Ville intelligente, territoire connecté, cyber cité, communautés électroniques. Autant de termes utilisés pour désigner une zone urbaine qui a accéléré son développement économique et durable à l’aide des technologies. Ce concept est très en vogue depuis le début des années 90 et généralement dédié aux grandes villes européennes (Oslo en Norvège, Barcelone en Espagne) et américaines (New York aux États-Unis d’Amérique) et même d’Asie du Sud-Est (Singapour). Quelques agglomérations africaines commencent à apparaitre dans cette liste très fermée. Il s’agit par exemple du Caire en Égypte et de Casablanca au Maroc..
Ces capitales ont expérimenté au cours des dernières années des solutions numériques qui ont débouché sur la digitalisation des services de base (efficacité énergétique, mobilité intelligente, télémédecine, etc.) au profit de leurs populations respectivement estimées à 20 millions, 3,8 millions et 3,7 millions d’habitants. Une croissance démographique commune à d’autres villes africaines mais qui ne rime plus forcément avec le chômage, la pollution atmosphérique, l’inégalité dans l’accès aux ressources (eau et électricité) grâce à l’intelligence artificielle et l’internet des objets (IoT).
La gestion électronique des déchets et du transport routier à Casablanca
Première illustration dans la capitale économique marocaine. Casablanca est depuis 2015 la première métropole d’Afrique à avoir rejoint le réseau des 25 villes intelligentes sélectionnées par l’Institut des ingénieurs en électricité et en électronique (IEEE) basé aux États-Unis d’Amérique. La ville rouge administrée par Nabila Rmili est l’une des pionnières sur le continent à expérimenter la télégestion de la circulation routière. Il s’agit d’un système composé de 760 caméras de surveillance connectées à 220 kilomètres de fibre optique qui permet en même temps de contrôler le trafic et de renforcer la sécurité au sein des édifices commerciaux.
Et ce n’est pas tout. À Casablanca, des solutions de géolocalisation et de chauffeur à la demande se sont rapidement répandues au fil du temps bien avant d’autres villes du royaume chérifien comme Rabat. C’est le cas de l’application mythique « iTaxi » qui depuis 2014 permet aux citadins de commander sur leurs Smartphones en toute sûreté et instantanéité un chauffeur flexible à toutes destinations. Ce qui est également un avantage pour la décarbonation dans la mesure où cela permet de réduire le nombre de véhicules personnels sur la voie.
Cette transformation numérique se matérialise également à travers la gestion électronique des déchets. En effet, si les quartiers de Casablanca sont assez propres aujourd’hui, c’est en partie grâce au fameux système d’information géographique (SIG) utilisé par la multinationale française Suez pour « le contrôle de la propreté urbaine en temps réel et permet aux usagers d’indiquer les zones à nettoyer », comme le rapporte une étude de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Une poubelle intelligente équipée de capteurs qui surveillent la collecte et engrangent l’énergie solaire pour compacter les déchets en temps réel ©Franz12/Shutterstock
Compteurs intelligents et « smarts homes » ont le vent en poupe au Caire
Le Caire pour sa part est déjà plus avancé en termes de « smart city ». La plus grande ville égyptienne abrite des entreprises et des laboratoires qui font concurrence avec des géants technologiques de la planète. C’est le cas de la société Elsewedy qui a révolutionné l’usage des compteurs électriques numériques dans les maisons et les institutions du pays des pharaons où elle en a déjà 2 millions d’unités dont la majorité au Caire. Ces appareils qui permettent d’optimiser sa consommation d’énergie et de réduire ses factures d’électricité ont également été livrées dans la ville de Lyon en France. Mais les plus grands abonnés d’Elsewedy seront finalement les habitants de Brazzaville puisque dès 2022 l’énergéticien a signé avec les autorités congolaises pour y installer « une usine de fabrication de compteurs électriques prépayés ».
La smart city du Caire c’est aussi les « smart homes », ces applications mobiles qui permettent de contrôler à distance un bâtiment. Concrètement, le propriétaire d’une maison peut vérifier depuis son lieu de travail si les lumières sont bien éteintes dans les chambres ou piloter son chauffage domestique. C’est une des raisons pour lesquelles la métropole la plus peuplée d’Afrique (après Lagos) a été classée 106e dans le « Smart City Index Report » réalisé par l’Institut international pour le développement du management (IMD) de Lausanne en Suisse. Ce rang n’est pas des moindres puisque dans ce classement Le Caire devance de loin Bogotá (129e) en Colombie et São Paulo (130e) au Brésil.
Une maison connectée © REDPIXEL.PL/Shutterstock
Du réel au virtuel : combler le fossé numérique
À l’instar de Casablanca et du Caire, d’autres villes commencent à saisir l’urgence d’allier le numérique au développement durable. C’est le cas en Afrique subsaharienne où la commune du Plateau à Abidjan a amorcé sa transformation numérique. La première phase a consisté en 2022 à une représentation virtuelle du territoire telle « qu’il existe aujourd’hui et comment il pourrait évoluer dans le futur », selon Dassault Systems qui met en œuvre le projet. L’entreprise française est spécialisée dans les logiciels de conception et la modélisation 3D (trois dimensions).
À côté de cette approche technologique qui devrait permettre de guider les choix d’aménagement urbain pour l’amélioration de la qualité de vie des populations, d’autres municipalités notamment en Namibie privilégient l’épineuse problématique de l’accès à la connectivité numérique qui est la première étape pour une ville intelligente. À Oranjemund située à 826 kilomètres de la capitale Windhoek, les élus locaux se focalisent en ce moment sur la disponibilité de la fibre optique. Ainsi, l’Agence de transformation de la ville (OMDis) et la commune d’ Oranjemund ont lancé conjointement le programme « Oranjemund Core Fibre Connectivity » qui prévoit le déploiement « de 67,7 kilomètres de fibre optique » dans cette ville minière peuplée d’environ 4 000 habitants.
Smart city expo Casablanca, l’un des plus grands rendez-vous sur la ville intelligente en Afrique @UM6P
À noter que seulement 40% de la population africaine est connectée à internet contre une moyenne mondiale de 63%, selon le rapport de l’Union internationale des télécommunications (UIT) sur la connectivité en 2022. Mais le projet « Solutions numériques pour la ville durable en Afrique de l’Ouest » devrait permettre bientôt d’inverser la donne particulièrement en Afrique subsaharienne. Après plusieurs études sur le terrain à compter de septembre 2024, l’initiative portée par le centre de recherche Excellence in Africa (Exaf) de l’École polytechnique fédérale de Lausanne devrait favoriser le développement de réelles « smart cities » à Abidjan en Côte d’Ivoire, Bamako au Mali, Cotonou au Bénin et Ouagadougou au Burkina Faso. De quoi expérimenter de nouvelles solutions numériques notamment pour renforcer leurs systèmes météorologiques face aux aléas climatiques (inondations, sècheresse), entre autres.
Benoit-Ivan Wansi