Money, money, money… Finalement, on a surtout parlé d’argent et un peu moins d’urbanisme lors des rencontres dédiées à la ville durable africaine, organisées mi-mai 2020 par l’association Urbanistes sans frontières, en prévision du Sommet Afrique-France qui se tiendra en juin 2020 à Bordeaux sur ce thème. Parallèlement, d’autres acteurs se mobilisent en faveur de ce rendez-vous de la ville durable en Afrique : CGLU, le Medef international, le PFVT…
Le 14 mai dernier se tenait le Forum des Villes durables en Afrique, organisé par la l’association Urbanistes sans frontières, sous la houlette de sa présidente Maggie Cazal, pour contribuer à la préparation du Sommet Afrique-France, qui aura lieu autour de ce thème du 4 au 6 juin 2020 à Bordeaux.
Stéphanie Rivoal, secrétaire générale de l’événement, a affiché ses ambitions pour un sommet inclusif, du citoyen au chef de l’État, qui soit aussi un sommet des solutions, françaises et surtout… africaines. Elle a d’ailleurs accueilli très favorablement la proposition du ministre de la ville de Côte d’Ivoire, François Albert Amichia, d’organiser en Afrique une ou deux rencontres préparatoires à ce sommet.
Financer la ville durable africaine
Sur les deux tables rondes qui ont suivi, la première consacrée à la manière de financer le grand chantier de la ville durable africaine a imprimé sa marque sur le reste de la manifestation. Et les questions de la salle s’adressaient particulièrement à Jean-François Habeau, directeur général du FMDV (Fonds mondial pour le développement des villes), qui a commencé par poser un diagnostic encourageant.
Certes, les besoins en infrastructures, compte tenu du doublement de la population urbaine en Afrique dans les 30 prochaines années, sont immenses et s’élèvent à 90 milliards d’euros, dont les pouvoirs publics ne pourront assumer que 25 %. Ce sont donc les investisseurs privés qui devront apporter les 75 % restants. Mais, bonne nouvelle, les lignes de crédits sont nombreuses, à chaque étape des projets, et la volonté d’investir en Afrique est réelle. Sauf que, les critères de réussite pour faire matcher l’offre et la demande de financement sont assez contraignants.
Placer les maires au centre de l’action
Selon Jean-François Habeau, il faut ainsi partir des besoins qu’expriment très bien les maires et les autorités locales, mais s’assurer impérativement du soutien politique au niveau national. Les deux échelons doivent assumer conjointement le portage politique du projet. Pas toujours simple, surtout lorsque les maires sont des opposants politiques d’envergure nationale, installés dans certaines grandes villes…
Raison de plus pour s’intéresser aux villes secondaires qui disposent d’un moins bon ratio « euro dépensé/nombre de bénéficiaires », mais qui jouent un rôle essentiel dans le désengorgement des mégapoles et le dynamisme des territoires. Pourtant, là aussi l’implication des décideurs nationaux ne va pas toujours de soi. Lors du forum, on a ainsi vu le Sénégalais Amadou Diarra, maire de Pikine, en banlieue de Dakar, interpeler en direct M. Moustapha Ndour, ministre conseiller de l’ambassadeur du Sénégal en France. Soutenu par USF, l’élu local porte un projet d’assainissement des eaux usées qui inondent plusieurs fois par an l’école de sa ville et une politique globale pour une ville durable, pour laquelle il demandait publiquement le soutien du ministre conseiller. En attendant la réponse, à l’échelle associative qui est la sienne, Urbanistes sans frontières (USF) a signé, dans la foulée du forum, une convention de partenariat avec la mairie Pikine. Au programme : des actions en développement durable, la programmation et le suivi opérationnel du projet pilote du site Dominique, qui serviront comme démonstrateur au Sommet Afrique-France 2020 sur la ville durable.
Pour une décentralisation budgétaire
Plus généralement, le directeur général du FMDV plaide pour la décentralisation budgétaire et insiste sur la nécessité « de renforcer la planification des investissements, les capacités de gestion financière et la solvabilité au niveau local. » Tout en « organisant un dialogue multi-acteurs qui implique les gouvernements centraux, le secteur privé, les investisseurs, les bailleurs, la société civile. » Sachant qu’il faut distinguer les modèles techniques et financiers appropriés, selon le type de projet. Qu’il soit purement social ou qu’il génère des revenus directs.
Or les ressources financières sont très variées. Qu’il s’agisse de ressources locales (budget municipal, fiscalité, tarifs et revenus tirés des projets, valeurs foncières…), de subventions (de la part du gouvernement, des bailleurs, de la coopération décentralisée), d’investissements (privés (capitaux propres…), de fonds émanant de bailleurs ou d’une banque de développement, d’investissements directs ou indirects, d’endettement avec des prêts de bailleurs (concessionnels), d’une banque commerciale, d’émissions obligataires, ou encore de garanties, publiques, privées ou concessionnelles.
Financer un programme de ville durable réclame donc, à chaque étape, une forte expertise dans la phase de préparation, habituellement confiée à des conseils externes à la municipalité. Pour ce faire, il faut donc structurer les intermédiaires financiers professionnels (publics et privés), pour déclencher les ressources financières et les canaliser au niveau local.
D’ailleurs, Jean-François Habeau estime que les coûts de préparation du projet sont généralement compris entre 10 et 25 % du coût total, afin de pouvoir mobiliser au mieux les ressources, parmi les 150 dispositifs d’aide à la préparation de projets urbains identifiés.
CGLU crée un fonds d’investissement municipal
Mais tous le constatent : il est souvent plus difficile de trouver des financements pour des projets de moyenne envergure, quand les microprojets et les très gros programmes font l’objet de financements bien identifiés.
C’est là que pourrait intervenir le Fonds international d’investissement municipal, une initiative conjointe du Fonds d’équipement des Nations unies (Fenu) et de Cité et gouvernement locaux unis (CGLU) en collaboration avec le FMDV, adoptée en mai 2018. Objectif : faciliter l’accès au financement des projets d’investissement des collectivités locales sur les marchés financiers nationaux et internationaux pour l’urbanisation durable.
Sous la houlette de son secrétaire général, Jean Pierre Elong Mbassi, CGLU s’investit particulièrement dans le financement décentralisé et avait par ailleurs mis la ville durable au centre des préoccupations de la 8e édition du sommet Africités. À cette occasion, une résolution, portée par les femmes maires et élues, membre du Réseau des femmes élues locales d’Afrique (Refela), emmenées par la présidente d’alors, Célestine Ketcha-Courtès, a d’ailleurs été adoptée le 22 novembre 2018, intitulée « Villes africains vertes, durables et d’avenir pour les femmes et les filles ».
Les femmes au cœur de la ville durable
Les femmes africaines sont les premières victimes de services urbains défaillants : elles subissent les violences quand les rues ne sont pas éclairées, sont de corvée (avec les enfants) pour aller chercher l’eau, accouchent dans des conditions très risquées quand l’accès à l’électricité n’est pas garanti et voient toute les tâches domestiques alors compliquées. Sans parler des soins aux enfants qui se trouvent compliqués lorsque l’absence de gestion des déchets posent des problèmes d’hygiène et de santé publique. Pour les femmes élues du Refela, « il est urgent de considérer les femmes, comme parties prenantes et actrices pour atténuer les effets des changements climatiques et développer des Villes et des collectivités locales africaines vertes et durables. » Une demande qui trouve de plus en plus d’échos parmi les banques de développement et les entreprises qui fournissent des services urbains, étant entendu que les femmes en Afrique réinvestissent plus systématiquement les bénéfices engendrés par l’accès à l’eau, à l’électricité et aux transports, dans le soin à la communauté et la protection de l’environnement.
D’une certaine manière, le fait que CGLU ait ainsi « sous-traité » la rédaction d’une résolution sur la ville durable au femmes élus du Refela lors du sommet Africités, acte également du rôle central que les femmes auront à jouer dans cette marche vers la ville durable en Afrique. Il était d’ailleurs aussi anecdotique que symptomatique de constater que cette « division des tâches » se retrouvait encore lors du Forum à l’Assemble nationale à Paris. La table ronde consacrée au financement de la ville durable réunissait exclusivement des témoignages masculins, tandis que celle consacrée à l’innovation dans l’économie circulaire et la ville durable comprenait deux femmes, porte-paroles de collectivités engagées pour la ville durable en Afrique : Maud Levièvre , déléguée générale des Éco-Maires, qui a créé en 2015 Les Eco-Maires Afrique, premier réseau d’élus africains au service de l’environnement et du développement durable, ainsi que Geneviève Sevrin, directrice générale de Cités unies de France (CUF), le réseau des collectivités territoriales françaises engagées dans l’action internationale. L’une et l’autre ont détaillé des exemples concrets de réalisations en faveur de la ville durable en Afrique, surtout francophone…
Le Medef s’engage en faveur de la ville durable en Afrique
En marge du Sommet Africités et également en prévision du Sommet Afrique-France sur la Ville durable, CGLU avait signé le 22 novembre 2018 un accord de coopération avec la task force « Ville durable » du Medef International (le mouvement des entreprises françaises), emmenée par son président Gérard Wolf. Objectif : la coopération et la mise au point de solutions urbaines durables proposées aux collectivités africaines, grâce à un accompagnement technique et financier des autorités locales du continent, pour un développement intégré et durable au bénéfice des populations et acteurs locaux.
Les parties s’engagent depuis à travailler particulièrement sur les secteurs suivants : planification à long terme et rénovation urbaine ; fourniture d’énergie et efficacité énergétique ; transports urbains écoresponsables ; réseaux d’eau et assainissement ; constructions durables ; traitement et valorisation des déchets ; connectique et villes Intelligentes ; solutions financières adaptées. En mettant l’accent sur l’offre française : accompagnement technique, formation, renforcement de la gouvernance, durabilité des projets.
La ville durable africaine au centre de l’attention du PFVT et de Vivapolis
Entre-temps, le Medef International a invité de nombreux décideurs et porteurs de projets africains pour mieux appréhender les demandes et faciliter la recherche de solutions, toujours en prévision du Sommet Afrique-France 2020. Avec trois messages prioritaires : l’excellence et la complémentarité de l’offre française en faveur de solutions durables, dans un esprit de coopération locale défendu par le Medef international, et un engagement en faveur de la formation sur place.
Parallèlement, deux autres acteurs s’investissent également dans la préparation du Sommet Afrique-France 2020. Tandis que Vivapolis, le réseau d’acteurs publics et privés pour la ville durable, en France et à l’international, était présent au salon World Impact Summit les 23 et 24 mai avec une table ronde dédiée à la ville durable en Afrique, le partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT), qui réunit tous les acteurs de la ville et des territoires en faveur d’une coopération international, prépare de son côté l’organisation du pavillon français au Forum urbain mondial qui se tient tous les deux ans. Son président, le député français, Hubert Julien-Laferrière a annoncé fin mai que la 10e édition se tiendrait à Abu Dhabi du 7 au 13 février 2020 et que le PFVT mettrait l’accent sur les initiatives en faveur de la ville durable en Afrique.
Preuve s’il en est que tous les réseaux politiques et économiques français s’alignent désormais en faveur du Sommet Afrique-France 2020 sur la ville durable en Afrique. Reste à trouver les mots (et les moyens) pour mobiliser d’ici là les décideurs africains…
Christoph Haushofer