Comment s'attaquer à la production non durable de plastiques ? Alors qu’on croyait que cette question fondamentale serait le fil d’ariane de la quatrième session du Comité intergouvernemental de négociation (CIN-4) pour un traité mondial contre la pollution plastique, qui s’est tenue à Ottawa au Canada, du 23 au 29 avril 2024, contre toutes attentes, les discussions sur l’inclusion d’un plafond de production des polymères primaires ont été exclues, laissant place aux questions relatives à la gestion des déchets plastiques et au financement.
« Le Comité intergouvernemental de négociation (CIN-4) a une fois de plus omis de poser la question la plus fondamentale pour le succès du futur traité mondial sur le plastique : comment s’attaquer à la production non durable de plastiques ? », a regretté Jacob Kean-Hammerson, en charge de la campagne Océan à l’Agence d’enquête environnementale (AEE), qui a participé aux négociations d’Ottawa au Canada, du 23 au 29 avril 2024. Et ce n’est pas faute de propositions visant la réduction de la production non durable du plastique, notamment une proposition de travaux intersessions du Rwanda et du Pérou sur les polymères plastiques primaires, visant à réduire de 40 % l’utilisation mondiale de polymères plastiques primaires d’ici à 2040 par rapport aux niveaux de 2025. Proposition que plusieurs délégations, dont le Malawi, les Philippines et les Fidji, ont fermement soutenue.
Pourtant, ces minuscules particules de plastiques, de moins de 5 mm, constituent une source de pollution préoccupante à la fois pour l’environnement, la biodiversité et la santé humaine. C’est d’ailleurs pour cette raison que les pays du G7 (Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon et États-Unis d’Amérique), réunis le 29 avril 2024 à Turin en Italie pour discuter environnement et stratégie face au changement climatique, se sont engagés à réduire la production mondiale de polymères plastiques primaires afin de mettre fin à la pollution plastique d’ici à 2040.
Outre la proposition de Kigali et de Lima qui a été bottée en touche, le Rwanda étant l’un des premiers pays du globe à avoir banni les bouteilles et les sacs de plastique à usage unique, plusieurs pays ont lancé la déclaration « Bridge to Busan » sur les polymères plastiques afin de rallier les parties en faveur du maintien de la disposition relative aux polymères plastiques primaires dans le texte du traité et de créer une dynamique pour le cinquième et dernier cycle de négociations qui se tiendra à Busan, en Corée du Sud, du 25 novembre au 1er décembre 2024.
Un projet contesté par les producteurs de polymères et les lobbyistes
Si un consensus n’a pas été trouvé sur la réduction de la production du plastique au niveau mondial, c’est que les pays producteurs de polymères et de plastiques, dont l’Arabie saoudite, l’Inde, le Koweït et le Qatar ne sont pas prêts à s’y engager, ainsi que les 196 lobbyistes de l’industrie des combustibles fossiles et des produits chimiques qui ont participé aux négociations dans la capitale canadienne. « Ils ont d’ailleurs semer le doute sur la portée du projet de traité afin de redéfinir ce que signifie le cycle de vie complet des plastiques, dans une tentative apparente de restreindre le champ d’application du traité proposé aux seules questions relatives à la gestion des déchets », indique l’AEE. Car, produire moins de plastiques signifierait une diminution de leur chiffre d’affaires.
Au vu des divergences de points de vue, les parties ont fonctionné selon des règles de procédure appliquées provisoirement qui permettent de voter sur les décisions si tous les efforts pour parvenir à un consensus ont été épuisés. Des compromis ont été faits sur le résultat, qui n’ont pas tenu compte du plafonnement dans la production de plastique, ce qui nous éloigne encore plus de la conclusion d’un traité que les environnementalistes et les États soucieux du devenir de la planète exigent et que la justice réclame. Pourtant, le Canada espérait réduire le texte du projet de traité de 70% afin d’arriver à s’entendre d’ici à la fin de 2024.
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Si l’orientation qu’on donnera de manière définitive à l’accord international juridiquement contraignant sur le plastique n’a pas été clairement précisée rendu au 29 avril 2024, les travaux intersessions qui s’y sont déroulés, notamment sur le mécanisme financier, ainsi que sur les produits plastiques, les substances chimiques préoccupantes contenues dans les produits plastiques, la conception des produits, la réutilisation et la recyclabilité ont laissé supposer que le traité mondial sur le plastique privilégiera le recyclage, bien que le Canada ait soutenue la proposition du Rwanda et du Pérou. Une pratique, loin d’être la mieux appliquée finalement. Car, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), seulement 9 % des 9 milliards de tonnes de plastiques que le monde n’ait jamais produites ont été recyclées.
Le lourd tribut écologique
Un traité sur le plastique qui ne prend pas en compte le processus de production sera à coup sûr une catastrophe pour l’environnement, le plastique contribuant également à la crise climatique. D’après l’Organisation des Nations unies (ONU), la production de plastique est l’un des processus de fabrication les plus énergivores sur la planète. Ce matériau est fabriqué à partir de combustibles fossiles tels que le pétrole brut, qui est transformé en polymère à l’aide de chaleur et d’autres additifs. En 2019, les plastiques ont par exemple généré 1,8 milliard de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), soit 3,4 % des émissions mondiales.
Afin de limiter ce désastre, ainsi que la pollution plastique, l’ONU invite également les États à encourager l’innovation et à mettre en place des incitations pour que les entreprises abandonnent les plastiques « inutiles ». Des taxes sont aussi nécessaires pour dissuader la production ou l’utilisation de produits en plastique à usage unique, tandis que des réductions d’impôt, des subventions et d’autres avantages fiscaux doivent être mis en place afin de promouvoir des solutions de remplacement, tels que des produits réutilisables.
Inès Magoum