Après le scrutin présidentiel du 24 mars 2024 au Sénégal, des résultats issus des bureaux de vote, publiés par la presse sénégalaise, donnent un avantage au candidat de l'opposition, Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Si ces résultats sont confirmés par la Cour constitutionnelle, il succèdera à Macky Sall, dont le mandat prendra fin le 2 avril prochain. Durant ses cinq années de mandat, le président élu devra concrétiser ses engagements, parmi lesquels le renouvellement des méthodes de gouvernance publique, notamment pour ce qui est de la gestion des services essentiels tels que l’eau, les déchets, l’électricité, et accélérer la lutte contre le changement climatique.
Tend-t-on vers l’accélération des progrès pour l’atteinte des objectifs du développement durable (ODD) au Sénégal ? C’est en tout cas ce que laisse entrevoir le vote majoritaire du candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Diakhar Faye à l’élection présidentielle du 24 mars 2024, dont le programme vert est ambitieux. Si les résultats sont pour l’heure « officieux », celui qui était encore incarcéré il y’a quelques jours pour avoir critiqué le système judiciaire sénégalais a de fortes chances de succéder à l’ancien président Macky Sall, dont le mandat prendra fin le 2 avril prochain après douze années au pouvoir.
«Le projet de changement systémique, porté par la large coalition de partis politiques qui soutient ma candidature, vise un renouvellement profond des méthodes de gouvernance publique, un rapport à l’extérieur plus respectueux de notre souveraineté nationale, une administration non inféodée au pouvoir politique, une justice insoumise et indépendante, le strict respect de la séparation des pouvoirs, le retour à un présidentialisme régulé, etc.) », peut-on lire dans le projet présidentiel de Bassirou Diomaye Diakhar Faye.
L’accès universel à l’eau et à l’assainissement
Le renouvellement des méthodes de gouvernance publique au Sénégal permettra, dans le secteur de l’eau, de relever le défi de la gestion durable de cette ressource à travers la mise en place d’un système par bassin, et de réviser le transfert de la gestion des forages ruraux à des privés, étant donné que la cession de l’hydraulique rurale a entraîné une hausse du prix de l’eau et des conflits récurrents entre les populations de l’arrière-pays et les concessionnaires.
Au cours du quinquennat qui l’attend , le nouvel homme fort de ce pays d’Afrique de l’Ouest envisage également des travaux pour garantir la maitrise de l’eau et sa gestion rationnelle dans les régions sahéliennes arides du centre-nord par la réalisation du Canal du Cayor, du Canal du Baol, canal du Gandiole, le canal Dande mayo-Dieri, la construction de barrages anti-sel à l’embouchure de la Casamance (fleuve éponyme de la région de son bastion électoral) afin de « désaliniser » le fleuve et mobiliser sa ressource en eau douce pour le développement de la riziculture locale et de la mangrove, le dragage du fleuve Casamance à Kolda pour assurer la continuité annuelle de l’écoulement des eaux, la réalisation d’une infrastructure principale de mobilisation des eaux multi-usage pour une meilleure résilience au dérèglement climatique et au service de l’approvisionnement en eau potable, des activités économiques et de la préservation des écosystèmes, et le transfert progressif de la compétence eau et assainissement aux communes pour une meilleure planification des programmes et l’atteinte des objectifs d’équité territoriale.
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Si le taux d’accès à l’eau potable est à 98,8 % en milieu urbain et à 91 % en zone rurale au Sénégal selon les sources officielles, les projets annoncés visent à porter la couverture à 100% d’ici à 2030. Pour y parvenir, il faudra aussi remporter le combat contre la pollution.
La normalisation du secteur des déchets
Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui prend la tête du Sénégal, devra aussi s’attaquer à la problématique des déchets. Et dans ce cadre, son programme prévoit la mise en œuvre d’une loi qui aura pour objectif de transférer les compétences relatives à la planification de la gestion et de la prévention des déchets aux conseils régionaux (collectivités ou entité). La législation contiendra « l’inventaire des déchets, des installations, des acteurs, des documents d’orientation ; la définition de priorités pour la création d’installations nouvelles et pour la collecte, le tri, le traitement adéquat et la prévention des déchets et la mise en place des décharges, des centres de tri et de plateforme de compostage des déchets ménagers publiques contrôlées et normées sur l’étendue du territoire national », indique le candidat qui s’est réclamé « antisystème » tout au long du scrutin .
Après une série de lois, de règlements et autres générations de textes législatifs dans ce pays de plus de 18 millions d’habitants, dont la dernière ( loi n° 2020-04 du 08 janvier 2020) relative à la prévention et à la réduction de l’incidence sur l’environnement des produits plastiques est également restée inopérante, une normalisation effective du secteur des déchets pourrait être une avancée dans la lutte contre la pollution. Pour soutenir cette démarche, un projet sera également lancé pour la réhabilitation et la modernisation de la décharge de Mbeubeuss qui accueille 3 300 tonnes de déchets par jour, sur les 7 000 produits quotidiennement au Sénégal. Il y sera créé sur site un centre d’enfouissement technique moderne couplé à une unité de production d’électricité, composée de générateurs par turbine à gaz, ainsi qu’une usine d’incinération des ordures ménagères.
La fourniture d’une électricité durable à moindre coût
Le troisième chantier qui attend celui qui deviendra à 44 ans le plus jeune chef d’État de l’histoire contemporaine du Sénégal, est celui l’électricité, qui passera par la transition énergétique. Aussi, le programme ambitieux de Bassirou Diomaye Diakhar Faye prévoit notamment l’approfondissement des études de potentialités des sources d’énergies renouvelables de chacun des huit grands pôles régionaux permettant ainsi de mettre sur pied un projet énergétique solide et cohérent, la construction et le développement de nouvelles centrales d’énergies renouvelables à très grande capacité sur la base des résultats de la cartographie des potentialités énergétiques de chaque grand pôle régional (la part des sources d’énergie renouvelables représenterait 30 % du mix énergétique au Sénégal, Ndlr), ainsi que la mise en place de nouvelles sources de production d’électricité renouvelable selon le concept « Pt-X » (Power to X Products) de l’hydrogène vert. Les initiatives de création d’entreprises nationales spécialisées dans la fabrication de matériaux pour l’industrie photovoltaïque seront quant à elles encouragées et accompagnées.
Pour renforcer le taux d’’accès à l’électricité, estimé à 69 % selon Power Africa, surtout en zone rurale où moins de 50% de la population est couverte, le visionnaire sénégalais veut aussi amplifier la collaboration au sein de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (l’OMVS) et l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG) pour augmenter d’au minimum 400 MW la puissance installée d’électricité hydraulique du pays d’ici à 2030.
La préservation de la biodiversité
Si les Sénégalais ont plébiscité Bassirou Diomaye Diakhar Faye le 24 mars dernier, c’est aussi pour sa feuille de route pour ce qui est de la gestion des écosystèmes. En la matière, il promet de « réactualiser et de renforcer la Stratégie nationale de conservation de la biodiversité, ainsi que les capacités institutionnelles et techniques des institutions de conservation de la biodiversité à travers un financement durable afin d’augmenter la capacité des acteurs à préserver la biodiversité et la police environnementale pour lutter contre la déforestation et la fragmentation des habitats, surtout dans la partie méridionale du pays. Il s’engage aussi à apporter un appui financier, technique et organisationnel aux aires protégées pour une meilleure conservation de la biodiversité et le maintien des services écosystémiques qui y sont associés, à appliquer des textes relatifs à la conservation de la biodiversité dans les politiques de développement économique et social, à renforcer la collaboration avec la société civile, et à encourager les organisations nongouvernementales (ONG) à retrouver leur rôle de catalyseur d’opinions favorables à la cause environnementale », peut-on lire dans le projet électoral de Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui sera soutenu par son mentor Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle en 2019 et initialement tête de liste du parti Pastef pour la présidentielle 2024, à laquelle il a été déclaré inéligible.
Apporter une réponse efficace aux défis climatiques
Si les projets évoqués plus haut permettront au Sénégal de progresser vers l’atteinte des ODD, un pan du plan de l’ex inspecteur des impôts permettra de sensibiliser ses compatriotes aux concepts de développement durable et à la préservation de l’environnement. D’ailleurs, un label baptisé « E3D » (Établissement en démarche de développement durable) pourrait être mis en place pour récompenser les écoles qui se distinguent dans la prise en compte du respect de l’environnement ou un prix « RSE » (Responsabilité sociétale des entreprises) pour les organisations du secteur privé qui se distinguent à travers leurs engagements écoresponsables.
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Afin de réduire les effets du changement climatique au Sénégal, un Centre national de compétence et de ressources sur le changement climatique (CNCR2C) sera aussi créé au Sénégal. Il s’agira d’une plateforme nationale de dialogue et de renforcement des compétences des différents acteurs et un hub pour les informations en matière de changement climatique ouvert sur l’environnement régional, africain et international. Un Programme de résilience des territoires au climat (PRTC) sera également mis en place pour une gestion efficace des risques de catastrophes climatiques (érosion côtière, inondations, sécheresses), une protection des systèmes de production (agriculture intelligente face au changement climatique, élevage, pêche, industries, infrastructures, etc.).
Si sa victoire est confirmée, Bassirou Diomaye Faye sera investi président de la République du Sénégal le 2 avril 2024 et les lendemains ne seront pas de tout repos pour ce juriste de formation qui veut casser les codes de l’ancien régime.
Inès Magoum