Loïc Fauchon: « On ne peut prétendre à la paix et à la prospérité en ignorant l’eau »

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Loïc Fauchoun : « On ne peut prétendre à la paix et la prospérité en ignorant l’eau » ©Conseil mondial de l'eau

Le 10e Forum mondial de l’eau s’ouvre ce samedi 18 mai 2024 à Bali en Indonésie, sous le thème « L’eau pour une prospérité partagée ». Dans cette interview accordée à Afrik 21, Loïc Fauchon, le président du Conseil mondial de l’eau (CME) qui co-organise cette rencontre internationale avec le pays hôte, revient sur la place de l’eau dans le développement social et économique d’un pays et les défis de ce secteur.

Inès Magoum : Co-organisée par l’Indonésie et le Conseil mondial de l’eau (CME), la 10e édition du Forum mondial de l’eau se déroule du 18 au 25 mai 2024 à Bali en Indonésie sous le thème « L’eau pour une prospérité partagée ». Qu’entendez-vous par prospérité partagée ? Et pourquoi établir un lien entre l’eau et la prospérité partagée pour cette édition ?

Loïc Fauchon : Établir un lien fort entre l’eau et la prospérité partagée est crucial, car les inégalités d’accès des populations à une eau propre et sûre, ainsi qu’à l’assainissement pour tous, persistent dans de nombreuses régions du monde.

Pourtant, l’eau est essentielle à tous les aspects fondamentaux de la vie. L’eau est indispensable pour la santé, la nourriture, l’énergie, l’éducation, le développement économique.

Tout le monde souhaite la paix et la prospérité dans le monde. Pour le futur de notre planète. Pour nos enfants qui seront les adultes de demain. Comment y arriver en ignorant l’eau, en la gaspillant ?

La pression démographique, les aléas climatiques, les maladies hydriques, les pollutions sont des facteurs de crise profonde. Nous devons sensibiliser les décideurs politiques, économiques, les consommateurs et les habitants aux enjeux d’un partage équitable de l’eau, de la sécurisation des ressources en eau, d’une consommation sobre et maîtrisée et à la maîtrise des eaux usées. Il en va de l’avenir de notre planète.

Comment cette prospérité partagée dans le secteur de l’eau peut-elle contribuer à répondre aux défis actuels liés à l’eau et à l’assainissement ?

Investir dans des infrastructures hydrauliques résilientes et durables peut renforcer la capacité des communautés à faire face aux défis liés aux évolutions climatiques et aux événements et désastres extrêmes tels que les sécheresses et les inondations. La gestion intégrée des ressources en eau, à l’échelle des bassins, qui prend en compte les ressources globales et les besoins de tous les usagers peut favoriser une utilisation plus efficace et durable de l’eau.

Le dialogue transfrontalier entre les pays riverains des rivières, lacs et forêts par la mise place de structures de coopération entre nations riveraines, peut également favoriser les bonnes pratiques, ainsi que la protection des captages, la restauration des rivières, la dépollution et l’économie de l’eau. Il y en a bien d’autres (les bonnes pratiques) qui seront exposées lors des 300 sessions du 10e Forum mondial de l’eau de Bali.

À Bali, ce sont plus de 1 4000 participants qui sont attendus dès ce samedi 18 mai, notamment des experts, des décideurs politiques et des représentants de la société civile. Est-ce que le discours sur une prospérité partagée et pour tous dans le secteur de l’eau sera le même pour tous ou sera-t-il fonction des réalités et du climat de chaque pays ou continent ?

Le Forum mondial de l’eau offre une occasion précieuse d’établir un dialogue entre les différentes régions du monde à travers les sessions thématiques et les conférences politiques. Cela permet aux pays, aux collectivités locales et aux gestionnaires de l’eau de partager les solutions et les meilleures pratiques pour surmonter des défis communs, même s’ils sont confrontés à des réalités différentes.

Lors de ce forum, un espace spécifique sera ouvert aux régions du monde avec plus d’une cinquantaine de réunions spécifiques et de dialogues croisés. Ainsi, l’Afrique dans sa diversité, la méditerranée, l’Asie-Pacifique (un ensemble géographique constitué de l’Extrême-Orient, du sous-continent indien et de l’Océanie, Ndlr) va se réunir et échanger… Par exemple, les pays méditerranéens peuvent être confrontés à des problèmes de pénurie d’eau et de stress hydrique en raison de leur climat aride, tandis que les nations de l’Asie-Pacifique peuvent être confrontées à des défis liés aux catastrophes naturelles telles que les typhons et les inondations. Ces deux exemples trouveront un écho auprès des représentants des pays africains qui connaissent également, parfois sur un même territoire, ces deux situations critiques, le plus souvent successivement.

Une bonne gestion de l’eau. Voilà selon vous la clé pour atteindre cette prospérité partagée. Mais, à quel moment peut-on dire d’un pays qu’il gère bien ses ressources eau ? Et quels sont les préalables ?

La gestion de l’eau repose sur trois piliers : la connaissance, la finance et la gouvernance.

Le premier, la connaissance, repose principalement sur l’innovation :

La sécurité de l’eau doit bénéficier des évolutions techniques et numériques. Aujourd’hui par exemple, le dessalement de l’eau de mer par osmose inverse est mis en œuvre dans plus de 70 pays du monde à un coût acceptable. La réutilisation des eaux usées traitées est également une avancée majeure qui va progressivement se généraliser.

La digitalisation est aussi un grand progrès, car elle permet par exemple aux agriculteurs et aux citoyens de suivre leur consommation au quotidien et de détecter les fuites de réseaux.

Le second pilier est évidemment financier. La situation peut être résumée par « l’eau manque d’argent mais l’argent manque d’eau ». Comment faire pour éviter cela, pour consacrer plus d’argent à l’accès à l’eau et à l’assainissement ? En termes de financement, l’eau souffre d’un grand retard par rapport à l’énergie. Le secteur de l’eau est-il condamné à rester le parent pauvre du financement des infrastructures, face à l’énergie et aux télécommunications ? Quelle injustice !

Cela nous amène au troisième pilier, la gouvernance, qui doit garantir un partage équitable et une transparence totale. Le temps du centralisme de l’eau est révolu. La gouvernance de l’eau doit être effectivement partagée entre l’État, qui garantit la ressource et contrôle son bon usage. Vient ensuite le rôle des bassins versants, qui organisent le partage des ressources, et entre les usages, en garantissant la qualité par des politiques publiques. Et enfin, il y a le niveau des autorités locales et des citoyens qui assurent le traitement et la distribution ainsi que la tarification en fonction des situations sociales et des usages.

   Le forum de Bali va durer sept jours. Qu’est-ce qui est prévu durant cette semaine ?

Des séances plénières rassembleront les participants pour discuter des enjeux majeurs de la gestion de l’eau à l’échelle mondiale, mettant en lumière les défis, les opportunités et les meilleures pratiques pour assurer un accès équitable à l’eau et promouvoir une gestion durable des ressources en eau.

Quelque 300 sessions thématiques permettront aux participants de se concentrer sur des sujets spécifiques tels que la sécurité de l’eau, la coopération transfrontalière, l’innovation technologique et le financement durable. Ces discussions approfondies offriront un espace pour explorer les questions complexes et partager des solutions adaptées aux besoins locaux et régionaux.

Mais, le 10Forum mondial de l’eau de Bali sera surtout le lieu des engagements politiques, car nos concitoyens veulent avoir réponses à leurs problèmes.

À quels types d’engagements devrait-on s’attendre de la part des dirigeants mondiaux pour améliorer efficacement l’accès à l’eau, notamment en Afrique subsaharienne où 418 millions de personnes vivent toujours sans accès à l’eau potable selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) ?

Au nom du Conseil mondial de l’eau, nous appelons les dirigeants mondiaux, exécutifs, élus et parlementaires à prendre des engagements concrets pour améliorer efficacement l’accès à l’eau pour tous, notamment, mais pas seulement, en matière de droits individuels et collectifs. Face à la crise mondiale de l’eau, des actions décisives et coordonnées sont nécessaires pour garantir ce droit fondamental et essentiel à la vie et à la dignité humaine.

Des propos recueillis par Inès Magoum

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