L’aggravation du changement climatique n’est-elle pas aussi le prix de l’ignorance des effets de ce phénomène mondial par les populations ? AFRIK 21 planche sur cette question à l’occasion de la Semaine africaine du Climat (ACW), qui se tient du 4 au 8 septembre 2023 à Nairobi au Kenya. Dans cet article, nous dresserons un état des lieux de la prise en compte de l’éducation par les gouvernements africains en matière de lutte contre le changement climatique. Puis nous interrogerons le caractère résilient des systèmes éducatifs déjà mis en place, avant de présenter le système éducatif résilient modèle. L’objectif étant finalement de promouvoir une éducation de qualité, pertinente et équitable, protéger les écosystèmes terrestres, et promouvoir la justice climatique.
L’éducation est largement reconnue comme étant un facteur déterminant dans la lutte contre le changement climatique dans les principaux accords internationaux, tels que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’Accord de Paris et les objectifs de développement durable (ODD). Est-ce aussi le cas pour les États, notamment africains ? La réalité est très variable d’une sous-région à une autre.
Tenez par exemple, en Afrique centrale plus précisément au Cameroun, une éducation commune au changement climatique reste à élaborer et à normaliser. « De la SIL (l’avant élémentaire , Ndlr) au CM2 (l’avant secondaire, Ndlr), nous éduquons les enfants à la propreté, c’est-à-dire nettoyer son environnement, jeter les déchets dans la poubelle dans le cadre du cours intitulé ‘Éducation à la citoyenneté’. Nous inventons généralement des cas pratiques puisqu’un manuel scolaire dédié à la protection de l’environnement n’existe pas à ce jour », affirme Jacqueline Fotsing, enseignante de maternelle à l’École publique d’Essos dans le cinquième arrondissement de Yaoundé.
C’est véritablement au niveau du cycle secondaire que les questions climatiques commencent à être évoquées, et là encore elles sont portées dans le cadre d’une matière qui est la géographie, notamment dans les classes de 6e et 5e avec des modules tels que « le module (préservation de l’environnement) où les élèves sont éduqués à la protection de l’environnement, l’adaptation aux changements climatiques et l’adoption des comportements écologiques à savoir le reboisement, la protection des parcs et aires naturels, etc. », indique le ministère camerounais des Enseignements secondaires (Minesec). Et au fur et à mesure que l’élève progressera dans son cursus secondaire, l’éducation sur le changement climatique deviendra plus précise, toujours sans un véritable manuel scolaire dédié à ce phénomène.
Au niveau du cycle supérieur on montera d’un cran avec des formations entièrement consacrées à la question du changement climatique comme c’est déjà le cas à l’Université de Dschang où un master professionnel « Changement climatique, biodiversité et économie circulaire » (CCBEV) est ouvert depuis 2015. Cette université d’État est l’une des premières à offrir cette formation au Cameroun.
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Face à la nécessité de développer des compétences d’atténuation et d’adaptation, la Tunisie, a elle aussi décidé d’inclure l’éducation comme stratégie de résilience. Et récemment encore, l’association Tunisie recyclage a lancé un programme de formation sur le changement climatique et l’économie circulaire dont l’Agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ) est partenaire.
Renforcer les capacités des scolaires à la gestion des déchets en Tunisie face au défi climatique
La dite formation, initiée par Tunisie Recyclage, sera mise en œuvre dans le cadre du projet de Protection du climat par l’économie circulaire en Tunisie (ProtecT), en deux lots. Le premier permettra d’outiller les élèves des gouvernorats de Kairouan, Gafsa et Bizerte aux bonnes pratiques du tri sélectif des déchets solides dès la rentrée 2023-2024. Cette démarche consiste à séparer ses déchets à la source, selon leur nature, afin d’éviter les contacts et les souillures.
Par ailleurs, les apprenants se familiariseront avec le phénomène du changement climatique qui résulte dans une certaine mesure de la mauvaise gestion des déchets à l’origine des émissions de méthane, un gaz à effet de serre (GES) 80 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2) et qui représente un cinquième des émissions mondiales de GES selon l’ONU. L’organisation internationale ajoute dans un rapport publié en mai 2021 qu’une réduction des émissions de méthane de 45 % permettrait d’éviter une hausse de température mondiale.
C’est dans ce sillage que l’Université de Sfax, toujours dans le pays de Kaïs Saïed formera dès la rentrée académique 2023-2024 les étudiants au tri et au recyclage des déchets solides, ainsi qu’au développement de solutions technologiques adaptées face à la pollution. La formation qui se déroulera au sein de son Institut supérieur de biotechnologie (ISBS) accueillera pour la première année entre 15 et 20 étudiants.
Si l’Afrique centrale et l’Afrique du Nord reconnaissent de plus en plus que l’éducation apporte des solutions au changement climatique, c’est également le cas pour l’Afrique australe. Dans la sous-région, les pays travaillent désormais ensemble pour s’assurer que les enseignants sont préparés à aborder ce phénomène et d’autres défis liés à la durabilité dans leur enseignement. L’Afrique du Sud veut d’ailleurs se positionner comme le hub de la formation sur le climat.
Des formations pour soutenir une économie bas-carbone
C’est ainsi que l’Université de Stellenbosch est devenue en juin 2021, la première université à accueillir une école d’études climatiques au sein de son campus. Celle-ci proposera des programmes transdisciplinaires pour soutenir la résilience au changement climatique et une économie à faible émission de carbone.
L’Afrique du Sud compte étendre ce projet à toutes ses universités, devenant ainsi une référence dans ce domaine sur le continent africain, a souligné en 2021 le ministre sud-africain de l’Enseignement supérieur, des Sciences et de l’Innovation, Blade Nzimande. Ainsi, l’évolution vers une économie verte devrait créer de nouvelles carrières dans les domaines de l’ingénierie, de la fabrication, de l’agriculture, des énergies renouvelables et de la recherche sur les facteurs fondamentaux du changement climatique dans la nation arc-en-ciel.
« Il existe de nombreuses autres bonnes pratiques sur le continent. En Afrique de l’Ouest, le Ghana a révisé son programme national pour renforcer l’éducation au changement climatique, et aux Seychelles, archipel situé en Afrique de l’Est, l’éducation au climat est abordée dans toutes les écoles dans le cadre des efforts déployés en faveur des écoles vertes », affirme Won Jung Byun, spécialiste du programme à la section de l’éducation au développement durable (EDD) au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). La responsable souligne que l’engagement « de faire de l’éducation au changement climatique leur domaine thématique prioritaire » a été pris par plus de 90 pays, dont africains, lors du sommet des Nations unies sur la transformation de l’éducation en 2022.
Pour répondre à ce grand intérêt des pays pour la création de systèmes éducatifs résilients au changement climatique, le Partenariat pour l’écologisation de l’éducation a été lancé, invitant à prendre des mesures dans quatre domaines d’action prioritaires : écologisation des écoles, écologisation des programmes scolaires, écologisation de la formation des enseignants et des capacités des systèmes éducatifs, et écologisation des communautés afin d’aider à préparer chaque apprenant au changement climatique d’ici à 2030.
Éduquer au changement climatique à l’école, mais pas que …
Mais les enseignants seuls ne feront pas ce travail. Si les écoles sont le point de départ, il est également important de tirer parti de l’apprentissage non formel et informel qui a lieu en dehors des écoles. « Par exemple, de nombreuses organisations de la société civile (OSC) soutiennent l’éducation au changement climatique dans les communautés, comme le centre NaDEET en Namibie, les activités de préservation de l’eau dans la colonie d’Enkanini au Cap en Afrique du Sud, ou encore les activités des scouts au Kenya », explique Won Jung Byun de l’Unesco.
Selon l’institution spécialisée internationale basée à Paris en France, les villes soutiennent également la résilience climatique des communautés à travers l’apprentissage tout au long de la vie au niveau local, comme le montrent les municipalités africaines engagées dans le réseau mondial des villes d’apprentissage de l’Unesco (du Cameroun, du Kenya, du Malawi, du Nigeria et de la Guinée) Aussi, l’écologisation de l’enseignement et de la formation techniques et professionnels à travers les compétences vertes est essentielle pour s’assurer que les entreprises s’adaptent et mènent des pratiques résilientes au climat à l’avenir.
Si de nombreux pays garantissent désormais, en plus d’une éducation sûre et protégée contre les effets du changement climatique, une éducation résiliente, d’autres sont encore à la traîne.
L’appel à l’action de l’Unesco
Pour aller de l’avant, chaque pays est invité à créer une initiative nationale sur l’EDD, qui engage diverses parties prenantes dans la société, y compris les enfants et les jeunes, les parents, les décideurs politiques, les enseignants, et le secteur privé, conformément au cadre mondial décennal intitulé « l’EDD pour 2030 » lancé par l’Unesco. L’objectif de cette action au niveau national est d’accélérer la réalisation des ODD d’ici cette échéance grâce à l’éducation, en promouvant la compréhension du développement durable, en encourageant la pensée critique et l’action.
« D’ici à 2030, nous voulons mettre en place des politiques de qualité en matière d’éducation et de développement durable, transformer nos écoles en lieux d’apprentissage innovants et résistants au climat, soutenir les enseignants en leur offrant une formation et du matériel adéquats pour qu’ils puissent enseigner la durabilité et le changement climatique, veiller à ce que les jeunes soient responsabilisés et engagés dans le processus de prise de décision, et transformer ainsi nos communautés pour qu’elles deviennent plus durables d’un point de vue environnemental, social et économique », martèle Won Jung Byun, la spécialiste du programme EDD de l’Unesco.
Cet idéal de système éducatif résilient modèle, s’il est abouti, permettrait de protéger et promouvoir une éducation de qualité, pertinente et équitable ; protéger les écosystèmes terrestres ; et promouvoir la justice climatique en Afrique. Sur le continent plus que dans d’autres, le changement climatique s’accompagne d’effets sans précédent : hausse des températures, réduction des réserves en eau, perte de biodiversité, dégradation des écosystèmes, etc.
Inès Magoum
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