peut être tout à fait possible pour faire face à la transition dans le temps ou pour réduire l’impact de l’intermittence liée à la production des énergies renouvelables.

Cette solution est controversée. Et, vu la volatilité des prix de certaines énergies fossiles, est-ce qu’EDF pourrait investir dans la construction d’une centrale à cycle combiné gaz dans un pays africain au cours des prochaines années ?

La question n’est pas le prix du gaz. EDF veut atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Donc, tous les projets que nous développons sont regardés sous le prisme de cet objectif. Sinon, EDF peut développer un projet thermique dans lequel on est capable de capturer et de stocker le CO2.

Le groupe EDF s’est également lancé dans le secteur très dynamique des énergies renouvelables en Afrique du Sud, avec plusieurs concessions obtenues et des partenariats signés avec le secteur privé. C’est un marché très vaste, mais concurrentiel. Comment comptez-vous tirer votre épingle du jeu ?

Le groupe EDF s’est lancé depuis plusieurs années dans les énergies renouvelables. Aujourd’hui, nous faisons partie des principaux producteurs indépendants d’électricité (IPP) sur le marché sud-africain, avec de grosses capacités en construction en partenariat avec les secteurs public et privé. Nous avons été capables de financer et de commencer à construire tous les projets sur lesquels nous avons été sélectionnés.

Oui, l’Afrique du Sud est un marché dynamique dans lequel nous tirons notre épingle du jeu. J’en veux pour preuve, sur le premier appel d’offres lancé par le gouvernement sud-africain pour le stockage d’électricité par batteries pour 5 sites, trois ont été remportés par EDF. Nous avons pu montrer que nous étions bien placés pour accompagner l’Afrique du Sud dans sa transition énergétique.

 Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu    

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