Benoit-Ivan Wansi : Ce 25 juillet 2024 marque la neuvième édition de la Journée africaine des mers et des océans. Elle est commémorée juste deux mois avant la Journée mondiale de la mer (26 septembre) dont le thème retenu par l’Organisation maritime internationale (OMI) est « Naviguer vers l’avenir : la sécurité d’abord ! ». Qu’est-ce-que cela vous inspire ?
Moussa Bala : Cette thématique est importante sur un triple plan. Tout d’abord, penser à naviguer vers l’avenir en mettant l’accent sur la sécurité, évoque la prudence, la prévoyance et la protection du commerce maritime international. Cela suggère ensuite l’importance pour les États et les partenaires maritimes de prendre des mesures pour garantir un avenir sûr et stable- tout en identifiant et en évitant les risques potentiels, et maintenir l’ordre public en mer.
C’est en parfaite synergie que les États doivent coordonner l’utilisation rationnelle des espaces en mer tout en densifiant la lutte sans merci contre la piraterie maritime et d’autres actes de brigandages dans les eaux maritimes qui sont sous leurs juridictions.
Après plusieurs années d’attentes, la communauté internationale- à travers les délégués de la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine, a finalement adopté en juin 2023 le Traité international pour la protection de la haute mer. Selon vous, est-ce une avancée majeure notamment par rapport à la convention sur la haute mer de 1958 ?
Évidemment que c’est une avancée majeure dans la mesure où la convention adoptée en juin 2023 va au-delà même de celle de 1958 sur la haute mer et celle de 1982 sur le régime global de protection des espaces maritimes.
La question de la responsabilité collective se pose quant à l’exécution de bonne foi des traités internationaux. La répression sera au rendez-vous car c’est l’élément majeur de ce changement. La protection des ressources marines et de la navigation maritime a été renforcée et c’est à chaque État de garantir la mise en œuvre de cette nouvelle convention pour que face à la menace globale la riposte soit globale.
Le Traité évoque la création d’aires marines protégées, la réalisation « obligatoire » des études d’impact sur l’environnement des activités envisagées en haute mer. Est-il indépendant et juridiquement contraignant sachant que des géants industriels avec la complicité de certains gouvernements ont accéléré la surpêche et l’exploitation minière (cobalt, cuivre) dans les fonds marins au cours des dernières années ?
Le Droit étant considéré comme un discours incontestable du pouvoir, il a besoin de la force pour être observé. Il revient aux États et aux juridictions internationales de conditionner l’utilisation de la haute mer et de ses ressources dans le strict respect des dispositions pertinentes de ladite convention. Cependant, c’est la complicité de ces gouvernements avec les géants industriels qui risque de freiner cette dynamique de protection efficace des ressources et de leurs optimisations.
La création d’aires marines protégées, la réalisation d’études d’impact environnemental et la lutte contre la surpêche en mer sont effectivement des recommandations concrètes du Traité pour renforcer la conservation des écosystèmes marins et la préservation de la biodiversité dans nos océans. Les aires marines protégées jouent un rôle crucial dans la protection des habitats marins fragiles, en limitant les activités humaines néfastes et en favorisant la régénération des populations de poissons et d’autres espèces marines. Les études d’impact environnemental quant à elles sont nécessaires avant la mise en œuvre de projets côtiers ou maritimes afin d’évaluer les conséquences potentielles sur l’environnement marin et de proposer des mesures d’atténuation pour limiter les dommages. La lutte contre la surpêche en mer est indispensable pour préserver les stocks de poissons et assurer la durabilité des activités de pêche. Cela passe par la mise en place de quotas de pêche, le renforcement des contrôles et des réglementations, ainsi que le développement de pratiques de pêche responsables. En combinant ces différentes mesures, il est possible de promouvoir une gestion durable des ressources marines et de contribuer à la protection des océans pour les générations futures.
Comment interprétez-vous le « partage des bénéfices engendrés par l’exploitation des ressources génétiques des eaux internationales » mis en avant dans le Traité ?
L’essentiel des dispositions de cet accord porte sur le partage des avantages au profit des États en développement, leurs accès à l’information et le transfert des aptitudes techniques suivant les procédures comparables à celle de la convention sur la protection de la diversité biologique. Le souci que nous pouvons relever est lié à l’équité et la proportionnalité de cette répartition. Nous constatons que les États développés sont les plus avantagés dans la mesure où ils ont une expertise technique avérée dans l’exploitation et l’exploration des ressources marines. Si la convention est d’accord que la réparation doit être équitable, reste à savoir si les États les plus vulnérables auront accès à ces finances issues de l’économie bleue marine.
Alors que l’Afrique compte jusqu’à 38 pays côtiers, plusieurs pays tels que l’Angola, le Bénin et Madagascar s’abstiennent encore de signer le nouveau texte. Certains à cause des pertes de recettes (centaines de milliards de dollars selon l’Union africaine-UA) orchestrées par les activités illégales dans le domaine maritime transfrontalier et d’autres peut-être au nom du passé historique controversé sachant que des milliers d’Africains ont perdu leurs vies dans les océans pendant la traite négrière et la colonisation. Quelle lecture en faites-vous ?
Une convention internationale a toujours été consensuelle. C’est à dire que c’est à la suite de la volonté des États qu’elle est adoptée et mise en œuvre. Évidemment que ce Traité fait appel à un commerce international équitable non seulement entre le nord et le sud mais aussi avec les nations maritimement enclavées. Le passé historique de la colonisation et de la traite négrière surgit à chaque fois dans les esprits des États du sud lorsqu’il y a un contentieux international. On comprend donc leurs scepticismes qui est naturellement légitime. L’appel que nous lançons c’est l’exécution de bonne foi de ce Traité afin que chaque acteur de la mer au-delà des États développés soit plus ouvert et épanoui.
Selon vous, comment les États doivent-ils composer entre leurs propres législations en matière de droit maritime et cette réglementation internationale ? D’ailleurs, qu’est-ce qui est prioritaire et souverain dans tout cet arsenal juridique ?
La question de la hiérarchie entre le droit interne et le droit international a été tranchée depuis longtemps. Le droit international prime sur le droit interne conformément à la hiérarchie des normes théorisée par Hans kelsen (juriste austro-américain du 20e siècle, Ndlr). Le droit international résume la volonté de plusieurs États tandis que le droit interne est le résultat de l’expression d’une seule volonté. L’espace maritime est soumis au régime du droit international parce que tous les espaces en mer autres que les eaux intérieures relèvent de la co-souveraineté. Le droit international reste et demeure donc prioritaire dans toutes les problématiques liées à l’espace maritime.
Prenons un exemple d’application de ce Traité en cours de signature et de ratification. Avec le stress hydrique qui touche plusieurs régions du monde, des pays tels que le Maroc, l’Espagne et Malte se tournent vers le dessalement qui consiste à transformer l’eau de mer en eau douce pour pouvoir répondre aux besoins de la consommation et de l’industrie. Seulement, le rejet des saumures (sur les côtes) issus de cette pratique pourrait mettre en danger la faune et flore à long terme. Comment établir les responsabilités et gérer éventuellement un contentieux autour de la biodiversité marine en Méditerranée ?
Tout conflit éventuel mettant en cause la responsabilité d’un État en mer est réglé par le Tribunal international du droit de la mer (à Hambourg en Allemagne, Ndlr) et la Cour internationale de justice. Le droit d’exploitation et de transformation des eaux de mer est un acquis. Toutefois, lorsque cette utilisation cause un dommage à la communauté internationale des États, la responsabilité pour « fait internationalement illicite » sera retenue. Les États côtiers de la mer Méditerranée doivent naturellement rationaliser ladite transformation et protéger les espèces marines peu importe les activités qui y sont menées (dessalement, etc.). C’est d’ailleurs une obligation issue de plusieurs conventions internationales du droit de la mer que vient renchérir le texte de juin 2023.
Quid du tourisme balnéaire ? Est-il dans le périmètre de la haute mer et ne faudrait-il pas envisager une harmonisation d’une législation internationale en la matière puisque de toute façon les conséquences environnementales de ce secteur -parmi lesquelles la pollution des océans, vont au-delà des frontières maritimes ?
L’harmonisation du tourisme balnéaire et la responsabilité concernant la pollution des océans sont des enjeux complexes et importants à prendre en compte lorsqu’on parle des eaux internationales qui font partie intégrante de la haute mer. À cet effet, il est essentiel de promouvoir des pratiques touristiques durables qui respectent l’environnement côtier et marin par les États. Cela implique d’adopter des mesures pour réduire la pollution plastique, limiter les rejets de substances nocives, préserver les écosystèmes marins et sensibiliser les touristes et les acteurs locaux à l’importance de la protection des océans. Les réglementations environnementales, les initiatives de nettoyage des plages, les certifications de durabilité pour les établissements touristiques et la coopération internationale sont autant de moyens pouvant contribuer à harmoniser le tourisme balnéaire tout en assumant la responsabilité de la pollution des océans à l’échelle mondiale.
Le Traité international pour la protection de la haute mer est-il suffisant aujourd’hui comme mécanisme pour pouvoir atteindre le 14e objectif de développement durable (ODD14) ? Existe-t-il d’autres approches juridiques et économiques que la communauté internationale devrait explorer pour la préservation de nos mers et de nos océans ?
Le traité international pour la protection de la haute mer bien qu’étant suffisant pour l’atteinte du 14e objectif de développement durable (ODD14) a besoin d’être complété pour être efficace. Il faut notamment prioriser l’approche économique pour la mobilisation et l’optimisation des ressources financières en vue de la protection des mers et des océans. Les États doivent donc éviter de faire cavalier seul et conjuguer leurs efforts sur tous les plans pour que l’espace maritime soit véritablement l’avenir de l’humanité.
Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi