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Stéphane Crouzat : « l’Afrique mérite une considération particulière à la COP28 »

Stéphane Crouzat : « l’Afrique mérite une considération particulière à la COP28 »

Afrik21 : Quels sont les objectifs principaux de la France à la COP28 ? Et comment est-ce que vous comptez les atteindre ?

Stéphane Crouzat : Nos objectifs climatiques en France sont alignés avec ceux de l’UE, nécessitant une coordination efficace. La COP28 est cruciale, car elle marque le premier bilan mondial quinquennal de l’Accord de Paris. Malheureusement, nous ne respectons pas pleinement les objectifs, surtout en termes de réduction des émissions pour limiter la hausse des températures à 1,5 -2 degrés. Un enjeu majeur sera la gestion des énergies fossiles, qui constituent encore 80 % du mix énergétique mondial et 60 % en France. Il est essentiel d’établir une trajectoire pour réduire ces émissions conformément aux engagements de l’Accord de Paris.

L’Afrique, continent le moins pollueur et le plus impacté par le dérèglement climatique, se trouve dans une situation délicate face aux exigences mondiales de réduction des énergies fossiles. D’un côté, l’Afrique nécessite ces énergies pour son développement et est historiquement peu responsable de la pollution globale. Ne pensez-vous pas que cela risque de freiner le développement nécessaire de l’Afrique, alors que les pays déjà développés ont largement contribué à la crise climatique actuelle ?

Notre approche de réduction des énergies fossiles, en accord avec l’Union européenne (UE), se concentre sur le G20, responsable de 80 % des émissions globales. La diversité au sein du G20, incluant des pays comme l’Arabie Saoudite, la France, et l’Argentine, rend évidemment les discussions climatiques complexes. Mais pour l’Afrique, qui représente seulement 7 % des émissions mondiales, il est essentiel de reconnaître sa contribution limitée et son besoin de développement. Les pays comme le Sénégal, la République démocratique (RDC), et la Côte d’Ivoire méritent une considération particulière. Je suis fermement convaincu que les principaux pollueurs doivent être en première ligne des efforts de réduction des émissions. L’UE, autrefois un grand pollueur, a réduit ses émissions tout en stimulant son économie, démontrant qu’une croissance économique durable est réalisable avec une utilisation moindre de l’électricité, une efficacité énergétique accrue et le développement des énergies renouvelables.

Quelle est la position de la France vis-à-vis des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, qui exploitent les énergies fossiles ?

Nous comprenons les défis spécifiques auxquels font face des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Par exemple, avec le Sénégal, nous avons initié un Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), déjà mis en œuvre en Afrique du Sud. Ce modèle de financement novateur soutient la transition du Sénégal vers des énergies propres, tout en abordant les problèmes sociaux liés à cette transition. Notre objectif avec le Sénégal est ambitieux : atteindre 40 % de capacité électrique provenant de sources renouvelables d’ici à 2030. Ce partenariat, que nous présenterons à la COP28, reflète notre engagement à soutenir l’Afrique dans sa transition énergétique, en reconnaissant les besoins de développement de ces pays et en respectant leurs contributions historiquement faibles aux émissions mondiales.

Quelles sont les attentes de la France pour la COP28 en lien avec les sujets abordés lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, notamment sur les nouvelles taxes internationales, la réallocation des Droits de tirage spéciaux (DTS), et le rôle des banques de développement multilatérales ? Comment envisagez-vous l’application de ces mesures, particulièrement pour soutenir l’Afrique dans son action climatique ?

Le Sommet de Paris, initié par le président français en juin 2023, a souligné notre insuffisance en matière de financement pour la transition énergétique et l’aide aux pays en développement. Ce sommet a réuni des leaders mondiaux pour accélérer l’action sur les financements innovants et la réforme des institutions financières internationales. Il a abouti au « Pacte de Paris pour les peuples et la planète », basé sur trois piliers fondamentaux. Premièrement, aucun pays ne doit choisir entre la lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Deuxièmement, chaque pays doit déterminer sa propre trajectoire de transition. Troisièmement, nous avons besoin d’un choc de financement, à la fois dans le secteur public et privé.

L’allocation des droits de tirage spéciaux, ayant atteint 100 milliards de dollars, est une étape clé, et la France a réalloué 40 % de ces fonds aux pays en développement. Nous visons également à mobiliser le secteur privé pour orienter ses investissements vers des projets durables dans les pays en développement, en utilisant des systèmes de garantie et un environnement propice à ces investissements. Ces mesures sont essentielles pour répondre aux objectifs de l’Accord de Paris : l’atténuation, l’adaptation et l’alignement des flux financiers vers une économie bas-carbone et résiliente.

Le Sommet de Paris a été un pas important dans cet alignement, avec l’engagement de nombreux pays en développement. Nous avons également pris en compte des initiatives innovantes, comme les clauses suspensives de dette en cas de catastrophe climatique, permettant aux pays confrontés à des chocs climatiques extrêmes de suspendre temporairement leur dette. Cette flexibilité financière est vitale pour éviter une double peine économique en cas de catastrophe. Ainsi, le Sommet de Paris marque une avancée significative dans notre approche globale de soutien aux pays en développement, en particulier en Afrique, dans leur lutte contre le changement climatique.

Comment la France s’assure-t-elle que le financement climatique atteigne réellement les populations africaines les plus affectées ?

Il est crucial que les financements climatiques soient utilisés efficacement, une responsabilité partagée entre pays développés et en développement. Pour garantir que l’aide atteigne directement les populations, nous soutenons des initiatives comme par exemple le Climate Risk and Early Warning System (CREWS), bénéficiant à de nombreux pays africains. Ce système fournit des alertes précoces en cas de catastrophe climatique, via des moyens comme des SMS ou des organisations locales. L’objectif est d’assurer que l’investissement serve les communautés les plus vulnérables. Cette démarche, débutée à la COP21, couvre aujourd’hui des dizaines de millions de personnes. Notre ambition est que ces fonds climatiques soient déployés efficacement du début à la fin, en répondant directement aux besoins des personnes sur le terrain.

Quelle est la position de la France sur la décision de loger le Fonds pour les pertes et dommages à la Banque mondiale, et comment envisagez-vous d’aborder les inquiétudes des pays en développement à ce sujet à la COP28 ?

Le Fonds pour les pertes et dommages, créé lors de la COP27 en Égypte, représente une avancée majeure. Initialement demandé par les petits États insulaires et de nombreux pays africains, ce fonds vise à aborder les impacts financiers du changement climatique sur les pays vulnérables. L’Union européenne, y compris la France, a soutenu cette initiative. Le défi était de mettre en œuvre ce fonds. Un comité transitionnel, auquel la France a participé, a travaillé sur des recommandations pour son organisation et sa gouvernance. Nous avons cherché un équilibre, sachant qu’un compromis ne satisfait jamais pleinement toutes les parties.

La France a insisté pour que le fonds cible spécifiquement les populations vulnérables, notamment les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés. Nous soutenons une approche inclusive, permettant des contributions de tous les pays capables, y compris ceux qui ne figurent pas dans l’annexe 1 de la Convention de l’ONU.

Concernant la localisation du fonds, nous avons débattu de l’opportunité de créer un fonds ad hoc ou d’utiliser un canal existant. Finalement, nous avons opté pour une solution intermédiaire, hébergeant le fonds temporairement à la Banque mondiale pour une période de quatre ans, tout en évaluant son efficacité. Si cette approche fonctionne, nous la poursuivrons ; sinon, nous chercherons des alternatives. L’important est que le fonds soit rapidement opérationnel pour aider les communautés vulnérables.

En ce qui concerne les contributions, il n’y a pas de montant fixe ; elles sont volontaires. La France réfléchit à une première contribution significative à annoncer lors de la COP28. Quant à la responsabilité historique, c’est un sujet complexe et évolutif. Par exemple, la Chine, qui avait une responsabilité minime en 1992, a maintenant une part importante dans les émissions historiques. Il est essentiel de reconnaître que la responsabilité évolue et que les pays doivent adapter leurs contributions en conséquence. La France, en tant que pays développé, prend au sérieux sa responsabilité historique et s’engage à soutenir les pays les plus touchés par le changement climatique.

Comment la France envisage-t-elle de soutenir les initiatives africaines telles que celles proposées dans la Déclaration de Nairobi, notamment sur la taxation des produits pétroliers ?

La France s’engage activement dans la valorisation des crédits carbone et la réflexion sur la taxation des produits pétroliers. Nous avons lancé, avec le Kenya, une task force sur la taxation internationale, qui inclut des pays intéressés, des experts et des institutions. Cette task force explore diverses formes de taxation pouvant financer l’action climatique, comme les taxes sur les billets d’avion, le kérosène, le transport maritime, et potentiellement sur les produits pétroliers. L’objectif est de développer des recommandations concrètes d’ici à la COP30 pour avancer sur ces sujets. Nous sommes fiers de coprésider cette initiative avec le Kenya, sous le leadership du président William Ruto, qui a mis en avant cette question importante à Nairobi. Cette collaboration illustre notre engagement envers une approche globale et innovante pour financer l’action climatique.

Peut-on envisager un renouveau du dialogue entre la France et l’Afrique sur les enjeux climatiques ?

La France est fermement engagée dans un dialogue continu avec l’Afrique sur les défis climatiques. Nous considérons l’Afrique comme un partenaire clé dans cette lutte globale contre le réchauffement climatique. Nous avons déjà établi des partenariats solides, comme avec le Sénégal et l’Afrique du Sud, et l’Agence française de développement (AFD) a investi massivement dans des projets climatiques en Afrique. Ces efforts vont de l’atténuation du changement climatique à l’adaptation, et nous sommes déterminés à renforcer cette coopération pour avancer ensemble. La collaboration sur des initiatives comme la conservation des forêts en RDC témoigne de notre engagement commun.

Quels sont vos espoirs les plus ambitieux pour les résultats de la COP28 ?

Mon idéal pour la COP28 serait une reconnaissance unanime de la nécessité de se détourner rapidement des énergies fossiles, tout en assurant une transition juste et solidaire, préservant la sécurité énergétique globale. Il est crucial que cette solidarité internationale se traduise en actions concrètes, notamment par l’opérationnalisation rapide du Fonds pour les pertes et dommages établi à Sharm El Sheikh. L’objectif ultime est de maintenir notre trajectoire vers la limite de 1,5 degré, en saisissant la fenêtre d’opportunité qui se rétrécit.

Des propos recueillis par Delphine Chêne et Jean Marie Takouleu

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