Il est de ceux qui pensent que l’Afrique pourra atteindre son développement durable grâce à la finance innovante et inclusive. L’Ivoirien Wilfried Adingra, directeur général de la plateforme Diaspo4Africa revient dans cet entretien sur les mécanismes de financement des projets écologiques dans un contexte marqué par le faible taux de bancarisation et le manque de sensibilisation à l’urgence climatique sur le continent.
Il est de ceux qui pensent que l’Afrique pourra atteindre son développement durable grâce à la finance innovante et inclusive. L’Ivoirien Wilfried Adingra, directeur général de la plateforme Diaspo4Africa revient dans cet entretien sur les mécanismes de financement des projets écologiques dans un contexte marqué par le faible taux de bancarisation et le manque de sensibilisation à l’urgence climatique sur le continent.
Benoit-Ivan Wansi : À seulement 34 ans, vous vous êtes rapidement fait un nom dans le monde de la finance durable. Pouvez-vous revenir sur les temps forts de votre carrière d’entrepreneur, notamment le but de votre plateforme internationale sur le financement participatif ?
Wilfried Adingra : Initialement j’ai créé une première entreprise qui s’appelle Lumen Financial Africa avec pour objectif de développer des solutions alternatives pour le financement des start-up et des petites et moyennes entreprises (PME). Par la suite et à la faveur de mes recherches, je suis tombé sur des données de la Banque mondiale qui indiquaient que les transferts d’argent des diasporas en Afrique s’élèvent à 53 milliards de dollars par an. C’est largement supérieur aux aides publiques au développement (ADP) qui se chiffrent généralement à 27 milliards de dollars par an. On se retrouve donc avec autant d’argent qui est malheureusement investi dans des secteurs non productifs puisque ces ressources sont parfois destinées à la consommation directe, à soigner un parent malade, etc. Partant de ce constat, j’ai lancé la plateforme internationale Diaspo4Africa pour accompagner les diasporas dans le choix de leurs projets d’investissement y compris des initiatives axées sur les 17 objectifs de développement durable (ODD).
Quels sont les secteurs de l’économie que vous ciblez et avez-vous des critères qui guident votre choix de financer un projet plutôt qu’un autre ?
Dans notre premier appel à projets qui remonte à 2018-2019, on n’a pas ciblé des secteurs. Mais nous avons été agréablement surpris qu’environ 70 % des projets soumis étaient essentiellement axés sur l’agriculture. À côté de cela, on intervient également sur des activités qui promeuvent l’innovation. Les promoteurs de projets doivent nous présenter un plan d’affaires, un historique financier. Notre équipe est disséminée dans plusieurs pays (Bénin, Togo, Ghana) avec des compétences dans chaque secteur pour pouvoir analyser le contexte socioculturel et politique par rapport à la réussite de chaque projet. Chaque financement innovant doit être absolument lié aux ODD.
À quel niveau précisément la prise en compte de l’environnement intervient dans votre processus décisionnel ?
Nous intégrons la composante « impact environnemental » dans chaque idée de projet à la base, c’est primordial. Pour être plus clair, nous n’opérons pas par exemple dans l’agriculture classique parce que nous savons bien qu’il y a un déficit en termes de disponibilité des sols. En prenant le cas de la Côte d’Ivoire, il faut savoir que la plupart des gens qui se sont lancés dans la culture du café, du cacao ou de l’hévéa l’ont fait en détruisant les sols. Ainsi, nous avons opté pour la culture hors sol à travers l’agriculture sous serre dans des conditions de température, d’humidité, de luminosité (pour les plantes) qui sont adaptées et contrôlées. Concrètement, nous pratiquons la culture hors sol, notamment dans la savane, dans un environnement où il n’y a pas assez d’arbres.
Quid de l’écoconstruction et de la mobilité en milieu urbain ?
Nous intervenons également dans le génie civil avec 10 villas déjà construites dans le cadre de l’initiative « Janek » dans la capitale économique ivoirienne. Pour la suite, nous allons nous arrimer aux avancées de l’écoconstruction en finançant prioritairement des projets immobiliers qui promeuvent les matériaux écologiques et l’artisanat. Madrid (Espagne) le fait déjà si bien avec les briques de terre plutôt que le ciment dont la composition est assez polluante.
Concernant la mobilité et les transports, on essaie d’aller vers des principes de décarbonation. Nous avons déjà pensé à une structure spécialisée dans le remplacement du parc automobile, notamment des véhicules d’occasion par des engins hybrides ou entièrement électriques. À noter qu’il y a près de 80 000 voitures usagées pour la seule ville d’Abidjan. Cela commence à s’améliorer depuis la décision des autorités ivoiriennes fixant à cinq ans la durée d’exploitation de certains types de véhicules importés. C’est crucial de décarboner progressivement le trafic routier.
Pourquoi la décarbonation fait-elle partie de votre stratégie de financement ?
Il est important de préciser que les véhicules d’occasion ont des moteurs plus vieux et requièrent une énorme consommation de carburants (essence, diesel). Ce qui accentue évidemment les émissions de CO2. Pourtant en investissant davantage dans la mobilité électrique et les bornes de recharges qui vont avec, on a plus de chance de limiter la pollution atmosphérique dans nos territoires africains. Nous prenons en compte tous ces paramètres pour pouvoir organiser nos choix d’investissements.
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Est-ce rentable aujourd’hui économiquement parlant d’investir dans le développement durable ?
Tout à fait. La transition écologique nous exige de nouveaux modes de consommation et par ricochet un nouveau marché. Cela pousse également les start-up à développer et proposer de nouvelles solutions pour s’adapter aux évolutions constantes. L’Europe par exemple est en train de réduire significativement sa production de véhicules thermiques. C’est a priori une bonne nouvelle pour l’Afrique puisque la plupart des engins importés seront donc électriques. On sait bien que les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par l’Afrique ne sont que l’ordre de 5 % par rapport au reste du monde. Au-delà d’un simple crédo, cela doit être une opportunité d’affaires pour investir dans les solutions vertes à commercialiser sur la scène internationale. Et nos entreprises doivent être prêtes pour ce challenge.
Pourquoi parler d’inclusion financière ? Est-ce pour faciliter l’équilibre de développement entre les zones urbaines et rurales ?
Il y a une forme d’exode rural à cause des opportunités que confèrent les villes. Face à cela, notre travail consiste à y encourager des investissements qui répondent dans un premier temps à l’ODD2 sur la sécurité alimentaire. C’est ce que nous avons fait dans la localité septentrionale de Nikki au Bénin où nous avons lancé avec succès deux fermes intégrées. Il s’agit de projets communautaires en réponse à la sècheresse qui impacte habituellement la productivité agricole des villageois. L’une des start-up que nous finançons sur place valorise le beurre de karité en produits cosmétiques (savons, pommades, etc). Nous les accompagnons également sur la production écoresponsable pour éviter les techniques industrielles très polluantes.
Vous avez participé du 10 au 14 octobre 2023 au « Voice of Africa » organisé par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) en marge des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Qu’est-ce qui vous a marqué par rapport à la vision africaine de la transition écologique ?
Le Maroc à travers notre hôte l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) est déjà en avance sur les solutions technologiques de demain. Cela devrait attirer l’attention des pays d’Afrique subsaharienne qui à leur tour doivent créer un cadre paisible et compétitif pour former nos jeunes à ces nouveaux métiers. L’enjeu c’est de répondre aux défis de la transition écologique. Dans le système éducatif, les enfants doivent être outillés sur les enjeux climatiques tandis qu’au niveau des industries, il faut dynamiser les démarches RSE (responsabilité sociale des entreprises).
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Vous avez entamé un certain nombre d’actions pour pouvoir formaliser vos interventions dans le financement du développement durable sur le continent africain. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le secteur de la finance est plutôt complexe et hautement règlementé, pour plusieurs raisons visant à éviter le blanchiment d’argent. Nous ne voulons pas être en marge de ce cadre règlementaire. Cependant, il n’y a pas encore une véritable législation dédiée au crowdfunding (financement participatif et alternatif au prêt bancaire, Ndlr) nous concernant notamment au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Pour l’instant nous nous tournons vers la Commission de surveillance du secteur financier (CCSSF) du Luxembourg qui pourra obtenir de manière conventionnelle un agrément à notre plateforme de financement dans les mois à venir.
Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi, de retour du Maroc