Les financements destinés à la cuisson propre sont plutôt rares en Afrique. Mais en avril dernier, la start-up Burn a réussi à lever 12 millions de dollars pour le développement de ses activités en Afrique au sud du Sahara. Il s’agit d’un financement carbone mobilisé auprès de Key Carbon (anciennement Carbon Neutral Royalty) pour déployer ses solutions de cuisson propre en République démocratique du Congo (RDC), au Kenya, en Zambie, en Ouganda, en Tanzanie et au Nigeria.
C’est sans doute le financement le plus important accordé depuis le début de l’année 2024 à un fournisseur de solutions de cuisson propre en Afrique subsaharienne. Pour l’heure, ce secteur attire très peu d’investisseurs institutionnels. Parmi les rares à s’être manifestés ces dernières années figure l’Union européenne (UE) qui a financé 12,5 millions d’euros pour la Zambie dans le cadre de la Facilité de cuisson moderne pour l’Afrique (MCFA) lancée par la Suède pour aider les entreprises privées qui développent et vendent des services de cuisson propre.
Le recours aux crédits carbone
Face à l’absence de financements classiques pour soutenir l’accès à la cuisson propre, des solutions relativement nouvelles refont surface. Il s’agit par exemple des crédits carbone. Selon les experts de la finance carbone, le crédit carbone correspond à une unité équivalente à une tonne de dioxyde carbone (CO2) évitée ou séquestrée. Par exemple, un projet de plantation d’arbres qui permettra de séquestrer 10 000 tonnes de CO2 pourrait donner lieu à l’attribution de 10 000 crédits carbone s’il respecte un certain nombre de critères, notamment la mesurabilité, la permanence, la vérifiabilité, l’unicité, et l’additionnalité.
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Ces crédits carbone peuvent être achetés par des entreprises, des collectivités et même des particuliers engagés dans une démarche volontaire de financement de projets vertueux pour le climat. « Pour les entreprises, cela fait en général partie d’une stratégie de compensation de leurs émissions (…). Les entreprises peuvent acheter des crédits carbone directement auprès des porteurs de projets ou par l’intermédiaire d’entreprises spécialisées possédant un portefeuille de crédits carbone (négociant, Ndlr), mais n’ayant aucun rôle dans la mise en œuvre des projets », explique Grégoire Guirauden, le cofondateur de Riverse, une start-up basée à Paris en France et spécialisée dans les crédits carbone.
Une solution controversée
Sauf que le recours aux crédits carbone suscite une levée de boucliers un peu partout dans le monde, y compris en Afrique. La controverse vient de la complexité dans la vérification surtout pour les projets censés empêcher la déforestation. Plus grave encore, les crédits carbone freineraient la démarche nécessaire de décarbonation des activités de certains grands pollueurs.
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Dans une interview accordée il y a quelques mois à Afrik21, la directrice exécutive de Greenpeace Afrique estime que le développement du marché du carbone en Afrique « va donner carte blanche aux pollueurs ». En effet, « permettre aux multinationales d’acquérir des crédits carbone est presque une autorisation à la pollution », juge Oulie Keita. Une position qui fragilise davantage le recours aux crédits carbone qui semblent pourtant dynamiser l’accès à la cuisson propre en Afrique de l’est.
Le financement via les obligations vertes
Ces dernières années plusieurs acteurs se sont positionnés sur le négoce des crédits carbone pour la cuisson propre sur le continent. C’est le cas du suisse Gold Standard qui travaille désormais en partenariat avec l’Alliance pour une cuisson propre (CCA), la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il y a également le négociateur français Aera qui travaille sur la cuisson propre avec le fournisseur de solutions de compensation basées sur la nature Ecosphere+.
Les acteurs du secteur de la cuisson propre s’intéressent également au potentiel des obligations vertes qui ont généré 2 200 milliards de dollars d’émission dans le monde en 2022. L’Afrique n’a capté que 1 % de financement selon la Banque africaine de développement (BAD). C’est dans ce contexte que Burn a initié la première émission d’obligations vertes dans le secteur de la cuisson propre au sud du Sahara. Le produit de l’obligation, soit 10 millions de dollars, permettra à la start-up d’augmenter la capacité de production de fourneaux écologiques de son usine de Ruiru située à plus de 25 km de la capitale kenyane Nairobi.
Un besoin d’investissements évalué à 8 milliards de dollars
Dans le même temps, l’entreprise compte ouvrir une nouvelle usine à Lagos, la plus grande ville du Nigeria avec une population estimée à plus de 20 millions d’habitants. Burn veut ainsi porter sa capacité de production de 400 000 à 600 000 unités par mois, pour le marché subsaharien. Des investissements nécessaires pour rattraper le retard accusé ces dernières années. Dans le monde entier, le financement de l’accès à la cuisson propre est resté à la traine. Pourtant, 2,4 milliards de personnes se servent toujours de fourneaux et de combustibles polluants pour la cuisson de leurs aliments.
Selon la Banque mondiale, 900 millions de Subsahariens manquent d’énergie propre et moderne pour cuisiner. Une situation qui favorise la déforestation et entraine la perte de 35 milliards de dollars par an en dépense pour le bois, le charbon de bois et le kérosène. Dans un rapport publié en août 2023, la BAD et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estiment qu’il faudra investir 8 milliards de dollars chaque année jusqu’en 2030 pour parvenir à l’accès universel à la cuisson propre en Afrique. En 2022, les investissements dans la cuisson propre y ont franchi pour la première fois la barre des 200 millions de dollars en selon la CCA. Le chemin est encore long.
Jean Marie Takouleu