Afrik21 : En 2023, l’Union européenne (UE) a qualifié le Cameroun de complaisant quant à la lutte contre la pêche illégale, non contrôlée et non réglementée (INN). Comment comprendre cette sanction, étant donné que le pays avait déjà eu un avertissement ?
Elie Badai : C’est vrai, en 2021, nous avons reçu un carton jaune de l’UE. Pour répondre à cet avertissement, nous avons collaboré avec l’organisation pour définir 10 actions à mettre en œuvre. Malgré nos efforts, à la fin de l’année 2022, nous n’avions pas encore achevé ces actions, notamment la réactualisation de la loi sur la pêche. En début 2023, nous avons été surpris de recevoir un carton rouge de l’Union européenne. Ce n’est pas que le gouvernement n’a pas travaillé, mais nos efforts n’étaient pas suffisants pour éviter cette sanction.
Qu’est-ce qui est fait concrètement aujourd’hui pour lever cette sanction qui pèse sur le Cameroun ?
Des actions concrètes ont été définies, notamment sur le plan juridique et en matière de lutte contre la pêche INN, tant au niveau national qu’international. Une des questions principales est celle de l’immatriculation des navires sous pavillon camerounais impliqués dans des activités INN. Malheureusement, certains bateaux ont été immatriculés pendant la période du carton jaune, ce qui a précipité l’émission du carton rouge. Après la sanction, une grande réunion dirigée par le Premier ministre a permis de prendre des résolutions concrètes, notamment la suspension de toute nouvelle immatriculation de navires de pêche au Cameroun et la mise en place d’un groupe de travail pour mettre en œuvre des mesures correctives.
Combien de navires ont été radiés du pavillon camerounais pour pêche INN ?
En 2022-2023, nous avons radié sept navires de la liste des navires sous pavillon camerounais pour des activités de pêche INN.
Quel est le bilan des activités menées en 2023 sur la lutte contre la pêche INN ?
En 2023, le ministère de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales a pris plusieurs engagements, notamment le suivi des navires sous pavillon camerounais opérant en dehors de nos eaux. Nous avons reçu plusieurs notifications de pays et d’organisations, ce qui nous a permis d’interpeller et de sanctionner 15 navires. Quatre de ces navires ont été véritablement sanctionnés. Des contrôles ont été effectués au niveau de notre zone économique exclusive (ZEE), ainsi qu’au niveau des quais de débarquement de différents ports. Des patrouilles conjointes avec le ministère de la Défense ont également été menées. De plus, la révision de la loi sur la pêche a été finalisée et transmise au service du Premier ministre. Nous espérons que cette loi sera soumise au Parlement pour validation lors de la session de juin.
Les navires sanctionnés sont détenus par des expatriés. Qu’en est-il de cette situation ? Des mesures incitatives sont-elles mises en place pour encourager les locaux à entrer dans ce secteur ?
L’immatriculation des navires doit être le fruit d’une bonne collaboration entre le ministère des Transports et celui de la Pêche. L’historique des navires est essentiel pour accepter ou non qu’ils portent notre pavillon. L’appartenance des navires n’est pas le problème principal ; c’est le respect de la réglementation en matière de pêche qui est crucial. Nous travaillons à améliorer notre système de suivi et de tracking pour régler ces différents aspects.
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Vous avez souligné que les moyens financiers étaient limités pour lutter efficacement contre la pêche INN au Cameroun. Y a-t-il des propositions de modèles financiers pour renforcer vos ressources ?
La surveillance nécessite effectivement beaucoup de moyens. Déplacer un patrouilleur de l’armée, par exemple, requiert environ 30 000 litres de carburant. Nos petites vedettes sont également coûteuses à opérer. Un système de surveillance passif, via des centres d’opération, pourrait diminuer les coûts. Les sources de financement proviennent principalement du budget de l’État et de la Caisse de développement de la pêche maritime (CDPM), avec un budget d’environ 80 millions de francs CFA (soit 121 960 euros) pour les activités de surveillance et 250 millions de francs CFA (soit 381 124 euros) pour l’acquisition d’équipements.
Propos recueillis par Boris Ngounou