Selon un récent rapport de MarketsandMarkets™, le marché mondial de la gestion des déchets a atteint 1219,6 milliards de dollars en 2024 et pourrait passer à 1598,1 milliards de dollars d’ici à 2029. Si cet investissement est la preuve que cette question est mieux prise en compte quand il s’agit d’élaborer des politiques de financement, il est davantage important en ceci qu’il priorise les projets de gestion durable des déchets, l’objectif étant de contribuer à l’action climatique, notamment en Afrique. À l’occasion du Forum mondial de l’économie circulaire ouvert ce 15 avril 2024 à Bruxelles, Afrik 21 évalue l’efficacité de cette démarche sur le continent africain, qui va bien au-delà du recyclage, et croise les avis d’experts en vue de l’accélération de l’économie circulaire.
Approvisionnement durable, écoconception, écologie industrielle et territoriale, économie de la fonctionnalité, consommation responsable, allongement de la durée d’usage et recyclage des déchets. Voilà résumé en sept points l’économie circulaire, cette pratique qui vise à étendre le cycle de vie des produits afin de réduire la consommation des matières premières et la production des déchets. S’il y’a quelques années l’objectif premier était essentiellement la préservation des ressources naturelles et la protection de l’environnement face à la pollution par les déchets, l’enjeu de l’économie circulaire a évolué et vise aujourd’hui à servir une cause plus importante pour la planète, la lutte contre le réchauffement climatique.
« L’économie circulaire peut contribuer de manière significative à l’action climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 60 % d’ici à 2050 », indiquait alors la Banque africaine de développement (BAD) dans un rapport publié le 21 décembre 2023. Parmi ces GES, figure le dioxyde de carbone (CO2) qui représente les 2/3 des émissions mondiales de GES et dont les secteurs les plus émetteurs sont l’énergie, le transport, l’industrie, la construction, etc. 80 fois plus puissant que le CO2, le deuxième GES le plus connu est le méthane (CH4), à l’origine de 30 % du réchauffement de la planète depuis l’ère préindustrielle. Il est produit en grande partie par les secteurs de l’agriculture à travers l’élevage de ruminant, par les combustibles fossiles ou encore le processus biologique de la méthanisation, etc. Moins évoqué, l’oxyde nitreux n’en est pas moins problématique. Ce GES a un potentiel de réchauffement global de près de 300 fois supérieur à celui du CO2 et est connu pour causer la destruction de l’ozone stratosphérique.
Les émissions de GES, voilà donc tout le nœud du problème
Si l’Afrique n’émet que 4% des GES, elle est malheureusement plus exposée que les autres continents aux effets du changement et de la variabilité climatiques, d’où l’intérêt du continent à contribuer à l’action climatique, notamment en renforçant la pratique de l’économie circulaire, qui n’est pas nouvelle pour le continent.
Contrairement à des sociétés plus développées, les Africains l’ont toujours pratiqué de manière consciente ou inconsciente, évitant le gaspillage, favorisant la réparation, la réutilisation, le partage des objets et des matières. Par exemple en 1996 à Ouagadougou au Burkina Faso, les « Na-Yiri » (résidences officielles des rois), étaient des bâtiments centraux de type soudano sahélien et de formes rectangulaires, composés de murs en banco et de couverture en terre recouvrant des nattes, elles-mêmes supportées par des lattes de bois fendus et soutenues par des poutres de troncs d’arbres. Pourquoi le choix de ces matériaux naturels ? C’était parce que les rois souhaitaient que leurs « Na-Yiri » soient solides et perdurent même après leur mort. Aujourd’hui, nous utilisons davantage de matériaux industriels qui polluent l’environnement.
L’économie circulaire est donc juste une autre appellation de cette pratique de conservation qui est finalement africaine.
L’économie circulaire, beaucoup plus centrée sur la valorisation des déchets aujourd’hui en Afrique
L’Égypte, le Maroc, la Tunisie, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya, le Rwanda, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Namibie sont les pays modèles dans la valorisation des déchets (issus des ménages, l’agriculture, industries, mobilité, construction, etc.) en Afrique, notamment en énergie, en engrais pour l’agriculture, en matières premières secondaires, etc. Un peu moins les pays comme le Cameroun, le Congo, la République démocratique du Congo (RDC), le Tchad, le Gabon, le Togo, le Burkina Faso, le Burundi, l’Éthiopie, la Guinée, le Bénin, etc.
Et parmi les pays où la gestion durable des déchets est quasi nulle, figurent Djibouti, le Soudan du Sud, la Somalie, la Libye, le Lesotho, etc. Peut-être ne connaissent-ils pas le potentiel de l’économie circulaire ou n’ont-ils pas tous une stratégie visant à la mettre en place. Pourtant, en appliquant l’économie circulaire, ces pays deviendraient moins vulnérables aux chocs climatiques, notamment à travers la réduction des émissions de GES. « L’Afrique a non seulement la possibilité de lutter contre le changement climatique, mais aussi de se positionner en tant que solution mondiale pour faire face à la crise climatique », a déclaré Anthony Nyong, le directeur du changement climatique et de la croissance verte à la BAD dans un rapport publié le 21 décembre 2023. Actuellement, l’économie circulaire représente un marché annuel d’à peine 8 milliards de dollars en Afrique en 2023, un chiffre insignifiant comparé aux 1219,6 milliards de dollars atteint par le marché mondial de la gestion des déchets en 2024 selon un rapport de MarketsandMarkets™, l’une des plus grandes sociétés d’impact sur les revenus au monde, au service de plus de 10000 clients.
Dans une interview accordée à Afrik 21 en décembre 2022, Jocelyne Landry Tsonang, la représentante du Réseau africain d’économie circulaire (Acen) au Cameroun et consultante associée pour la Fondation du Acen suggérait alors la « formalisation de l’économie circulaire en Afrique pour que les gens, de manière volontaire ou pas, puissent la pratiquer ». Cela supposerait donc, outre la gestion des déchets, de s’assurer de la durabilité dans la chaîne de production et de consommation d’un produit.
L’accès au financement peut également accélérer l’économie circulaire en Afrique
Toutes les catégories d’acteurs doivent être interpelés sur la partition qu’ils ont à jouer dans la préservation de l’environnement. Mais pour cela, il faut une réelle volonté politique, d’autant plus que les avantages de l’application de cette démarche sont illimités. D’après Jocelyne Landry Tsonang, cette volonté politique favorisera l’innovation, la création d’emplois et contribuera à résoudre les problèmes de santé et environnementaux.
Aujourd’hui sur le continent africain, beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) s’engagent dans une activité relevant de l’économie circulaire. Mais dans nombre de pays elles ne sont pas accompagnées : il n’y a pas de politique incitative, ni de financements pour favoriser leur développement.
Par ailleurs, beaucoup d’États africains (Nigeria, Tanzanie, Sénégal) se sont engagés à interdire les emballages plastiques à usage unique. Mais, nombre de pays ont bien des difficultés à mettre en place cette interdiction à cause de l’insuffisance de financements pour effectuer la transition et de mesures coercitives absentes. « Nous devons renforcer les partenariats et les alliances afin de définir des objectifs communs et mobiliser les ressources nécessaires au financement de cette mise en œuvre », suggérait également Rose Mwebaza, directrice régionale et représentante du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) en Afrique, lors d’une table ronde organisée en marge de la 28e Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP28).
Si ces conditions sont réunies, l’Afrique pourrait contribuer de manière significative à l’action climatique. Mais il faudra au même moment que les grands pays pollueurs (la Chine, les États-Unis ou encore l’Inde) renforcent leur circularité en promouvant une production et une consommation écoresponsable pour éviter de tirer le continent africain vers le bas. À l’heure actuelle, l’extraction et l’utilisation de matériaux représentent encore 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Inès Magoum
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