À l’ouverture de la cinquième Conférence Climate chance Afrique (CCCA) sur l’habitat et le développement urbain ce 23 octobre 2023 à Yaoundé, les participants venus de tous les continents ont bien saisi l’urgence de développer des synergies pour faciliter l’atteinte du 11e objectif de développement durable (ODD11) sur la ville durable. Dans cette interview croisée, quatre intervenants de haut niveau analysent la crise du logement et les aléas climatiques ainsi que les solutions de financement que ces problématiques impliquent. Il s’agit de Ronan Dantec, sénateur français et président de l’association Climate Chance, Augustin Tamba, maire de la commune de Yaoundé 7 et président des Communes et villes unies du Cameroun (CVUC), Luc Gnacadja, ancien ministre de l’Environnement du Bénin, et Stéphanie Njiomo ambassadrice du Pacte mondial pour l’environnement au Cameroun et en Afrique centrale.
Benoit-Ivan Wansi : Après des mois de préparation en partenariat avec AFRIK 21, le cinquième Sommet Climate Chance Afrique est enfin là. L’évènement se tient les 23 au 24 octobre 2023 dans la ville de Yaoundé. Pouvez-vous nous rappeler ce qui a motivé le choix de la capitale camerounaise ?
Ronan Dantec : Le choix de Yaoundé pour accueillir cet évènement est en lien avec les différents échanges avec le Programme des Nations unies pour les établissements humains (ONU Habitat) qui est d’ailleurs très présent au Cameroun. Ensuite en raison de nos anciens liens amicaux avec la ministre camerounaise de l’Habitat et du Développement urbain (Célestine Ketcha Courtès, Ndlr) qui est une ancienne élue locale, très active dans les réseaux internationaux. Yaoundé est également une ville assez représentative des enjeux de l’habitat durable en Afrique.
Il est important de relever que chaque année notre rencontre met un accès sur un sujet précis en lien avec les changements climatiques. En 2022, Climate Chance était à Dakar au Sénégal pour parler de la mobilité. Et pour cette année 2023, la question de l’habitat nous a semblé cruciale. Nous sommes donc ravis d’être réunis au sein de l’Institut français du Cameroun (IFC) pour en parler. Le public est nombreux et composé de divers acteurs. C’est bien la preuve qu’il s’agit d’un sujet majeur pour notre planète.
Il est quasiment difficile de nos jours d’habiter dans les centres urbains. Et pour cause, la rareté des logements et parfois l’explosion des prix. Comment sortir de cette impasse ?
Luc Gnacadja : Il faut prendre en considération la ville africaine telle qu’elle fonctionne. Pour le moment, il y a une sorte de dichotomie avec d’un côté le concept de quartier populaire ou quartier informel et de l’autre, le quartier formel. J’ai été heureux d’entendre la directrice de l’Agence française de développement (AFD) au Cameroun donner des exemples d’initiatives dans les villes comme Kigali au Rwanda où il a été question d’aider les habitants des quartiers informels à mettre eux-mêmes à niveau leur logement. À noter que deux tiers des villes sur le continent sont informelles. Quand on parle de la ville africaine, il faut savoir que 80 % de l’économie est également informelle. Donc il faut combiner tous ces paramètres pour pouvoir concevoir l’habitat durable africain.
L’association des Communes et villes unies du Cameroun (CVUC) collabore avec Climate Chance, l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et d’autres plateformes engagées dans la transition écologique. Que peut apporter la coopération décentralisée entre les villes face à l’urgence climatique ?
Augustin Tamba : Au sein de ces villes du Cameroun, nous portons déjà un programme de marketing territorial qui appelle à une diplomatie très active pour essayer de sensibiliser en interne et à l’international sur cette problématique. Sur la question de l’habitat, c’est le logement social qui fait le plus débat parce qu’il n’existe pas dans l’économie. Le logement social a un coût. Sauf qu’il y a une inflation galopante qui est observée dans les marchés que nous connaissons tous et cela a un impact sur les coûts des matériaux. Qui prend en charge le gain pour permettre que ce logement soit accessible à tous les coûts sociaux ? C’est ça le problème. Cela appelle donc effectivement à la production et s’inscrit en droite ligne de ce qu’on a appelé les Politiques de développement des communes de production.
Il ne s’agit pas d’un appel à la philanthropie internationale, mais au contraire d’un encouragement à une coproduction économique au niveau des territoires, notamment dans l’agriculture, la pisciculture, entre autres. Et sur le plan macro, on peut faire un ensemble pour une production de logements qui soit accessible à tout le monde. Le financement est donc aussi bien primordial que l’est l’adaptation de l’ingénierie.
L’Afrique peut-elle réussir à développer et imposer sa vision de l’habitat durable ?
Stéphanie Njiomo : Nous sommes dans un contexte marqué par des crises en lien avec les habitats. Alors sur ce que l’Afrique pourrait faire, je voudrais souligner que le problème est à la fois quantitatif et qualitatif. Il est regrettable que nous soyons dans un processus de copie entière d’un modèle de construction qui n’a pas forcément fait ses preuves, que ce soit maintenant ou que ce soit dans le long terme. Avec les enjeux autour de la crise climatique, nous plaidons pour un retour à ces matériaux locaux qui ont fait leurs preuves, notamment en zone septentrionale pour le cas du Cameroun.
À quels types de matériaux faites-vous référence ?
Stéphanie Njiomo : Nous avons à proximité des matériaux tels que la terre cuite, la terre crue qui peut être associé avec le bois ou la paille ? Nous avons la pierre également qui constitue l’espace et différents matériaux à travers lesquels nous pourrons rendre plus attractifs nos territoires africains. Donc c’est finalement un habitat qui pourrait devenir aussi une porte d’entrée au tourisme africain. Il faudrait retourner à ces méthodes ancestrales.
À l’issue de la CCCA2023, un document de plaidoyer sera élaboré au nom des acteurs africains du climat. Il sera présenté en novembre prochain à la 28e Conférence des parties (COP28) organisée à Dubaï aux Émirats arabes unis (EAU). Que pourra contenir la « Feuille de Route de Yaoundé » ?
Ronan Dantec : La première chose c’est de renforcer les autorités locales. Climate Chance a pour démarche de regarder ce que les acteurs africains proposent et notamment Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLU) qui est un partenaire de longue date. En clair, on ne peut pas régler la question de l’habitat s’il n’y a pas de maîtrise du foncier par les autorités locales, s’il n’y a pas des recettes fiscales qui permettent l’accès à l’emprunt, s’il n’y a pas plus d’ingénierie. Ainsi, la « Feuille de Route de Yaoundé » rappellera qu’il faut d’abord des autorités locales fortes. Pour cela, il est important de sortir aussi de la méfiance des pouvoirs nationaux vis-à-vis des autorités locales qui marquent l’Afrique depuis longtemps.
Il faut également assumer l’habitat informel, mais l’éviter dans des zones extrêmement risquées parce que le réchauffement climatique est là. On l’a vu encore récemment avec le scénario de Mbankolo au Cameroun (glissement de terrain meurtrier dans la banlieue de Yaoundé, Ndlr). L’avenir des villes se joue ailleurs que dans les villes, c’est-à-dire soit on est sur un exode rural massif que moi en tant que Breton (habitant de la Bretagne dans l’ouest de la France, Ndlr) j’ai connu dans le 20e siècle avec des campagnes qui se sont vidées en quelques décennies. Ou alors est-ce qu’on essaie de garder plus de population à la campagne ! Ce qui veut dire : améliorer aussi les conditions de vie, créer des emplois locaux qui vont permettre aux habitants des villes moyennes d’y rester plutôt que de converger vers les grandes métropoles. Nous présenterons également cette feuille de route de Yaoundé lors du 12e Forum urbain mondial (WUF12) à l’automne de 2024 en Égypte.
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Selon les prévisions de l’Organisation des Nations unies (ONU), la population de l’Afrique devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,4 milliards d’habitants. Comme vous le savez, une telle croissance démographique signifie une augmentation des besoins en logements, en infrastructures routières, en eau potable et en services d’assainissement. Le continent est-il prêt à relever ces défis. Sinon, comment s’y préparer dès maintenant ?
Luc Gnacadja : L’Afrique est prête, elle en a le potentiel. Le continent a juste besoin aujourd’hui de revoir le logiciel qu’elle a utilisé par le passé. L’informalité dont on parle c’est l’adaptation des populations à des fragmentations urbaines et il est question de cartographier par exemple les zones à risque pour une meilleure anticipation. « Anticiper » doit être le mot clé du développement urbain en Afrique. Nos villes ne sont pas encore assez compétitives pourtant un pays tend à la prospérité uniquement si ses villes prospèrent. Il faut donc veiller à ce que l’investissement soit possible au niveau des communes. Les rendre capables de chercher le financement par rapport à leurs potentialités. C’est aussi l’une des pistes que nous devons explorer.
Le financement du développement durable est au cœur des préoccupations actuelles. Vous avez d’ailleurs proposé l’instauration d’un fonds d’intervention pour renforcer la résilience économique et climatique. Comment cela pourrait être mis en place et le secteur privé a-t-il un rôle précis à jouer ?
Augustin Tamba : Je pense que c’est d’abord une question de volonté politique internationale. La collecte de tels fonds va se faire avec les entreprises qui polluent, notamment les industries pétrolières et celles qui font de l’exploitation forestière. Le principe serait de prélever des taxes, une sorte de marge sur l’exploitation afin de ne pas asphyxier ces multinationales. Je pense qu’à partir du moment où on fait du profit au Cameroun, il est tout à fait décent qu’on puisse lâcher quelque chose pour alimenter ce fonds qui ferait l’objet d’une utilisation judicieuse. Ce sera sur la base d’une réflexion stratégique en amont qui va permettre de lutter efficacement contre ces changements climatiques tant abordés. Parce que le nerf de la guerre, c’est le financement. Et j’en appelle à une justice internationale plus prononcée sur le climat pour que les pays du nord y contribuent effectivement.
Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi